Le terrorisme comme outil de l’Etat profond – la politique intérieure (3)

par Franck Pengam

Lisez la deuxième partie de cet article

En 2011, la justice classera l’enquête à son propos pour détention d’images pédopornographiques. Le 30 août 2014, Coulibaly est contrôlé par une patrouille de police à Montrouge alors qu’il est avec les frères Belhoucine (aujourd’hui présumés morts en Syrie) et un quatrième homme inconnu. Mohamed Belhoucine est connu des services de renseignement français, pour son appartenance à une filière envoyant des zislamistes dans la zone pakistano-afghane dans les années 2000. Il est fiché à l’anti-terrorisme tout comme Amedy Coulibaly. Depuis 2014, Coulibaly a sa fiche au fichier des personnes recherchées, bien signée du service demandeur « AT » (Anti-terrorisme) avec la mention « PJ02 ». La mention précise que l’individu est considéré comme dangereux et appartient à la mouvance islamiste.

En suivant la procédure, la patrouille de police a informé sa hiérarchie et les services antiterroristes sur les individus qu’ils ont contrôlés. Aucune réaction de leur part. Le Monde observe que Coulibaly fréquentait donc « ce que le djihadisme hexagonal compte de plus dur, sans que cela ne suscite autre chose que de l’indifférence ». En effet, malgré ses relations avec les frères Kouachi et un parcours sensiblement similaire, il n’aurait jamais été considéré comme un objectif prioritaire. Selon Le Figaro, Amar Ramdani, un proche de Coulibaly présent Porte de Vincennes juste avant l’attaque du supermarché casher, a entretenu une relation amoureuse avec Emmanuelle C. (une sous-officier chargée du renseignement opérationnel au centre technique de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois) tout en faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et étant soupçonné de trafic de stupéfiants et d’armes. Tout ce qu’il y a de plus banal. Ceci ne l’a pas empêché de pénétrer mi-janvier en toute impunité et sans aucun contrôle, dans le fort de Rosny-sous-Bois, pour y voir son âme sœur. Cet endroit est notamment connu pour être au cœur du renseignement, car il abrite le Service central des réseaux et technologies avancées, le Service technique de recherches judiciaires et de documentation ou encore le Système des opérations et du renseignement.

Selon Médiapart, « Des gendarmes lillois et un de leurs informateurs [un certain Claude Hermant] ont été au centre d’un trafic d’armes ayant permis d’alimenter Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. S’ils n’ont rien su de la destination des armes, ils semblent bien avoir laissé filer les acheteurs ou perdu leur trace. Leur position est suffisamment délicate pour qu’ils se retranchent, courant avril, derrière le secret défense ».

C’est le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve qui a brandi le secret défense pour bloquer l’investigation de l’attentat contre l’Hyper Cacher du 9 janvier 2015.Claude Hermant est un ancien militaire et ancien membre du Département Protection et Sécurité, le service d’ordre et de renseignement interne du Front National. Ce service semble largement déborder du cadre du parti Front National, de par ses activités de déstabilisation et d’infiltration menées notamment en Afrique.

Cet homme était devenu un « indic » des douanes et des gendarmes de la section de recherches de Lille, en étant trafiquant d’armes. Des responsables policiers de ce dossier auraient donc laissé des armes parvenir à Amedy Coulibaly, notamment grâce à la sacro-sainte libre circulation des marchandises chère à la Zérope de Bruxelles. Aucune confirmation n’étant possible vu que les juges lillois se sont heurtés au secret défense dans leur tentative de déclassification des rapports concernant ces affaires. Les trois juges d’instruction en charge du dossier des attentats de janvier 2015 ont demandé le vendredi 3 juillet 2015 au ministre de l’Intérieur « la déclassification et la communication de l’ensemble des documents, rapports et notes établis par la DGSI (…), sur les surveillances (dates, nature, contenu) dont ont fait l’objet Saïd Kouachi, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly ». Ils ciblent des « dysfonctionnements » dans les surveillances supposées effectuées en 2013 et 2014 par la DGSI sur les frères Kouachi. Nous l’avons également démontré et cela semble aller bien plus loin.

