Anxiété, dépression, suicide… Le cerveau humain ressent le champ magnétique terrestre et est sensible aux changements cycliques de son activité (I)

Le champ magnétique dans lequel notre planète est enveloppé fait office de boussole pour la navigation ou l’orientation de certaines créatures. Les oiseaux migrateurs, les tortues de mer et certains types de bactéries sont comptés parmi les espèces équipées de ce système de navigation intégré. Mais qu’en est-il des êtres humains ?
Notre cerveau pourrait être capable de s’adapter au champ magnétique qui entoure notre planète et la protège du rayonnement solaire
Selon une étude publiée en 2019 dans la revue eNeuro, les êtres humains peuvent également ressentir le champ magnétique de la Terre. Les résultats de l’étude fournissent la première preuve directe, à partir de scanners du cerveau, que les êtres humains en sont capables, probablement grâce à des particules magnétiques dispersées autour du cerveau.
La capacité à détecter le champ magnétique, appelée magnéto-réception, a été suggérée pour la première fois chez l’homme dans les années 1980. Mais les études menées ultérieurement sur le cerveau, à partir des années 1990, n’avaient pas permis de prouver cette capacité. Aujourd’hui, et grâce au développement de nouvelles techniques d’analyse des données, un groupe international de chercheurs a décidé de se pencher à nouveau sur la question.
En avril 2016 déjà, Joe Kirshvink — auteur principal de cette étude de 2019 et géophysicien à l’Institut de technologie de Californie à Pasadena — présentait les résultats de ses travaux au congrès du Royal Institute of Navigation, au Royaume-Uni, et affirmait que « les humains possèdent des magnéto-récepteurs fonctionnels ». L’équipe de chercheurs avait alors utilisé une cage de Faraday, plutôt qu’une chambre noire et silencieuse, comme dans l’étude de 2019. Cette découverte est également décrite dans la revue Science Magazine. Selon Joe Kirshvink, « l’être humain possède bien un sixième sens, celui de ressentir le champ magnétique terrestre. » Selon lui, « la magnéto-réception pourrait bien constituer chez l’être humain le sens le plus fondamental. »
Cette capacité sensorielle a par ailleurs également été mise en évidence chez des mammifères : des souris des bois et des rats taupes utilisent les lignes de champ magnétique pour construire leurs nids ; dans les pâtures, le bétail — et notamment les vaches — s’oriente le long de ces lignes et les chiens se placent peut-être en position nord-sud quand ils font leurs besoins. Les renards chassent mieux lorsque leurs proies sont au Nord, le rythme veille/sommeil des mouches du vinaigre est troublé par une modification du magnétisme…
La « magnéto-perception », qui permet aux animaux de s’orienter, fonctionne grâce à différents mécanismes identifiés, comme la présence de cristaux minéraux de fer, la magnétite, dans l’organisme, ou de protéines photoactivables. « Ces deux éléments ont été identifiés chez l’homme, dans le cerveau pour la magnétite et dans la rétine pour les cryptochromes », rappelait en septembre 2018 dans Libération Jean-Pierre Marc-Vergnes, directeur de recherche émérite de l’Inserm. Le cryptochrome est une molécule sensible à la lumière, présente chez les plantes et dans la rétine de nombreux animaux, dont l’homme. Nous y reviendrons plus loin.
Étude menée par la modification du champ magnétique local

