Du messianisme juif au sionisme contemporain (1)

Voici un entretien avec Youssef Hindi, écrivain et historien de l’eschatologie messianique réalisé en mars 2017, par une lectrice d’ Arrêt sur Info,curieuse et passionnée qui, comme de nombreux citoyens du monde, rêve de paix, de réconciliation et surtout de respect entre les êtres d’où qu’ils viennent. Cet entretien a été proposé à Arrêt sur Info par une universitaire désireuse de comprendre les origines du chaos qui sévit au Moyen-Orient, avec ses guerres si désastreuses pour les populations. Après avoir lu « Occident & Islam, sources et genèse messianiques du sionisme, de l’Europe médiévale au choc des civilisations », elle s’est longuement entretenue avec son auteur, Youssef Hindi.

 

Question
:
J’ai lu avec grand intérêt votre livre. J’ai apprécié que vous citiez rigoureusement vos sources qui semblent irréfutables. Je crois que c’est fondamental de le souligner sur un sujet aussi explosif. Vous citez notamment Gershom Scholem (1897-1982), grand spécialiste de la mystique juive, et fondateur de la chaire d’études kabbalistiques à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Youssef Hindi
: En effet, il convient par ailleurs de préciser que je n’ai à ce jour pas été réfuté ni attaqué en justice.

Q :
Comment vous est venue l’envie d’approfondir un sujet aussi sensible. Quelle a été la genèse de cet ouvrage ?

YH
: D’abord, c’est parce que je n’avais pas été satisfait des deux thèses principales qui avaient été avancées sur l’origine du sionisme. La première thèse – la plus connue – nous dit que le sionisme serait né à la fin du 19 e siècle avec Théodor Herzl et le Congrès sioniste Mondial. L’autre thèse, moins connue, défendue par quelques historiens, dont Shlomo Sand, est la suivante : les chrétiens protestants messianistes anglais du 17e siècle, ont voulu, pour hâter le retour du Christ, rapatrier le peuple juif en Terre sainte. Je n’adhérais pas à cette seconde thèse non plus, puisque je savais déjà que l’idée qu’on peut hâter la venue du Messie par des actions politiques concrètes n’était pas une idée chrétienne au départ, mais une idée issue du messianisme juif. Et, pour découvrir la véritable origine du sionisme, je savais que je devais étudier le messianisme juif, et en particulier, en amont, la Kabbale, (tradition ésotérique du judaïsme, présentée comme la « loi orale et secrète » donnée par Dieu à Moïse), dont est issu le messianisme, que j’appelle dans mon livre le « messianisme actif ». C’est donc là que j’ai commencé ma recherche : par la Kabbale. J’ai alors entamé un travail d’étude pour comprendre la Kabbale, ses origines, ses finalités et ses différents concepts. Mon objectif était de remonter l’histoire, jusqu’à découvrir celui qui a ouvert la boîte de Pandore.

Q :
Vous parlez du messianisme actif. Vous dites dans votre livre que vous aimeriez nous dévoiler les clés de décryptage du monde moderne, et, en faisant ce retour dans le passé, vous permettez d’avoir un éclairage très pertinent sur le présent. Nous sommes confrontés à des événements géopolitiques et au chaos moyen-oriental qu’ils entraînent. Si nous ne comprenons pas les sources profondes de ce qui se passe aujourd’hui, il est impossible d’y voir clair. D’où l’importance de ce livre, qui nous permet de découvrir les racines profondes du messianisme juif et son impact. Dans, votre livre vous affirmez que la Kabbale prend sa source au 1er siècle en Palestine; elle va progressivement s’installer en Europe au 11e siècle, pour prendre de l’ampleur au 13e siècle en Espagne, avec Moïse Nahmanide et Abraham Aboulafia. Vous expliquez également que la Kabbale est considérée, au départ, comme une hérésie dangereuse par les tenants du judaïsme, mais vous démontrez comment elle va malgré tout infiltrer petit à petit le judaïsme.

YH : La Kabbale est un courant mystique qui naît au 1er siècle et, durant plus de mille ans, jusqu’à la fin du Moyen-Age, les Talmudistes, c’est-à-dire les tenants de l’orthodoxie officielle du judaïsme, vont combattre la Kabbale. Le projet principal des kabbalistes est de faire en sorte que la Kabbale devienne une partie intégrante de l’orthodoxie juive. Et ils vont réussir. J’explique dans mon livre qu’aujourd’hui la quasi-totalité des concepts kabbalistiques ont été intégrés à l’orthodoxie juive. Depuis la fin du Moyen-Âge il s’est opéré une sorte de syncrétisme [mélange de plusieurs doctrines différentes] entre judaïsme orthodoxe torahique, talmudique et kabbalistique. La Kabbale a fini par s’introduire au cœur de l’orthodoxie juive.