La protection logique dont ont bénéficié les protagonistes du journal Charlie Hebdo avant les attentats n’aurait pas dû être levée. Les règles minimums de sécurité n’ont pas été respectées alors que le dessinateur Charb figurait sur une liste nominative de personnes à abattre d’AQPA, ce qui a été gravement négligé selon Eric Stemmelen, ancien responsable du Service de Protection des Hautes Personnalités. D’ailleurs, Cherif Kouachi se rendra à Charlie Hebdo en octobre 2014 faire des repérages et dira à un journaliste de Premières Lignes (dont les locaux sont voisins de ceux de Charlie Hebdo) en pause cigarette : « C’est bien ici les locaux de Charlie Hebdo ? C’est bien ici qu’on critique le Prophète ? De toute façon, on les surveille ! Vous ferez passer le message ».

Le témoin relatera cet échange à la police en transmettant une partie de la plaque d’immatriculation du véhicule de Chérif Kouachi. Le rapport établi à l’époque au sujet de cette scène n’est pas présent ou a disparu du dossier d’instruction des attentats de janvier 2015 à Paris. La sécurité à Charlie Hebdo était une « passoire» et a été extrêmement minimisée malgré les menaces, tant dans la protection des victimes que dans la surveillance des assaillants. L’épouse du dessinateur Georges Wolinski a également porté plainte contre X pour homicide involontaire aggravé, pointant ces failles dont son mari se plaignait. En bilan de ses attentats survenus en France, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve déclara le 4 septembre 2015 que « beaucoup de ceux qui ont été engagés dans des opérations à caractère terroriste ont, plus ou moins, parfois, été rencontrés par nos propres services de renseignement ». Nous le verrons d’autant mieux avec le cas suivant.
 
Attentats de Mars 2012 à Montauban et à Toulouse :

Mohammed Merah était un multirécidiviste patenté. Considéré comme islamiste radical « susceptible d’attenter à la sûreté de l’État », sa fiche des services de renseignement créée dès 2006 a disparu en 2008, pour qu’une nouvelle réapparaisse en novembre 2011. Cet individu était entretemps décrit par la DCRI comme quelqu’un de « fiable »selon un document classé secret-défense consulté par Paris-Match, ce qui revient à dire qu’il s’agissait au minimum d’un informateur des services secrets français. En effet, Mohammed Merah était connu de la DCRI non pas parce qu’il était « islamiste », mais parce qu’il avait un correspondant au renseignement intérieur : un élément qui « n’est pas anodin »selon Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST).

Lors des négociations avec le RAID peu avant le décès de Merah, il leur a échangé une arme contre une radio : c’était un colt 45 semi-automatique caractérisé par une modification spécifique aux forces d’élite de la police française. Autre fait étrange : une carte de visite d’un policier chargé de la sécurité de l’ancien président multirécidiviste Nicolas Sarkozy, fut également retrouvée chez Merah après sa mort. Mais remontons un peu dans le temps. Malgré sa précarité économique, Mohammed Meraha voyagé dans de nombreux pays en 2010 : en Égypte, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Israël…

Cette dernière destination est étonnante, car on ne peut pas entrer en territoire israélien comme en territoire français (sic), surtout en passant juste avant à Damas. Malgré cela, selon Haaretz cité par Slate « le jeune homme n’a pas éveillé les soupçons des hommes du Shin Bet [service de sécurité intérieure israélien] au poste-frontière ». Pourtant, l’ancien directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini a déclaré à Le Monde que Merah a été arrêté à Jérusalem en possession d’un couteau et s’en est sorti sans aucun problème. Après Israël, il ira en Afghanistan et au Pakistan. C’est en Afghanistan qui sera « officiellement » signalé à la DCRI en novembre 2010 via la Direction de la Sécurité et de la Protection de la Défense. Il sera également inscrit sur la liste d’exclusion aérienne étasunienne et sur une liste du FBI pour lien avec Al-Qaïda.

