Le Totalitarisme : Qu’est ce que c’est ? Un entretien avec Ariane Bilheran, normalienne, philosophe, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie et auteur (2)

La première partie de notre entrevue discute du totalitarisme et des mécanismes psychologiques utilisés. La seconde partie porte notamment sur la controverse entre Mathias Desmet et Peter Breggin.

Lisez la première partie de cet article

Selon le psychiatre Peter Breggin, nous serions la « proie » d’une série d’individus excessivement influents et possiblement, pour certains, psychopathes, qui visent à contrôler l’avenir du monde. Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, qu’il existe une clique de ploutocrates (extrêmement riches) qui ont entendu imposer leur agenda aux êtres humains qu’ils considèrent souvent comme des parasites (trop nombreux, pollueurs, porteurs de virus, etc.). Ils ne s’en cachent pas : les textes et les déclarations existent à ciel ouvert.

J’ai déjà établi une sorte de cartographie psychologique des profils au pouvoir en période totalitaire : schématiquement, nous pourrions dire que les pervers tirent les ficelles dans l’ombre, les paranoïaques élaborent le « programme » de contrôle, et les psychopathes accomplissent les basses œuvres. C’est le bal des troubles narcissiques !

Je rajoute à mon propos que, bien que la paranoïa soit classée dans les psychoses car il s’agit d’un délire de persécution qui présente l’apparence de la raison, je défends l’idée depuis des années de la pénalisation de ces profils, car ils savent très bien qu’ils nuisent. L’intention de nuire est caractérisée, elle est légitimée : en clair, le paranoïaque se dit autorisé à persécuter car il s’estime (à tort) persécuté.

Aujourd’hui, nous nageons en plein délire paranoïaque à ciel ouvert : la confusion des frontières entre humain et animal avec les chimères, la confusion des sexes, la confusion des générations, la confusion de la machine et de l’homme avec le transhumanisme, l’homme qui se prend pour Dieu à la place de Dieu, sans compter l’hypocondrie délirante, le harcèlement permanent, etc. Ce que nous vivons est du registre paranoïaque. À lire mon livre Psychopathologie de la paranoïa.

Un autre auteur ayant reçu une forte attention est le belge Mathias Desmet, et sa théorie du totalitarisme qu’il a nommée « formation de masse » ? Qu’en pensez-vous ?

Je pense que le mérite des travaux de Mathias Desmet est de faire porter l’attention sur la nature de l’endoctrinement totalitaire qui, tout simplement, rend les gens fous, et les conduit à agir comme s’ils étaient dans une secte, à commettre des actes et prononcer des discours qu’ils n’auraient jamais commis ou prononcés dans d’autres circonstances.

C’est le propre de la certitude délirante. Par exemple, j’ai entendu des gens très « biens sous tout rapport », très humains et empathiques avant cette crise, souhaiter clairement le refus des soins de santé à certaines catégories de population, ou en appeler même à davantage de maltraitance sur les enfants. C’est ce point précis qu’essaie d’expliquer Mathias Desmet, il me semble, en parlant de « formation de masse » ou encore de « formation psychotique de masse ».

Selon Breggin, la théorie de Desmet n’est pas crédible. Elle rendrait la population responsable de la psychose dont elle serait aussi victime. Qu’en pensez-vous ?

De mon point de vue, je pense que la question de la responsabilité est fondamentale, et c’est celle à laquelle nous devons impérativement et rapidement nous atteler.

Il me semble évident que ceux qui ont mis sciemment en place des mesures politiques dangereuses, maltraitantes et mortifères, au nom de la « santé », usant de manipulation à une échelle massive, sont responsables pénalement de leurs actes. Ils savent ce qu’ils font, leur sadisme et leur cynisme ne font pas de doute, d’autant qu’ils s’en réclament publiquement, dans nombre de cas.

Hannah Arendt disait d’ailleurs que, plus on monte dans la hiérarchie du système totalitaire, plus le cynisme est caractérisé.

