Hypostases et attributions de la Grande Puissance Cosmique Tara
Certains textes de la spiritualité tibétaine (comme Shaktisangama Tantra) englobent les particularités des Grandes Puissances Cosmiques Kali, Tara, Tripura Sundari et Chinnamasta dans la manifestation d’une seule grande déesse. De plus, souvent, dans le cadre de la même tradition du bouddhisme tantrique tibétain nous rencontrons l’équivalence de Tara avec Kali (en ce qui concerne les fonctions cosmiques, les traits et les particularités de ces divinités).
Dans les textes bouddhistes, la première et la plus importante du groupe de divinités qui émanent d’Akshobya est Mahachinna Tara, qui est aussi connue comme Ugra Tara (Tara dans son aspect terrible, telle qu’elle est présentée dans la tradition tantrique hindoue).
Une autre forme de Tara est Ekajata Tara, de laquelle on dit quelle a été révélée en Inde par le grand sage et libéré Nagarjuna, après qu’il ait pris la forme d’adoration de celle-ci pour le Tibet. Quant à cet aspect, il existe pourtant à présent certains points d’interrogation sur l’initiateur de cette forme d’expression de Tara, étant donné que Nagarjuna a vécu entre le I-er et le II-e siècle après J.C., et que le bouddhisme tantrique tibétain a commencé à se mettre en évidence à peine au VII-e siècle après J.C.
La troisième forme principale de Tara est mentionnée comme étant Nila Saraswati Tara (qui est souvent comparée à Ugra Tara). La tradition affirme que cette expression ou forme de Tara a pour origine le lac Chola, qui se trouve près de la montagne sacrée Meru. Ainsi, pendant que Nila Saraswati pratiquait certaines formes de tapas (ou austérités) au bord de ce lac, son énergie pure “est tombée” dans l’eau et à partir de ce moment a offert la couleur bleue au corps de la déesse. Nous précisons le fait que, bien que le panthéon bouddhiste tantrique tibétain mentionne différents aspects de la déesse Tara, elle n’est pas vue comme l’une des Dix Puissances Cosmiques de la tradition tantrique hindoue.
Mais nous pouvons remarquer l’existence d’un groupe de divinités féminines, qui est dans un certain sens similaire comme forme de la Grande Puissance Cosmique Tara, manifestant différents pouvoirs paranormaux et offrant différents dons spirituels et même d’ordre matériel (dans le sens de faciliter l’obtention la prospérité matérielle) aux adorateurs sincères et fidèles. L’une des caractéristiques principales de ces divinités est qu’elles sont souvent présentées chevauchant un animal et étant entourées de nombreuses entités angéliques qui les accompagnent partout, les servant avec dévotion en stricte conformité avec la position hiérarchique que ces divinités occupent dans ce cortège.
Du fait que l’une de ses attributions cosmiques est celle de nous sauver ou de nous libérer des ennuis ou des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans la vie (lorsque nous lui demandons cela avec ferveur et sincérité), Tara se ressemble dans une certaine mesure à la déesse Durga (qui est l’une des hypostases de manifestation de la Grande Puissance Cosmique Kali). Pour cette raison, elle est parfois nommée Durga-Tara. Mais tandis que Durga signifie le pouvoir d’éloigner et de détruire tout obstacle, difficulté ou force négative qui nous agresse, Tara représente le pouvoir qui nous fait sublimer presque instantanément ces aspects et les dépasser ainsi avec succès. Autrement dit, Tara est le pouvoir même qui nous aide à transcender tous les aspects inférieurs et ignobles de notre vie. De cette perspective, non que la déesse nous sauve des dangers imminents, mais aussi elle nous offre la possibilité d’accéder rapidement aux niveaux de plus en plus élevés de la connaissance spirituelle.
Étant donné que le dernier et le plus difficile obstacle que nous avons à dépasser est notre mental, Tara nous aide à passer facilement au-delà des pensées et des vagues turbulentes des idées qui prennent naissance à chaque fois dans le mental. Cette action purement spirituelle de la déesse est simple à comprendre si nous remarquons le fait que le mental (avec toutes les fonctions et les énergies subtiles qu’il manifeste) ne représente pas autre chose qu’une partie ou qu’un fragment du Logos Divin Suprême. En effet, Tara est l’énergie gigantesque et extrêmement subtile du son non-manifesté, qui transcende la Manifestation.
D’autre part, la Création ou la Manifestation même ne représente pas autre chose qu’une modulation sur une infinité de fréquences de vibrations de l’énergie infinie du Logos (ou du Verbe) Primordial de Dieu. Donc, dans cette perspective, Tara peut aussi être regardée comme un véritable créateur et en même temps destructeur de la Création entière, lorsque ces actions (d’émanation et de destruction ou de résorption) sont considérées depuis la perspective des énergies phonématiques du Logos Divin. Dans cette hypostase, Tara “contient” en elle-même tous les mantras qui existent. Par exemple, pour utiliser et assimiler correctement le sens spirituel profond d’un mantra qui synthétise un aspect macrocosmique très élevé et pour être capables de nous identifier de manière plénière à l’énergie subtile et béatifique de ce mantra, la grâce de la Grande Puissance Cosmique Tara est indispensable et elle doit être invoquée avec une grande dévotion et une grande aspiration. Toujours par la grâce de la déesse est acquise l’inspiration poétique sublime ou le talent oratoire. La tradition tantrique affirme que celui qui est en totalité dévoué à la grande déesse ne pourra jamais être vaincu dans les débats ou les argumentations de toute sorte (spécialement dans le domaine de la spiritualité), et son talent littéraire sera surprenant, dépassant de loin les possibilités d’expression artistique des autres êtres humains.
