L’addiction aux réseaux sociaux, nouveau fléau de santé publique
De plus en plus de chercheurs alertent sur les effets inquiétants des réseaux sociaux sur le cerveau, et sur leurs dangers pour les adolescents. Facebook a que la consommation de contenus, quand elle est passive, peut avoir un impact négatif sur le bien-être.
Jean Twenge, professeur en psychologie à l’université de San Diego, étudie les différences de santé mentale entre générations depuis vingt-cinq ans. Il y a cinq ans, elle a remarqué que les courbes de plusieurs paramètres qu’elle surveille régulièrement s’étaient effondrées depuis 2012 : la fréquence des rencontres entre jeunes, la proportion de lycéens possédant un permis de conduire, ayant déjà eu des relations sexuelles ou un simple rendez-vous. Dans le même temps, le pourcentage d’adolescents dépressifs, déclarant se sentir seuls et commettant des tentatives de suicide a atteint des sommets, explique-t-elle dans son livre « iGen », le surnom qu’elle donne à la génération née entre 1995 et 2012.
Celle-ci souffre de « la pire crise de santé mentale depuis des décennies », estime Jean Twenge. Et le coupable serait le smartphone. Les adolescents « scrolleraient » infiniment sur les réseaux sociaux, se renfermant sur eux-mêmes et souffrant de la comparaison avec leurs pairs qui mettent en scène leur quotidien sur Facebook ou Instagram. Ils n’arriveraient même plus à se séparer de leurs portables la nuit, certains chercheurs parlant de « nomophobia » – pour « no mobile phobia ». Un problème qui n’épargne pas les adultes, mais qui touche encore plus les jeunes ayant grandi avec un téléphone dans les mains.
Des peurs similaires sur l’effet des télévisions, des ordinateurs et des consoles de jeux vidéo ont été exprimées lors de leur arrivée dans les foyers. Et si la corrélation entre-temps passé sur son smartphone et dépression existe, la causalité reste difficile à prouver : est-ce sa consultation qui affecte la santé mentale, ou les personnes déjà fragiles qui passent plus de temps en ligne ?
Circuit de la récompense
Ce que les chercheurs commencent à pouvoir affirmer, c’est que les réseaux sociaux ont un effet sur le cerveau proche de certaines substances addictives, comme la cigarette. Ofir Turel, professeur en systèmes d’information à l’université de Californie, a prouvé que « l’usage excessif de Facebook est associé à des changements dans le circuit de la récompense ». Car, contrairement à la télévision, les réseaux sociaux offrent des « récompenses variables » : l’utilisateur ne sait jamais combien de likes il va récolter ou sur quelles vidéos il va tomber. « C’est comme si on plaçait des gourmandises différentes chaque jour dans votre frigo : vous auriez beaucoup de mal à résister à l’envie de l’ouvrir », explique-t-il.
Le National Institute on Drug Abuse, un institut de recherche public américain, se demande même si la baisse de la consommation d’alcool et de drogues dures chez les adolescents est liée à l’usage des smartphones – une addiction en remplaçant une autre. D’autres chercheurs pointent l’influence négative des smartphones sur les capacités cognitives : une étude de l’université de Chicago montre que leur simple présence diminue la faculté à mémoriser, raisonner et résoudre de nouveaux problèmes.
Réaction de Facebook
Pendant longtemps, Facebook est resté silencieux sur ce sujet. Difficile pour lui d’admettre les dangers de ces fonctionnalités addictives, car elles sont au coeur de son business model : faire que les utilisateurs passent le maximum de temps sur sa plate-forme pour vendre le plus d’espaces publicitaires possible.
Mais le réseau social a dû faire face à une charge de plus en plus vive d’anciens responsables mettant en garde contre le « monstre » que Facebook avait créé. La critique la plus vive est venue mi-novembre de Chamath Palihapitiya, ancien vice-président de la société, lors d’un discours devant des étudiants à Stanford. « Nous avons créé des boucles déclenchant des réactions de court terme nourries à la dopamine (un puissant neurotransmetteur, NDLR) qui sont en train de détruire le fonctionnement de la société », a-t-il déclaré, évoquant son « immense sentiment de culpabilité » et expliquant ne pas vouloir « mettre cette merde » dans les mains de ses enfants.
Pour Facebook, l’outil est « neutre »
En décembre 2017, Facebook s’est enfin décidé à réagir, en levant le voile sur les travaux d’une équipe de recherche dédiée à répondre à une question : « Est-ce que passer du temps sur les réseaux sociaux est mauvais pour nous ? » Cette interrogation est « cruciale pour la Silicon Valley », affirment David Ginsberg, le directeur de la recherche de Facebook, et Moira Burke, chercheuse de Carnegie Mellon, débauchée par le groupe en 2012 pour travailler sur ce thème.
Leur conclusion ? L’outil est neutre – tout dépend de son utilisation. Certes, ils admettent les effets négatifs de la consommation passive de contenus – le « scroll » sur le fil d’actualités, les clics sur des liens. Mais les interactions avec des proches à travers des commentaires et des messages, ainsi que l’utilisation du réseau social pour se remémorer des souvenirs « améliorent le bien-être », affirment-ils.
Facebook se dit prêt à faire évoluer le réseau social en fonction de ces résultats, quitte à « diminuer les indicateurs de participation des utilisateurs sur le court terme », une approche faisant écho à la déclaration de Mark Zuckerberg selon laquelle « la protection de notre communauté est plus importante que la maximisation de nos profits ». La société va également donner 1 million de dollars pour financer des recherches visant à mieux comprendre l’impact des technologies sur les enfants.
Si Facebook ne se prononce pas encore sur ce sujet, le choix que les « techies » font pour l’éducation de leur propre progéniture est intéressant. Les écoles suivant la méthode Steiner Waldorf, qui ont banni la présence des écrans pour leur préférer les livres, les crayons et les aiguilles de couture, rencontrent ainsi un grand succès dans la Valley. « 75 % des enfants qui y sont inscrits ont des parents travaillant dans la tech », affirme Adam Alter, professeur de psychologie à New York University.
yogaesoteric
24 février 2020
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