La pratique spirituelle signifie une volonté affirmée et réaffirmée fortement (1)
Fragment de l’ouvrage Je suis. Dialogues à propos de l’Absolu par Nisargadatta Maharaj
Question :
Les occidentaux qui viennent vous voir se trouvent confrontés à une difficulté spécifique. La notion-même de l’homme libéré, réalisé, d’un connaisseur du Soi, d’un connaisseur de DIEU, d’un homme au-delà du monde leur est inconnue. Tout ce qu’ils ont, dans leur culture chrétienne, c’est l’idée du saint – un homme pieux, vivant dans la loi, craignant DIEU et aimant son prochain, dévot, parfois sujet a des extases et dont la sainteté est confirmée par quelques miracles. L’idée-même de JNANI est étrangère à la culture occidentale, elle leur parait quelque peu exotique et plutôt incroyable. Et même quand ils acceptent son existence, ils regardent le JNANI avec suspicion, comme un cas d’euphorie auto-induite par des postures physiques et des attitudes mentales bizarres. La seule idée d’une autre dimension de la conscience leur parait improbable, impossible. Ce qui les aiderait serait d’entendre un JNANI exposer son expérience de la réalisation, ses causes et ses débuts, ses progrès et son accomplissement, ainsi que sa mise en pratique réelle dans la vie quotidienne. Tout ce qu’il dirait pourrait paraître étrange, dépourvu de sens même, il en resterait malgré tout un sentiment de réalité, une atmosphère d’expérience véritable, ineffable et cependant réelle, l’intuition d’un centre, d’où il serait possible de vivre une vie exemplaire.
Maharaj : L’expérience peut être incommunicable. Pourriez-vous communiquer une expérience ?
Q : C’est possible, oui, si vous êtes un artiste. L’essence de l’art est de communiquer les sensations, l’expérience.
M : Pour recevoir la communication il faut que vous soyez réceptif.
Q : Bien sûr, il faut un récepteur. Mais si l’émetteur ne transmet pas, à quoi sert le récepteur ?
M : Le JNANI appartient à tout le monde. Il se donne infatigablement et sans retenue à tous ceux qui viennent à lui. S’il n’est pas dispensateur, il n’est pas un JNANI. Tout ce qu’il a, il le partage.
Q : Mais peut-il partager ce qu’il est ?
M : Vous voulez dire, peut-il faire d’une autre personne un JNANI ? Oui et non. Non, puisqu’on ne fait pas un JNANI, il se réalise lui-même en tant que JNANI, quand il retourne à sa source, sa nature réelle. Je ne peux pas vous transformer en ce que vous êtes déjà. Tout ce que je peux faire, c’est de vous raconter mon voyage, et de vous inviter à faire le même.
Q : Ça ne répond pas à ma question. J’ai dans l’esprit l’occidental, critique et sceptique, qui nie la possibilité-même de plus hauts états de conscience. Dernièrement les drogues ont fait une brèche dans son incrédulité, mais sans changer son a priori matérialisme. Drogues ou pas drogues, le corps reste le fait important, le mental vient en second. Et au-delà du mental il ne voit rien. Depuis le Bouddha on a décrit l’état de réalisation de soi par des négations « Pas ceci, pas cela ». Est-ce inévitable ? S’il n’est pas possible de le décrire, ne peut-on pas l’illustrer ? J’admets que toute description verbale est inopérante quand l’état à décrire est au-delà des mots. Et pourtant il est aussi à l’intérieur des mots. La poésie est l’art de rendre l’inexprimable par des mots.
M : Les poètes religieux ne manquent pas. Tournez-vous vers eux pour obtenir ce que vous voulez. En ce qui me concerne, mon enseignement est simple faites-moi, un temps, confiance et faites ce que je vous dis. Si vous persévérez vous verrez que votre confiance était justifiée.
Q : Et que faire avec les gens qui, bien qu’intéressés, sont incapables de confiance ?
M : S’ils peuvent rester avec moi un certain temps, ils en viendront à avoir confiance en moi. Et quand ils auront confiance en moi, ils suivront mes conseils et trouveront par eux-mêmes.
Q : Ce que je vous demande, ce n’est pas au sujet de l’éducation, mais de ses résultats. Vous avez eu les deux. Vous êtes disposé à nous raconter votre éducation, mais quand on en vient aux résultats, vous ne partagez plus rien. Vous nous dites que votre état est au-delà des mots, ou qu’il n’y a pas de différence que là où nous voyons une différence, vous n’en voyez pas. Dans tous les cas nous restons sans aucun aperçu de votre état.
