Les limites du journalisme

                                                                                                                                             
                                                                                                                                                      de Ioana Marinescu
 
„Par la façon dont les rédactions sont dirigées et par l’asservissement des hiérarchies des journalistes, éditeurs, directeurs et rédacteurs, les mass médias échouent dans le rôle de servir de modèles aux credo et aux valeur démocratiques. En fait, le journalisme contribue à: a) la naissance de certaines suspicions concernant la démocratie; b) la croissance de la méfiance dans la politique et dans l’efficacité de la collaboration; c) la création d’un milieu hostile au pragmatisme et à la flexibilité en politique.” – Mihai Coman, „Les Mass médias dans la Roumanie post-communiste” 
  
Il existe des limites dans le processus journalistique. Le temps limité et le manque d’accès direct à l’information sont deux limites endémiques dans cette profession. C’est pareil avec les erreurs faites par les journalistes en travaillant sous pression. Peu de journaux admettent l’existence de ces limites, sauf lorsqu’ils le font en leur faveur, par exemple pour éviter un procès. La plupart d’eux affichent une sorte de fausse omnipuissance et ubiquité, à travers bon nombre d’articles de presse. À ces aspects on peut ajouter le fait qu’ils mentionnent de façon incorrecte les sources.
 
Il existe aussi des limites du journalisme de qualité, crées par les journalistes eux-mêmes et ceux qui contrôlent ou détiennent les journaux. L’une des plus grandes hypocrisies du journalisme conventionnel est que le récit des événements est dictée par le style du journal, par ce que nous appelons „la valeur d’information” (les jalons selon lesquels les journalistes décident d’habitude quels événements sont intéressants pour leurs lecteurs). Ce qui influence en fait la qualité et la nature du journalisme pratiqué par un journal ou autre est composé de toute une série de valeurs: du journaliste, du propriétaire de journal ou de ceux qui le contrôlent, des facteurs liés à la culture journalistique et des facteurs que tous ceux mentionnés plus haut considèrent comme les valeurs des lecteurs. Entre toutes ces valeurs il existe un conflit constant. D’autres valeurs, négatives, sont absorbées de la part des patrons et de la culture professionnelle dominante, et le travail dans la rédaction produit d’autres pressions aussi, comme l’argent qui pourrait être gagné en renonçant aux valeurs initiales, les menaces des „puissants du jour” à l’adresse de la sécurité personnelle et au bagage de préjugés personnels dont aucun journaliste ne peut se séparer complètement.
 
Les valeurs de ceux qui détiennent et contrôlent la presse sont tout à fait différentes de celles des journalistes. Bien qu’ils prétendent respecter des concepts comme la vérité, l’honnêteté, ils cherchent à gagner de l’argent et à faire de la propagande, qu’il s’agisse de l’État, de l’administration locale, des partis politiques, des compagnies multinationales, des banques, des compagnies pétrolières, des gens d’affaires ou des sponsors. La promotion de leurs points de vue, l’élimination des opposants, relater de façon erronée certains événements, pour les mettre en accord avec un intérêt commercial, ainsi que les vengeances personnelles sont des thèmes majeurs dans l’histoire de la presse. 
 
Un exemple édifiant est le cas du magnat de presse l’américain Hearst, qui, en désirant, pour des raisons concernant le tirage et ses options politiques, une guerre hispano-américaine à Cuba, avait ordonné pendant plusieurs journs la publication dans son journal, „New York Journal”, d’articles belliqueux qui déformaient la réalité, avec des titres sensationnels et aberrants : „Guerre à l’Espagne pour les américains assassinés”, „La guerre, la seule issue possible de la crise!”, „Nous nous dirigeons vers la guerre!”. L’épisode Hearst en dit beaucoup sur l’utilisation incorrecte du journalisme, pour la propagande et le profit.
 