Le journaliste Daniele Raineri du quotidien italien Il Foglio, qui s’appuie sur des sources anonymes du renseignement, a suggéré que la DGSE aurait fait rentrer Merah en Israël, et que celui-ci était en fait un informateur des services français, ce qui lui aurait permis de circuler librement dans de nombreux pays. Le 19 août 2011, il a donc pu prendre l’avion pour le Pakistan sans problème, alors qu’il a fait l’objet auparavant de 1200 heures de surveillance opérationnelle et d’une inscription dans le Fichier des Personnes Recherchées ainsi que dans la base de données CRISTINA (Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et des Intérêts Nationaux) depuis au moins novembre 2010.

Moins d’un mois avant ses 6 meurtres, il avait été condamné à un mois de prison ferme. La justice l’a remis en liberté malgré un total de 18 condamnations dans son casier judiciaire, à seulement 23 ans. Beaucoup de ces faits laissent penser que Merah collaborait avec la DCRI ou encore avec les Renseignements Généraux (RG) à l’époque. Ses libérations prématurées pourraient être le fait d’une protection « venue de très haut » selon Laurence Havel du groupe de réflexion Institut Pour La Justice. Également, selon le quotidien nord-américain McClatchy (troisième plus grand groupe de presse aux États-Unis), Mohammed Merah et les frères Kouachi seraient liés aux services secrets français. Ils auraient été recrutés par le français David Drugeon, artificier du groupe Khorasan inféodé à Al-Qaïda en Syrie.

En effet, ce jeune homme serait le spécialiste en explosif accusé d’être un ancien membre des services secrets français selon ce même journal, qui appuie ces informations sur quatre officiers de service de renseignement européens qui ont totalement ou partiellement confirmé l’existence de ce transfuge. Un article d’ABC News a également confirmé les informations de McClatchy. Cette thèse a été démentie par le ministère de la Défense français et la DGSE, qui refusera de commenter. Et pour enterrer de manière définitive la version officielle de cette affaire Merah, nous vous recommandons cet incroyable débat sur l’émission Arrêt sur images du 22 juin 2012 soulignant, déjà à cette époque, les versions contradictoires du RAID et des journalistes officiels ainsi que des faits cruciaux absolument inexplicables. Finalement, les mensonges et les manipulations sont les maîtres mots de cette histoire.

Le terrorisme spectaculaire étatique

Avec l’emballement médiatique sensationnel, le terrorisme spectaculaire mobilise voire traumatise massivement les esprits à un moment donné. Nous allons analyser ce terrorisme précis, qui ne se caractérise pas par une simple poussée de folie meurtrière, mais plutôt par l’instrumentalisation de réseaux profonds agissants. L’étude consiste à dégonfler cette baudruche qu’est le terrorisme islamiste spectaculaire étatique.

Il est possible, au vu des éléments rassemblés précédemment, que de nombreux acteurs responsables d’attentats en France et en Belgique aient pu bénéficier de protections insoupçonnées (les frères Kouachi par exemple) d’une poignée d’acteurs au sein de différentes agences de renseignement et de l’administration politique. Quand de tels soutiens sont effectifs, nous y reviendrons, ils s’opèrent au sein de l’État profond. Ce concept d’État profond (Peter Dale Scott, 2010) ne relève pas d’une structure organisée et figée, mais plutôt d’un milieu hétérogène en mouvement. Il regroupe différents réseaux de hauts cadres de l’administration politique, de l’armée, du renseignement, des milieux financiers et entrepreneuriaux, qui s’allient et se concurrencent au gré des circonstances et des intérêts.