Un autre aspect important en ce qui concerne l’action de la Grande Puissance Cosmique Tara au niveau du microcosme de l’être humain est que la déesse représente aussi laforce purificatrice des souffles praniques subtils qui animent tout être humain vivant. De même que le souffle subtil universel indifférencié (prana), le son subtil (shabda) se manifeste dans l’éther (akasha) omniprésent.
Par conséquent, Tara nous aide par l’intermédiaire de l’énergie de la connaissance (jnana shakti) à traverser les “eaux sombres” du samsara, parce que toute la connaissance ne représente pas autre chose qu’une aspiration continue vers l’éternité et l’infini de la Réalité Suprême. Dans la tradition tantrique hindoue, la Grande Puissance Cosmique Tara est le son très subtil qui perçoit et en même temps révèle la Vérité, parce que le son n’est pas différent de l’énergie de la connaissance et de la perception. Pour cette raison, dans certains textes de la sagesse hindoue, Tara est adorée comme la Grande Déesse de la Conscience Suprême de Dieu.
Ainsi, dans son immense compassion pour les êtres humains limités de la Création, Tara favorise la perception et l’accumulation du nectar divin (soma) dans notre corps, résonnant ainsi surtout avec les aspects ésotériques, mystérieux et occultes de la connaissance profane. Dans la mythologie des Puranas (qui sont des textes de la spiritualité hindoue de l’antiquité), Tara est la femme de Jupiter, mais, de même, elle a une liaison d’amour, secrète, avec la Lune. Par conséquent, Tara nous se dévoile comme ayant une nature duale : d’une part, elle soutient et dévoile la connaissance (Jupiter), et d’autre part, elle révèle la pure béatitude spirituelle (ananda) ou l’extase divine infinie (Lune). De sa mystérieuse liaison d’amour avec la Lune, Tara a donné naissance à un fils, Mercure (planète qui détermine la manifestation des résonances profondes avec les aspects mentaux pratiques, avec l’intelligence et l’habileté oratoire).
Dans la tradition tibétaine, supérieur à un dieu ou à une déesse existe un bouddha, un être qui a définitivement transcendé le cycle de la vie et de la mort. En tant qu’illuminé, un bouddha a obtenu la sagesse, la compassion et des capacités extraordinaires. Les bouddhas intègrent tous les aspects et les possibilités de l’existence. Ils sont un avec tout ce qui existe. Ils peuvent manifester des corps de lumière et de brillance et peuvent faire apparaître différentes formes de corps dans ce monde pour aider les êtres de ce monde confus et provocateur. Tara, se trouvant au-delà de toutes ces conditions, elle est aussi nommée la Mère de tous les Bouddhas.
Au Tibet on croît qu’elle est incarnée en chaque femme pieuse, parce que par les deux femmes – la princesse chinoise et la princesse népalaise – du premier roi bouddhiste du Tibet, Srong-brtsan-sgam-po, qui sont identifiées aux deux formes majeures de Tara : Tara la Blanche et Tara la Verte. Un troisième aspect de Tara est Tara la Rouge.
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-Tara la Blanche (en sanskrit: Sitatara; en tibetană: Sgrol-dkar) s’est incarné dans la princesse chinoise. Elle symbolise la pureté et est souvent décrite assise du côté droit de son consort, Avalokiteshvara, ou assise avec les jambes croisées, tenant dans la main une fleur de lotus épanouie. Elle est décrite en général comme ayant trois yeux. Tara la Blanche, la Mère de tous les Bouddhas, est celle qui confère la longévité et énergise ceux qui la visualisent, pouvant ensuite utiliser cette énergie pour leur pratique spirituelle. -
-Tara la Verte (en sanskrit: Syamatara; en tibetain: Sgrol–ljang) s’est incarnée dans la princesse népalaise selon la tradition. Elle est devenue Tara la Verte une fois qu’elle fut descendue dans le monde de la manifestation. Elle est représentée comme une jeune, joueuse, alors que Tara la Blanche est représentée comme une femme mûre et sage. Tara la Verte est la plus douce et la plus sincère manifestation de Tara. Elle nous guide dans notre ascension vers l’illumination. Tara appartient à la famille Karma, symbolisée par sa couleur verte et est la contrepartie pleine de sagesse du Transcendantal Bouddha Amogasiddhi. Elle est décrite en position assise sur une fleur de lotus avec la jambe gauche placée sur la cuisse droite, et la jambe droite au sol. Sa main gauche est placée dans la région du cœur avec la paume vers l’extérieur, le pouce et l’annulaire s’unissent et les autres trois doigts sont orientés vers le haut, réalisant ainsi le mudra qui confère de la protection. Sa main droite est posée sur le genou droit, en réalisant avec la paume le mudra de la générosité. -
-Tara la Rouge (Kurrukulla). Elle représente l’énergie passionnelle. Sa couleur rouge-doré éveille également l’amour charnel et l’amour spirituel. Elle danse au-dessus du démon Rahu (l’ignorance), le détruisant. L’arc avec ses flèches percent toutes les difficultés, la main droite orientée vers le sol, réalise le geste de la stabilité, abayah mudra. La guirlande de crânes indique le fait qu’elle est une forme tibétaine de Kali, celle qui transforme la mort en vie. Elle confère de la santé et une existence pleine de joie à tous ses adorateurs.
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