Le pouvoir de ceux qui contrôlent la presse est évidemment dû à leur force économique ou, selon le pays, au fait qu’ils détiennent le contrôle presque exclusif des ressources d’édition et de publication. Mais ils n’ont pas besoin d’exercer ce pouvoir ouvertement, parce que leurs valeurs sont absorbées en grande mesure par la culture journalistique qui prédomine dans un journal ou dans certains types de journaux. Cette culture est une „sagesse professionnelle” qui évolue en permanence. Elle établit ce que les rédacteurs en chef considèrent comme un bon article ou ce qu’ils rejettent comme étant „ennuyeuxt”. La culture journalistique est toujours celle qui dicte l’attitude morale d’un journal et ainsi elle a une influence plus grande que tout autre canon déontologique.
 
Cette „culture” dicte ce qu’il faut admirer chez un journaliste et ce qu’on attend de sa part… Elle peut être le mieux caractérisée comme étant „l’instinct journalistique”, par instinct en comprenant l’habileté naturelle à découvrir du sens où les autres ne voient rien, soit, dans la forme vulgaire, l’art de transformer le banal en „original”. La dextérité dans la manipulation des faits, ainsi que la sélection, judicieuse en essence, de l’information qui est ensuite présentée hors du contexte réel, est souvent rencontrée dans toutes les formes du journalisme. Souvent, le journalisme omet consciemment le contexte et amplifie excessivement l’effet, à cause de ses conventions… ou bien seulement pour vendre plus d’exemplaires du journal.
 
La culture des journaux apprécie aussi, de gonfler les sujets et le narratif facile. Dans ce sens il faut, bien sûr, un certain talent, mais aussi l’extrapolation de faits et des sens des mots pour réaliser une construction attractive pour le lecteur. Même si chaque composant peut être justifier de façon plausible, l’article fini représente un mensonge.
 
Même dans le cas des journaux plus sérieux le processus de rédaction et d’édition des articles n’est pas étranger à cette corruption. Elle commence à partir des rédacteurs coordonnateurs qui prétendent „travailler un peu l’article” pour le façonner. Souvent on arrive à un article „gonflé”, auquel on offre une brillance synthétique, en exagérant au maximum les implications des faits pour produire une image d’ensemble incorrecte.
 
Dans notre pays, l’exercice journalistique a été défini pendant des années par improvisation et non pas par des procédures, ce qui veut dire que le journalisme a été conçu, tant par ceux qui le pratiquaient, que par ceux qui bénéficiaient de ses produits, comme une simple occupation et non pas comme une profession.
 
Finalement les journalistes ont à disposition une seule façon de réagir: de développer des standards et des habiletés universelles et d’agir en conformité avec ceux-ci. Si les journalistes font cela, ils peuvent vaincre les limites. Chaque jour, dans le monde entier, de telles limites sont vaincues. Les reporters dévoilent la corruption, ils découvrent la négligence, ils révèlent les dangers, ils démasquent les criminels et écrivent sur des faits que, d’ailleurs, d’autres voudraient cacher.
 
Dans ces conditions, ceux qui travaillent dans les mass médias se retrouvent dans une situation caractérisée par l’ambivalence: en tant que représentants de la presse ils ont gagné un certain prestige social, mais ils sont devenus simultanément des cibles de la pression de la part du politique et des forces de l’économie de marché. Les journalistes jouissent d’une certaine visibilité, mais ils souffrent aussi du manque de confiance et de fidélité de la part de l’audience; ils prétendent d’avoir une mission, mais leur prétention est stigmatisée par les erreurs professionnelles.
 
BIBLIOGRAPHIE:
Randall, David, „Le journaliste universel – guide pratique pour la presse écrite”,
 Ed. Polirom, Iassy, 1998
Coman, Mihai, „Les Mass médias dans la Roumanie post-communiste”,
Ed. Polirom, Iassy, 2003

 
 
yogaesoteric
juin 2007
 

Also available in: Română

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