Pour étudier la capacité des êtres humains à ressentir le champ magnétique, trente-quatre adultes ont été invités à s’asseoir dans une chambre noire et silencieuse équipée de grandes bobines carrées. Des courants électriques ont circulé dans ces bobines, modifiant le champ magnétique de la chambre. Un des principaux auteurs de l’étude, Connie Wang, doctorante au California Institute of Technology a déclaré que l’intensité de ce champ magnétique était à peu près la même que celle qui entoure notre planète. Elle ajoute qu’à titre de comparaison, le champ utilisé est environ 100.000 fois plus faible que celui créé par les appareils d’IRM.
Les participants ont été invités à se détendre et à fermer les yeux pendant que les chercheurs modifiaient autour d’eux le champ magnétique. Pendant l’expérience, les appareils d’électroencéphalogramme (EEG) ont mesuré un type d’onde cérébrale appelé onde alpha. Les ondes alpha sont connues pour diminuer en amplitude lorsque le cerveau capte un signal, qu’il s’agisse de la vue, du son… ou de quelque chose de magnétique.
Les réactions du cerveau dans le groupe témoin
Les participants, assis les yeux fermés et équipés d’un casque électroencéphalographique pour mesurer leur activité cérébrale, étaient soumis aux changements de direction de cette simulation de champ magnétique terrestre. Ce qui revient au même que d’avoir un individu se déplaçant dans différentes directions, exposé à un champ magnétique terrestre fixe. L’avantage de garder le cobaye statique ? Cela permet d’éviter de perturber les ondes cérébrales mesurées par une activité cérébrale provoquée par le contrôle moteur du corps.
Résultat : par rapport au groupe témoin, les individus exposés à un champ magnétique mouvant ont réagi par une modification des ondes alpha de leur cerveau. Plus spécifiquement, les ondes cérébrales alpha des cobayes ont particulièrement réagi aux variations d’un champ magnétique orienté vers le sol, comme il l’est dans l’hémisphère nord, et qui tournait dans le sens antihoraire, du nord-est vers le nord-ouest. Les ondes cérébrales n’ont, à l’inverse, pas réagi aux variations d’un champ magnétique orienté vers le plafond, simulant celui de l’hémisphère sud, ni aux variations effectuées dans le sens horaire.
Chez quatre des participants, les ondes cérébrales alpha ont diminué en amplitude jusqu’à 60 pour cent. Mais elles ne réagissaient que lorsque le champ se déplaçait du nord-est au nord-ouest — et non dans l’autre sens.
« Nous ne nous attendions pas vraiment à une réponse asymétrique », a déclaré Wang à Live Science. Bien qu’ils ne sachent pas exactement pourquoi cela s’est produit, les chercheurs pensent que certaines personnes pourraient y être particulièrement sensibles, tout comme le fait que d’autres sont droitières ou gauchères. Plusieurs participants ont également réagi fortement à une autre série d’expériences qui ont modifié l’inclinaison du champ, ce qui se produit lors d’un voyage entre les hémisphères nord et sud.
Pour s’assurer que les résultats n’étaient pas le fruit du hasard, les personnes ayant répondu à l’étude ont à nouveau été testées plusieurs semaines plus tard — et les résultats se sont avérés conformes. Stuart Gilder, professeur de géophysique à l’université Ludwig-Maximilian de Munich qui ne faisait pas partie l’étude initiale, a déclaré que les résultats répétés rendaient l’étude convaincante. Gilder a ajouté qu’il ne considérait pas la conclusion selon laquelle la plupart des gens ne pouvaient pas sentir le champ magnétique comme un facteur défavorable à l’étude, car cette capacité pouvait être exprimée différemment au sein de différents cerveaux. Il précise ce qui suit :
« Certaines personnes sont vraiment douées en art et d’autres en mathématiques et les organes n’ont pas à se comporter ou à réagir de la même manière [chez tout le monde -NdT]. »
Néanmoins, Gilder note aussi que l’étude soulève quelques questions supplémentaires. Par exemple, comment les gens percevraient-ils le champ s’ils étaient allongés ou si le champ magnétique se déplaçait plus lentement ?
Un système de navigation antique
On ne sait pas exactement pourquoi certains êtres humains semblent être capables de magnéto-réception, mais en théorie, cette compétence pourrait aider à s’orienter, ou constituer un vestige d’une capacité qui a évolué très tôt pour aider les créatures — même les anciens chasseurs-cueilleurs — à naviguer. Wang a déclaré :
« De nombreux animaux utilisent le champ magnétique terrestre pour naviguer. Il existe un tel éventail de créatures qui possèdent ce sens que nous pensons que les êtres humains, au moins, en ont quelques vestiges, même si nous ne l’utilisons plus autant dans notre vie quotidienne. »
Et de nombreuses questions subsistent sur la magnéto-réception en général, comme notamment son fonctionnement. En effet, les scientifiques ont découvert comment la magnéto-réception fonctionne au sein de certaines créatures en particulier : un type de bactéries appelées bactéries magnéto-tactiques. Ces bactéries migrent le long des lignes de champ du champ magnétique de notre planète en utilisant des particules magnétiques appelées magnétite (Fe3O4) [cette magnétite a aussi été trouvée dans des cellules du bec des oiseaux – NdT].

Bactéries magnéto-tactiques
L’existence de ces particules de magnétite dans le cerveau humain est connue depuis des décennies. Elles ont été découvertes pour la première fois par Joseph Kirschvink, professeur de géobiologie au Caltech, qui est l’auteur principal de cette nouvelle étude.
De plus, ces particules magnétiques sont dispersées dans tout le cerveau humain comme le révèle le groupe de Gilder dans une étude publiée en août 2018 par la revue Scientific Reports. Les auteurs de cette étude ont conclu que leur présence généralisée dans le cerveau suggère que ces particules ont probablement une fonction biologique.
Lisez la deuxième partie de cet article
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