De plus, et je voudrais insister là-dessus, j’ai beau parler de psychose paranoïaque, je souhaite dire que pour moi la tête pensante du système totalitaire, qui peut être un consortium d’individus, est une somme de pathologies paranoïaques et perverses.

Sur le plan légal, la perversion ne peut pas être exonérée de responsabilité pénale car il n’y a pas de délire. Je milite depuis des années pour la responsabilité pénale des psychoses paranoïaques, car même si dans le délire, le harcèlement d’autrui est « légitimé » par le sentiment de persécution (« je le harcèle car il me veut du mal »), dans la réalité du vécu psychique du paranoïaque, l’intention de nuire est clairement assumée, avec durée et répétition dans la fixation sur la victime.

Certains individus sont intégralement victimes de ce qui se passe, et n’ont causé aucun dommage à autrui. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde dans la population.

La dérive totalitaire a en effet permis et même encouragé des comportements dangereux et transgressifs. Elle a donné du pouvoir illégitime à des gens qui s’en sont saisis.

Lorsque, par exemple, comme on me l’a rapporté, des infirmières vaccinant des femmes enceintes ont dit « ça passe ou ça casse », elles étaient conscientes de provoquer un risque d’avortement, donc elles savaient que leur action avait une portée possiblement nuisible.

Concrètement : à qui faut-il faire porter la responsabilité ?

C’est une délicate réflexion philosophique que nous devons mener sur cette partie intermédiaire de la population qui est à la fois victime des manipulations et auteur d’actes transgressifs. Je pense que les deux critères à ne jamais écarter sont l’intention de nuire, et la conscience des conséquences de ses actes.

Considérer que nous, citoyens adultes, nous ne serions que des victimes, est infantilisant et n’est pas juste. Nous faisons partie d’un système dans lequel chacun a ses responsabilités, de même que nous avons aussi une responsabilité si nous laissons faire, si nous ne nous opposons pas, si nous ne nous informons pas.

Cela ne veut toutefois pas dire que nous serions coupables au même titre que ceux qui déploient de façon sadique et cynique un programme totalitaire sur la population. Car nous ne pouvons pas écarter la gigantesque entreprise de propagande de masse, entre autres.

Il faut déterminer aussi les surcroîts de responsabilité selon les professions. Je n’ai pas eu le temps de suivre en détail tout le débat, mais il me semble qu’il existe un paradoxe dans l’accusation portée à Desmet : si la population est sous « psychose de masse », elle est donc sous délire. Cela signifie, du point de vue du Droit pénal classique, qu’elle est exonérée de toute responsabilité car être sous hypnose et accomplir des actes sous hypnose, surtout dans le cadre d’une psychose de masse, est susceptible de rendre irresponsable du point de vue juridique.

Selon moi, Desmet ne culpabilise pas la population s’il en fait une victime de la psychose de masse. Au contraire ! Effectivement, je pense qu’il pourrait insister davantage sur l’existence d’une clique de « comploteurs » ploutocrates, mais encore une fois, s’il n’avait existé que cette clique et si personne ne lui obéissait, la dérive totalitaire n’aurait jamais eu lieu. Donc on en revient à la question de la manipulation des masses, à ce qu’elle engendre au niveau psychique — ce que j’appelle « la contagion délirante » — par le délire paranoïaque.

On en revient aussi à la question de l’établissement des diverses responsabilités selon des critères qui ne peuvent pas être la simple exonération de responsabilité au motif de ne pas savoir, ou d’avoir été manipulé.

Nous avions bien dit, il me semble, au terme du nazisme, que la simple obéissance aveugle aux ordres ne pouvait être considérée comme un facteur d’exonération de responsabilité. Il existe un devoir de désobéissance dans certaines circonstances.