Q :
Vous retracez le parcours d’un certain Salomon Molcho, au 16 e siècle. Pouvez-vous dire quelques mots sur ce personnage et son importance dans l’histoire et le développement du sionisme ?


YH : Salomon Molcho est un rabbin aventurier né en 1500 et mort en 1532, élève de David Reuveni. L’objectif de Salomon Molcho était multiple : sous l’influence de son maître, il tente de convaincre le pape de monter une armée de marranes, pour attaquer l’Empire ottoman en Palestine, d’expulser les Ottomans de la Terre sainte et recréer ainsi le royaume d’Israël. Ils échouent parce que l’inquisition veut mettre la main sur Salomon Molcho. Mais il sera protégé par le pape Clément VII et fuit avec son maître, David Reuveni, pour se rendre auprès d’un des hommes les plus puissants d’Europe, Charles Quint, le grand empereur du Saint Empire romain germanique. Il lui propose à son tour d’attaquer l’Empire Ottoman. Cela se finit très mal, puisque l’empereur enferme David Reuveni dans un cachot en Espagne et envoie Salomon Molcho à l’Inquisition qui le fait brûler sur un bûcher. L’un des objectifs principaux de Salomon Molcho était d’influencer les Chrétiens, de les soumettre aux vues messianiques juives. Il disait, dans l’un de ses traités, qu’il fallait mener des actions politiques à visée messianique en direction des Chrétiens, afin de recréer le royaume d’Israël. Et c’est Salomon Molcho qui va poser les pierres fondatrices de ce que deviendra plus tard le judéo-christianisme. Il ne fait qu’essayer d’accomplir un projet messianique biblique qui lui est antérieur, et que j’expose dans mon ouvrage.

Q :
Vous expliquez que c’est le messianisme juif qui va donner naissance au messianisme protestant. La Kabbale va petit à petit infiltrer le monde chrétien avec le rabbin Isaac Louria, au 16e siècle (Kabbale lourianique). Plus tard, aussi, le monde musulman, avec Sabbataï Tsevi (Kabbale sabbatéenne), et les Dönme, au 17e siècle. C’est tout de même incroyable ! Vous expliquez que peu à peu, dès le 15 e siècle, va s’opérer un anéantissement de l’intérieur, où il y a un début de pénétration des milieux chrétiens, notamment par les marranes. Pouvez-vous développer ce qu’est le courant restaurationniste protestant et ensuite le courant judéo-chrétien, notamment avec Jacob Frank, qui était un infiltré ?

YH : Oui, Jacob Frank infiltre les milieux catholiques du 18e siècle. Il se prenait pour la réincarnation de Sabbataï Tsevi. Procédons par étapes. Précisons que le marranisme concerne les Juifs d’Espagne que les Chrétiens, après la Reconquista (décret de l’Alhambra, 1492), avaient décidé d’expulser. Les marranes sont les Juifs restés en Espagne, faussement convertis au Christianisme. S’est développée, à partir de là, une culture de la dissimulation, qu’on appelle le marranisme, mais qui existait déjà dans la tradition juive. Les fausses conversions ont toujours été assez courantes dans la tradition juive, que ce soit dans le monde européen ou même à l’époque du prophète, au 7e siècle, où des rabbins se convertissaient faussement à l’Islam.

Ensuite, pour ce qui est de la pénétration de la Kabbale dans le monde chrétien, je l’expose en détail dans un chapitre de mon dernier ouvrage « La mystique de la laïcité. Généalogie de la religion républicaine, de Junius Frey à Vincent Peillon ». C’est un mouvement qui démarre à la fin du 13e siècle, mais les tentatives qui ont fonctionné ont eu lieu durant la 2e moitié du 15e siècle. Des juifs kabbalistes vont commencer à enseigner à des chrétiens, dont l’une des principales figures connues, est Pic de la Mirandole. Il aura un maître kabbaliste qui va lui apprendre l’hébreu, le chaldéen et il sera initié à la Kabbale. A partir de là, ils vont faire naître une Kabbale chrétienne, pour en fait soumettre le monde chrétien aux vues juives, c’est-à-dire qu’ils vont essayer de convaincre les chrétiens et le Vatican même, que la Kabbale permet d’expliquer justement les doctrines chrétiennes, comme la Sainte Trinité par exemple. Cette kabbale chrétienne, qui s’implante d’abord en Italie et en France, va poursuivre son avancée en Europe dans le courant des 16e et 17 e siècles, vers l’Angleterre et l’Allemagne, à la grande époque du protestantisme.

