Les vertus du silence
Le silence est-il d’or ? Si de nombreuses études ont révélé les effets néfastes du bruit sur la santé, très peu de travaux se sont penchés sur les bienfaits du silence. Les données disponibles montrent néanmoins que le silence est nécessaire à la santé auditive et au bien-être.
Le son du silence
« Le silence est devenu une denrée rare et luxueuse dans le monde actuel » explique le psychiatre Christophe André, qui a beaucoup œuvré à introduire la méditation dans le cadre hospitalier. On est environné par un monde extrêmement bruyant : musique, télévision, circulation…
Qu’il soit subi ou choisi, ce bruit se révèle nocif pour le corps comme pour l’esprit. Le bruit fatigue, rend irritable, trouble le sommeil, augmente les hormones du stress et le risque cardiovasculaire. Il altère l’audition, provoque des acouphènes, diminue la mémoire, les facultés cognitives et les capacités de concentration, favorise la déprime et la baisse de motivation. D’autres impacts délétères ont également été signalés, notamment une réduction des défenses immunitaires.
« De nombreuses études ont mis depuis longtemps en évidence les effets stressants des environnements sonores agressifs : pas seulement sur nos oreilles ; mais aussi sur notre bien-être, notre santé et nos performances » ajoute le Docteur Christophe André.
En 2012, un rapport de l’Académie de Médecine a fait le point sur l’ensemble des travaux publiés. La liste des effets délétères du bruit est longue. On estime même que 3% des décès cardiaques par maladie ischémique (infarctus principalement) lui seraient dus. Le bruit tue !
Le silence stimule la repousse neuronale
Les déserts sont les lieux naturels les plus silencieux, avec un niveau sonore ne dépassant pas 10dB.
Et le silence ? « Le silence est sans doute bon pour le cerveau mais il existe très peu d’études pour le prouver » regrette Christophe André.
L’une d’entres-elles est pourtant très intéressante. Publiée en 2013, cette étude montre que des souris adultes exposées à deux heures de silence par jour développaient de nouvelles cellules dans leur hippocampe, cette région du cerveau dédiée notamment à la mémoire, aux apprentissages et aux émotions. L’exposition à la musique de Mozart, reconnue par de nombreux travaux comme ayant des effets bénéfiques pour la santé (elle diminuerait notamment le cholestérol et les triglycérides sanguins, abaisserait la fréquence cardiaque et la tension artérielle), favorise elle aussi la neurogenèse dans cette petite zone de l’hippocampe. « Ce qui a le plus surpris les chercheurs, c’est le fait que le silence a eu un effet plus prononcé que Mozart ! » explique le Dr André. La musicothérapie est donc efficace, mais la « silencothérapie » le serait encore plus. Cette étude conforte les travaux menés en 2006 par le cardiologue Luciano Bernardi. Il constatait alors que deux minutes de silence pendant une musique douce étaient plus relaxantes que la musique elle-même.
Si peu d’études ont réussi à mesurer l’impact du silence sur la santé, l’expérience le montre clairement : le silence apaise, ralentit le tempo de la respiration, le rythme cardiaque… Pour quelle raison le silence serait à ce point bénéfique ?
« D’abord parce que c’est une absence de bruit » résume le Professeur Paul Avan, responsable du laboratoire de biophysique neurosensorielle à l’université de Clermont-Ferrand et spécialiste des surdités congénitales.
« L’oreille a besoin de silence pour se reposer, se régénérer, recharger ses réserves et réparer les éventuelles lésions qu’elle a subies. »
Pour Paul Avan, ce n’est pas seulement le silence qui est bénéfique mais l’alternance entre les sollicitations auditives et une forme de mise au repos.
« L’organisme a besoin de contrastes. Dans notre cerveau, nos neurones ont deux caractéristiques : leur seuil, c’est-à-dire la stimulation à partir de laquelle ils se déclenchent, et le moment où ils saturent. »
Le cerveau a besoin de jouer habillement sur toute la palette de ces stimulations.
Réduire le bruit et accéder au silence
La technologie, qui a permis aux gens de s’assourdir avec des casques et hauts parleurs de plus en plus puissants, offre aujourd’hui des solutions pour reconquérir le silence. Au premier chef les casques anti-bruit passifs ou actifs et bientôt des dispositifs qui seront capables de « filtrer les bruits gênants » dans les habitations en créant des contre-bruits en opposition de phase.
L’architecture n’est pas en reste. Les sound studies s’intéressent notamment aux questions de réverbération du son dans les environnements urbains. « On va arrêter de penser la ville uniquement sur le visuel mais aussi sur le sonore » se réjouit Christian Hugonnet, qui a dédié la journée du 25 janvier de la Semaine du Son à ce thème. Le silence a été également la thématique choisie par l’Observatoire de la Maison pour la saison 2017/2018, qui a nourri notamment l’espace « Inspirations » du salon Maison & Objet 2017, du 20 au 24 janvier .
Quand le silence rend fou
Les chambres anéchoïques (ou chambres sourdes) sont des espaces ultra-insonorisés, dont les parois absorbantes ne renvoient aucune des vibrations sonores qu’elles reçoivent. Utilisées pour analyser des sons purs ou par certains industriels pour étudier la nuisance sonore produite par les appareils qu’ils commercialisent, ces chambres sourdes sont également l’occasion d’observer le comportement humain dans un environnement totalement silencieux. Et là, surprise : le vrai silence rend fou ! Hallucinations auditives, impression d’entendre le sang qui circule dans son corps, mais aussi pertes d’équilibre. Car l’oreille n’est pas seulement organe de l’audition, elle sert aussi à tenir debout.
« La verticalité repose sur la proprioception, les informations visuelles, l’oreille interne mais aussi tous ces micro-indices comme le bruit de nos pas, la réverbération des sons sur les parois. Sans ces indices, nous sommes perdus » confirme le Pr Avan, qui réalise diverses expériences dans une chambre anéchoïque. Steve Orfield, le concepteur de la chambre sourde de la Nasa, où le niveau sonore est de 9,4 décibels, confirme : rester seul dans le silence de cette chambre est un supplice. Des journalistes sont parvenus à y rester près de 45 minutes dans le noir, c’est un record. Steve Orfield lui-même ne dépasse pas la demi-heure.
yogaesoteric
15 septembre 2018