Les géants du chocolat devant la justice américaine

International Rights Advocates veut mettre la pression sur les géants du chocolat. L’ONG américaine représente six Maliens, enlevés alors qu’ils étaient encore mineurs, puis emmenés en Côte d’Ivoire pour y travailler de force.

« Suivant les cas, ils sont restés entre deux et quatre ans dans des plantations au milieu de nulle part, travaillant dans une langue qu’ils ne maîtrisaient pas, avant d’être assez grands et matures pour trouver un moyen de s’échapper », raconte leur avocat, Terrence Collingsworth. Celui-ci ne peut pas prouver quelles entreprises ont acheté le cacao récolté par ces jeunes, mais le droit américain lui permet d’attaquer toute la branche.

Nestlé et Barry Callebaut dans le viseur

Une première plainte, déposée il y a plusieurs années contre Cargill et Nestlé, est en attente d’un jugement final à la Cour suprême des Etats-Unis. Une deuxième plainte a été déposée en février 2021, mais elle concerne cette fois sept entreprises: Nestlé, Cargill, Barry Callebaut, Mars, Olam, Hershey et Mondelez. International Rights Advocates reproche notamment aux groupes incriminés d’avoir manqué à leurs engagements.

En 2001, suite à la diffusion d’un documentaire de la BBC, la pression monte sur le secteur. Un projet de législation contraignante est élaboré au Congrès. Pour y échapper, la branche signe volontairement le Protocole Harkin Engel. Les entreprises s’engagent à ce que « les fèves de cacao et ses produits dérivés soient cultivées et/ou traitées sans recours aux pires formes de travail des enfants ». Après plusieurs retards, des objectifs plus concrets sont définis: réduire de 70%, d’ici 2020, les pires formes de travail des enfants.

Pas contraignant

Ce protocole n’est toutefois pas contraignant. « C’est un coup de génie », reproche Terrence Collingsworth. « Ces groupes se sont octroyé la permission de continuer à recourir au travail des enfants, jusqu’à ce qu’ils décident eux-mêmes d’arrêter. Et ils choisissent eux-mêmes la date limite. Ils doivent bien rire de nous ».

En 2020, le Département du Travail des Etats-Unis commande un rapport pour tirer le bilan des efforts réalisés dans le cadre du Protocole Engel Harkin. Les conclusions, publiées en octobre 2020 par l’institut NORC de l’Université de Chicago, dressent un tableau assez sombre. Entre 2008-2009 et 2018-2019, le travail des enfants a augmenté de 14% dans les plantations de cacao de Côte d’Ivoire et du Ghana.

Tâches pénibles ou dangereuses

Dans sa grande majorité, il s’agit d’enfants aidant leurs parents, mais ils sont souvent appelés à effectuer des tâches pénibles ou dangereuses, comme l’épandage de pesticides. Le recours aux mineurs pour ces tâches a augmenté de 13%.

Cette hausse s’explique notamment par la croissance du secteur du cacao: +62% en dix ans. « Notre étude montre qu’entre 2018 et 2019, il y avait encore 1,56 million d’enfants travaillant dans la production de cacao. Et le problème, c’est qu’ils continuent à effectuer des tâches dangereuses », insiste l’un des auteurs du rapport, Shanto Sadhu.

Parents sensibilisés

Dans certaines exploitations, les efforts de la branche permettent toutefois de sensibiliser les parents aux risques pour les enfants, ainsi qu’à l’importance de scolariser. Le chercheur ose d’ailleurs une touche d’optimisme: « On voit aussi que si vous investissez sérieusement pour réduire le travail des enfants, ça marche ».

Contacté par la RTS, Barry Callebaut précise que « le travail des enfants n’a pas sa place dans notre chaîne d’approvisionnement. Nous condamnons fermement toute forme de travail forcé, l’esclavage et toute pratique qui exploiterait à la fois les adultes et les enfants ou qui les exposerait à des conditions de travail risqué ou pénible. » Barry Callebaut s’engage à éradiquer le travail des enfants de sa chaîne d’approvisionnement d’ici 2025. Le groupe ajoute qu’il publie chaque année les progrès réalisés dans le cadre de son « Forever Chocolate Plan ».

Nestlé, pour sa part, condamne fermement le travail forcé, très minoritaire, mais reconnaît la difficulté à lutter contre le travail des enfants sur les plantations familiales. « Aucune entreprise ne peut garantir qu’il n’y a pas de travail d’enfants dans sa chaîne de production », insiste Peggy Diby, porte-parole de la multinationale basée à Vevey (VD). « Parce que cela reste un problème très complexe. Il faut une action concertée de tous les acteurs: les gouvernements, les entreprises chocolatières, la société civile mais aussi les familles elles-mêmes ». Nestlé dit investir dans sa chaîne d’approvisionnement pour réduire le travail des enfants.

Progrès trop lents

International Rights Advocates estime, pour sa part, que ces efforts prennent trop de temps. Et passe par la justice américaine, espérant accélérer le mouvement. « La ligne de défense des chocolatiers, c’est de dire qu’ils travaillent à mettre fin au travail des enfants. Mais en réalité, ils n’ont toujours pas arrêté », martèle Terrence Collingsworth.

 

yogaesoteric
14 avril 2022

 

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