M : Comment voulez-vous avoir un aperçu de mon état quand vous n’avez aucun aperçu du vôtre ? Quand l’instrument de la vision manque, n’est-il pas important de le trouver d’abord ? Vous êtes comme un aveugle qui voudrait apprendre la peinture avant d’avoir retrouvé la vue. Vous voulez connaître mon état – mais connaissez-vous celui de votre femme ou de votre domestique ?
Q : Je ne vous demande que quelques indications.
M : Je vais vous en donner une très importante – là où vous voyez des différences, je n’en vois pas. Pour moi, c’est suffisant. Si vous pensez que ça ne l’est pas, je ne peux que répéter c’est suffisant. Pensez à ça, profondément, et vous finirez par voir ce que je vois.
Il semble que vous vouliez jouir d’une pénétration instantanée, mais vous oubliez que l’instant est toujours précédé d’une longue préparation. Le fruit tombe brusquement mais sa maturation prend du temps.
Après tout, quand je vous parle de me faire confiance, ce n’est que pour peu de temps, juste assez de temps pour vous mettre sur la voie. Plus vous aurez d’ardeur, moins vous aurez besoin de foi parce que très tôt vous découvrirez que votre foi en moi est justifiée. Vous voulez que je vous prouve que je suis digne de confiance. Comment le pourrais-je, et pourquoi ? Après tout, ce que je vous offre, c’est une approche opérationnelle bien connue dans les sciences occidentales. En général, quand un savant vous décrit une expérience et ses résultats vous faites confiance à ses déclarations et vous répétez l’expérience telle qu’il l’a décrite. Une fois que vous avez obtenu les mêmes résultats, ou des résultats similaires, vous n’avez plus besoin de lui faire confiance vous faites confiance à votre propre expérience. Encouragé, vous poursuivez et en définitive vous arrivez à des résultats substantiellement identiques.
Q :
L’esprit indien a été préparé à l’expérimentation métaphysique par la culture et l’éducation. Pour un indien des mots tels que perception directe de la Réalité Suprême ont un sens et font surgir des réponses des profondeurs-mêmes de son être. Pour un occidental, ils ne veulent pas dire grand-chose. Même s’il a été élevé dans une des variétés du christianisme, ses pensées ne vont pas au-delà d’une conformité aux commandements de DIEU et aux recommandations du Christ. Une connaissance directe de la réalité est non seulement au-delà de ses ambitions, mais encore au-delà de ce qu’il peut concevoir. Des indiens me disent : « C’est sans espoir. L’occidental n’y arrivera pas parce qu’il ne peut pas. Ne lui dites rien de la réalisation de soi laissez-le vivre une vie utile et gagner le droit de renaître en Inde. Alors, il aura une chance ». D’autres me disent : La réalité est pour tous, également, mais tous ne sont pas également dotés de la même faculté de la saisir. La faculté viendra avec le désir, qui se développera en dévotion et enfin, en une totale consécration de soi. Avec l’intégrité, le sérieux et une détermination de fer à surmonter tous les obstacles, l’occidental a les mêmes chances que l’oriental. Tout ce dont il a besoin, c’est que son intérêt soit éveillé. Et pour que son intérêt pour la connaissance de soi s’éveille, il a besoin d’être convaincu de ses avantages.
M : Croyez-vous qu’il soit possible de transmettre une expérience personnelle ?
Q : Je ne sais pas. Vous parlez de l’unité, de l’identité du voyant et de ce qui est vu. Quand tout est un, la communication devrait être possible.
M : Pour avoir une expérience directe d’un pays, il faut y aller et y vivre. Ne demandez pas l’impossible. La victoire spirituelle d’un homme bénéficie à toute l’humanité sans aucun doute, mais pour qu’elle bénéficie à un autre individu il faut qu’il y ait une relation personnelle intime. Une telle relation n’est pas accidentelle et ce n’est pas tout le monde qui peut s’en réclamer. D’un autre côté, l’approche scientifique est pour tout le monde. « Faites confiance, essayez ». Qu’avez-vous besoin de plus ? Pourquoi pousser la Vérité de force dans des gorges réticentes ? Et de toute façon ce n’est pas possible. Sans quelqu’un qui reçoive, que peut faire celui qui donne
Q : L’essence de l’art, c’est d’utiliser la forme extérieure pour communiquer l’expérience intérieure. Bien sûr, on doit être sensible au monde intérieur avant que l’extérieur ne puisse avoir un sens. Comment développe-t-on sa sensibilité ?
M : Vous pouvez retourner le problème dans tous les sens, on en revient toujours au même : ceux qui donnent sont nombreux, où sont ceux qui reçoivent ?
Lisez la deuxième partie de cet article
yogaesoteric
24 janvier 2020
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