En parallèle va naître au 16e siècle un grand rabbin, Isaac Louria, grand rabbin de Safed, qui va accentuer la dimension messianique de la Kabbale. Il va développer une théorie de l’action politique, beaucoup plus volontariste que la kabbale espagnole. Et cette kabbale lourianique de Safed va se répandre dans toute l’Europe. Il y aura véritablement une convergence entre la progression de la kabbale chrétienne, la naissance du protestantisme, et cette vague messianique de la Kabbale lourianique qui va toucher toute l’Europe. Et c’est durant cette période, au 17e siècle, que va naître le mouvement restaurationniste chrétien millénariste. Les protestants millénaristes d’Angleterre, vont alors « porter » le projet de rapatriement du peuple juif en terre sainte. Le mouvement restaurationniste a des grands représentants au 17e siècle et au 18e siècle. Mais ce n’est véritablement qu’au 19e siècle que le projet sioniste commence à s’accomplir. Ce projet a donc mis des siècles à mûrir, à s’implanter et à finalement se réaliser, parce qu’il fallait que soient réunies les conditions politiques, géopolitiques et idéologiques propices à la réalisation du projet sioniste.

Q :
Vous étudiez un autre pan de l’histoire dans votre livre : celui des courants de subversion de l’Islam et leurs liens avec le messianisme juif. Vous traitez notamment du Wahabbisme au 18e siècle et du Réformisme islamique au 19e, dont sont issus les Frères musulmans. Pouvez-vous également développer cet aspect ?

YH : Dans le second chapitre de l’ouvrage, je pars du 17e siècle avec Sabbataï Tsevi, qui est un rabbin juif kabbaliste qui va développer une théologie antinomiste, c’est-à-dire de lutte contre la loi divine, proprement dite sataniste, donc une inversion totale des valeurs. A partir de 1666, lui et ses disciples, vont se convertir faussement à l’Islam. Il va enjoindre ses disciples, à savoir des centaines de familles, à pénétrer l’Islam et à le détruire de l’intérieur. Je rapporte tous les éléments, dont les citations de Gershom Scholem, qui prouvent cela. Et à partir de ce mouvement sabbatéen, vont naître les dönme, c’est-à-dire les Juifs turcs sabbatéens, faussement convertis à l’Islam, qui sont à l’origine du mouvement politique des Jeunes Turcs. Durant cette période-là, au 19 e siècle, va naître le réformisme islamique. Le réformisme islamique est un mouvement purement maçonnique, lié à tous ces réseaux auxquels sont notamment liés les Jeunes Turcs.

Et en Europe on trouvera les Frankistes appartenant aux réseaux maçonniques ; Frankistes d’Europe et sabbatéens de Turquie resteront d’ailleurs en contact permanent jusqu’à la fin du 19e siècle. Ils joueront parallèlement le même rôle, en usant des mêmes moyens : la destruction de l’Europe chrétienne et de l’Orient musulman.

On peut élargir le tableau et parler du wahabbisme, qui se développe au 18 e siècle, mais il n’y a pas de preuves concrètes du lien entre le Wahabbisme et le sabbataïsme. Toutefois, lorsque l’on se penche sur le Wahabbisme en tant que tel, et Mohammed Ibn Abd-al Wahhab, son fondateur, on trouve des similitudes très frappantes avec ces mouvements-là, mais aussi avec la Révolution sanglante d’Oliver Cromwell au 17e siècle en Angleterre.

Le Wahabbisme et le Réformisme islamique vont alors travailler le monde musulman de l’intérieur et finalement fusionner par le biais des élèves de Mohammed Abduh, pour donner naissance, plus tard, avec Hassan al-Banna, aux Frères musulmans. Ce sont donc des mouvements parallèles, qui fonctionnent en dialectique.

Je rappelle que les principaux fondateurs du Réformisme islamique Malkun Khan [19e s.], Jamal Eddine al-Afghani [19e s.], Mohammed Abduh [19e s.] et nombre de leurs disciples sont des franc maçons. Afghani et Abduh vont d’ailleurs tenter en Egypte, avec les réseaux maçonniques, dans les années 1870, d’opérer une grande révolution, qu’on appelle la révolution urabiste. On retrouve chez les réformistes la même idéologie subversive (avec une forme adoucie teintée de progressisme) que chez les Sabbatéens, les Jeunes Turcs, les révolutionnaires français et les Frankistes.

Lisez 
ici
 la deuxième partie del’article

yogaesoteric

26 juillet 2017

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