L’État profond n’est que la branche nationale de l’élite capitaliste cosmopolite mondiale, qui donne le ton en ce qui concerne les décisions majeures des politiques internationales. Point de complot mondial organisé ici ; tous ces groupes sont hétéroclites, mais ont en commun d’avoir de l’influence à grande échelle et donc de forts pouvoirs décisionnels. En effet, selon la théorie du système-monde (Immanuel Wallestein, 1974), le capitalisme est transnational par essence depuis ses origines, de même que la classe bourgeoise qui a toujours tendu vers une intégration en une unique entité bourgeoise internationale. Cette dernière forme l’État profond mondial et est extrêmement diverse ; elle peut être composée d’industriels européens, de bailleurs de fonds étasuniens, d’oligarques russes, d’émirs du pétrole des pays du Golfe, des nouveaux riches des pays émergents, etc. Les décisions prises au sein de l’État profond servent donc forcément des intérêts élevés

Nous avons montré précédemment que les terroristes au cœur des attentats ne sont pas des inconnus sortis de nulle part et l’histoire a déjà mis en lumière des cas similaires. Le concept de loup solitaire terroriste, créé ex nihilo, encore utilisé il y a quelques années (Stay-Behind, Mohammed Merah, etc.), a toujours relevé de la fable et a d’ailleurs été abandonné. Le terrorisme spectaculaire autonome demeure marginal en Occident ; il semble plutôt souvent piloté par un État profond intérieur et/ou extérieur à un territoire donné, qui l’influence, l’encadre, le finance. Il ne s’agit pas forcément de l’œuvre d’un ou plusieurs services secrets coordonnés qui organiseraient des attentats sous faux drapeau de but en blanc.
L’explication est multifactorielle ; une origine unique ne semble pas suffisante pour expliquer ces phénomènes complexes. Quand des cadres étatiques et paraétatiques sont impliqués dans ce genre d’évènements profonds, il s’agit plutôt de personnes isolées en contact au sein de différentes agences et administrations, qui dissimulent des preuves, « oublient » de transmettre des informations cruciales, minimisent la dangerosité d’un individu précis, changent la priorité de tel ou tel dossier, etc., dans l’objectif d’encourager les circonstances susceptibles de faire avancer un agenda politique ou économique.

Il peut s’agir de différentes factions, pouvant être en concurrence, opérant dans une vaste et complexe bureaucratie. En effet, des entités politiques de haut rang et appartenant à une même nation peuvent tout à fait prendre des décisions contradictoires. Par exemple, le Pentagone et le Département d’État étasuniens sont en concurrence sur de nombreux dossiers ce qui peut amener à deux politiques étrangères différentes dans un même pays donné. Durant la guerre de Bosnie (1992-1995), une faction de la CIA a enlevé des membres d’Al-Qaïda, tandis qu’une autre faction du Pentagone armait cette même organisation dans ce pays [4]. Plus récemment encore en Syrie, la milice Fursans Al-Haqq armée par la CIA, s’est faite massacrée par la coalition des Forces Démocratiques Syriennes… soutenue par le Pentagone. Des intérêts multiples divergent et se conjuguent selon les conjonctures.

Mais revenons sur le plan intérieur. Dans le secteur du renseignement, de hautes protections peuvent être données à des agents ou « indics » dans un objectif donné (obtenir des informations, favoriser des évènements, etc.). Ces situations sont instables par essence, car les allégeances de l’agent double ou triple ne sont jamais sûres et peuvent donc échapper aux services qui les instrumentalisent. Les trois derniers livres de Peter Dale Scott décrivent ces processus de manière minutieuse et implacable à l’intérieur même du système politico-économique étasunien. Il faut noter, au sujet des documents des services secrets déclassifiés ou ayant fuités, que ces informations clés que nous utilisons pour appréhender des évènements peuvent tout à fait être transmises par souci de transparence ou sentiment de justice. Mais elles peuvent également être transmises pour tromper les journalistes, l’opinion publique et même ses propres agents spéciaux (avec de faux mémos par exemple), pour garder certaines données sensibles secrètes, brouiller les pistes, court-circuiter la transmission d’une information sensible, importuner une autre administration concurrente, etc. Ces pratiques existent donc gardons l’esprit ouvert.

Lisez la quatrième partie de cet article


yogaesoteric
15 novembre 2019

 

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