Je pense indispensable de clarifier au maximum tout ceci. Je suis d’ailleurs au travail avec l’avocate Virginie de Araujo-Recchia pour établir toutes ces nuances, c’est une étude commune entre la philosophie du Droit et le Droit, qui est indispensable à faire, et il nous faut y penser dès maintenant, afin d’éviter de nouvelles injustices, de futures vengeances, ou des procès arbitraires. La civilisation doit se reconstruire selon les principes fondamentaux du Droit. C’est en tout cas mon point de vue.

Pouvez-vous nous expliquer le concept, auquel vous souscrivez, de la « contagion délirante » ? Quels sont les parallèles avec ce qu’on observe dans les sectes ?

Si un adulte est sous l’emprise d’une secte qui le pousse à commettre des crimes, qui est responsable ? La secte qui l’a poussée à commettre le crime mais ne l’a pas commis ? L’adulte qui a commis le crime ? La dérive totalitaire actuelle, en causant des chocs traumatiques sur le psychisme des individus, et en incitant à la haine, au travers des médias de masse, entraîne une perte d’empathie chez les individus.

En clair, plus quelqu’un est psychiquement confronté à de la violence, moins il est capable de se protéger, et plus il va développer ce que l’on appelle en psychologie une « désaffectivation », une perte d’émotions. Ceci entraîne des comportements automatisés pour canaliser sa propre angoisse, ainsi qu’une identification à son bourreau, dont l’individu va devenir le « porte-parole » et l’exécutant. Il n’y a alors plus à ressentir ni à réfléchir, il n’y a plus qu’à appliquer des « protocoles » de façon robotisée.

C’est ce à quoi invite la dérive totalitaire : à cette régression psychique, qui transforme une grande partie de la population en exécutants qui ne réfléchissent plus aux conséquences de leurs actes, qui ne sont plus capables de pensée critique ou encore d’empathie envers d’autres êtres humains, s’ils ne partagent pas leurs points de vue ou sont en désaccord avec eux.

Par exemple, certains disent des soignants qui ont dit « non » au faux choix entre le consentement libre et éclairé sur leur corps et leur droit au travail (donc à leurs moyens de subsistance) : « c’est bien fait pour eux », ou « qu’ils crèvent ». L’individu ne sait manifestement plus ce qu’il dit à ce moment-là, et ne se rend pas compte de la charge de haine et de l’intolérance que véhicule son propre discours, dénué d’empathie pour un autre qui, tout simplement, ne pense pas comme lui et a une autre vision de cette crise. Pourtant, il est toujours essentiel de débattre.

Vous avez fait des rapprochements entre l’époque actuelle et des temps plus anciens. Est-ce que « la nature humaine » et « l’art du pouvoir », des romains aux dirigeants actuels, en passant par Machiavel, ne changent pas ?

Ce qui m’intéresse personnellement, ce sont les invariants de la nature humaine. Je ne crois pas que nous ayons évolué du point de vue de la psychologie humaine.

En revanche, nous disposons désormais d’outils et d’instruments technologiques très sophistiqués, y compris des armes conventionnelles, nucléaires et biologiques, et c’est cela notre problème majeur.

Un autre problème majeur est le transhumanisme, qui n’est selon moi qu’un recyclage du concept de l’Übermensch, du « surhomme », cher aux nazis, avec des technologies bien plus avancées et dangereuses.

Tous ces outils dépassent notre capacité d’imagination dans les dommages qu’ils peuvent causer à l’humanité.

Avez-vous d’autres commentaires à faire pour conclure cette entrevue ?

Je crois que, plus nous prenons connaissance de ce qui est prévu pour notre humanité, plus nous prenons également conscience que nous vivons une « guerre » contre l’être humain, contre nos droits humains, contre les populations.

Nous n’avons aucun autre choix que de résister et de protéger la dimension sacrée de l’être humain.

Il peut être dangereux de parler, mais il est encore plus dangereux de se taire.

 

yogaesoteric
30 novembre 2022

 

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