L’État profond américain : Wall Street, « Big Oil » et l’attaque contre la démocratie U.S. (1)

 

Par Prof Peter Dale Scott et Lars Schall


Préambule

Cet article revient sur le 11 septembre, mais avec un angle d’attaque indirect. Il devient évident qu’à court terme, l’État américain va rester sur sa position officielle, quelles que soient les demandes soulevées par la société civile (pertinentes ou pas d’ailleurs, là n’est pas la question).

Peter Dale Scott a une approche très personnelle, qui consiste à comprendre le fonctionnement normal de l’État officiel, pour le comparer avec la réalité de la situation lors des « événements profonds », pour analyser ce qui n’a pas fonctionné selon les règles officielles et qui serait révélateur d’éventuelles manipulations ou mensonges. Sa méthode se rapproche de celle des scientifiques qui étudient des planètes lointaines. On ne peut pas étudier directement une planète qui croise un soleil trop brillant : il vous aveugle. Par contre, vous pouvez étudier les variations de ce soleil quand la planète le croise. Autant il peut être possible de cacher des événements, des actes, autant il est très difficile d’en contrôler les effets indirects sur toute l’infrastructure d’un État.

Ces théories conspirationnistes ridicules sont juste un écran de fumée pour masquer les vérités incroyables.
Cet article donne un éclairage sur l’événement qui a bouleversé le monde depuis 2001, en termes de communication, de droit international, de géopolitique et, même et surtout, de libertés individuelles dans les nations dites démocratiques.
Peter propose une grille d’analyse de plus, pas une boule de cristal. À chacun de la comprendre, d’être d’accord ou pas, mais la démarche mérite toute l’attention.

Entretien par Lars Schall

Lars Schall (LS) :
Peter, nous avons décidé de parler de ce que vous appelez « l’État profond », et la première question que je voudrais vous poser est : pourquoi pensez-vous qu’il est encore pertinent de parler du 11 septembre 2001 ?

Peter Dale Scott (PDS) : Eh bien, le 11 septembre 2001 a été l’occasion d’importants changements tant dans la politique intérieure que dans la politique étrangère U.S : c’est la raison pour laquelle nous sommes allés presque immédiatement en Afghanistan, et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons commencé à planifier aussitôt l’invasion de l’Irak, qui a été fondée sur l’hypothèse erronée que Saddam Hussein était lié à Al-Qaïda. Alors que la preuve a été fournie depuis que c’était un faux témoignage, l’administration a choisi de le croire. D’un point de vue U.S., les changements dans la politique étrangère ne sont peut-être pas aussi graves que la mise en œuvre, ce jour-là, de ce que nous appelons les procédures de continuité du gouvernement (continuity of government, COG), qui ont radicalement modifié le statut de la Constitution américaine dans ce pays. Ils avaient planifié depuis vingt ans ce qu’ils devaient faire en cas d’urgence majeure comme le 11 septembre, et ces plans ont été élaborés pendant deux décennies par Donald Rumsfeld et Dick Cheney, qui sont aussi les deux hommes qui les ont mis en œuvre le 11 septembre.

Je ne comprends pas très bien les étrangers, mais je pense qu’ils sont en train d’exprimer à quel point nous sommes géniaux…

Nous ne connaissons pas en détail ces plans, mais je pense que nous pouvons raisonnablement les résumer sous trois rubriques ; l’une d’elles est la surveillance sans mandat. Edward Snowden a prouvé, sans l’ombre d’un doute, qu’elle est massive dans le pays, et elle l’est en raison de cette mise en œuvre des COG. Une autre est la détention sans mandat ; nous avons eu plus d’un millier de musulmans rassemblés sans mandat et détenus. Nous avons quelque chose appelé Habeas Corpus dans notre Common Law : vous n’êtes pas censé détenir des personnes pendant très longtemps sans les mettre en examen. Mais plus d’un millier de personnes ont été arrêtées sans l’être, et certaines d’entre elles ont été torturées. Voilà un énorme, énorme changement dans l’état intérieur de l’Amérique.

Et puis enfin, il y a l’implication de l’armée dans ce que nous appelons la sécurité intérieure. Les militaires jouent désormais un rôle de police, et c’est aussi quelque chose de nouveau. Vous pouvez souhaiter que, de temps en temps, l’armée soit appelée brièvement pour faire face à une crise, comme les émeutes que nous avions dans les centres-villes dans les années soixante, mais avoir un commandement permanent de l’armée aux U.S.A., appelé NORTHCOM, est vraiment nouveau : c’est un changement radical pour le rôle de l’armée, et par-dessus tout, pour ce que j’appelle l’« État profond ». Nous avons maintenant des institutions qui visent à opérer sur le sol américain sans être contrôlées par la Constitution américaine. Je ne vois pas comment on pourrait trouver un changement plus radical.

LS :
Qu’appelez-vous l’État profond, quels sont les événements profonds, et qu’est-ce que le 9/11 a à voir avec les deux ?

PDS : Permettez-moi d’utiliser la définition de l’État profond formulée par quelqu’un d’autre. Une journaliste du Washington Post, nommée Dana Priest, a écrit un livre, Top Secret America, et elle a dit ceci : nous avons maintenant « deux gouvernements : celui que les citoyens connaissent, opérant plus ou moins à découvert, l’autre étant un gouvernement secret parallèle dont les éléments ont proliféré en moins d’une décennie pour devenir un univers gigantesque, tentaculaire et autonome… »

Le second niveau, celui de l’État profond, a régné au fil des décennies, mais il est vrai qu’il a explosé dans la dernière, quand elle écrivait. Et c’est exactement à cause du 9/11 et des changements des COG qui ont été autorisés et mis en œuvre avant que le dernier des quatre avions ne s’écrase. Ils ont mis en œuvre les COG, ils ont proclamé l’état d’urgence trois jours plus tard, et depuis, nous vivons dans cet état d’urgence, ce qui signifie que la Constitution en vigueur ne fonctionne plus de la façon habituelle.

Vous m’avez aussi demandé quels étaient les événements profonds. Je qualifie le 9/11 d’événement profond parce que, depuis le début, ce qui est arrivé exactement n’était pas très clair. Même les journalistes ont commenté la confusion et l’imprécision des rapports qui étaient devenus si mauvais que le Congrès a dû exercer des pressions… C’était une lutte pour obtenir une enquête.

C’est le plus grand acte criminel qui ait jamais été commis aux États-Unis et la Maison-Blanche a essayé de ne pas enquêter. Il y avait une scène de crime qui a été démantelée presque immédiatement ; certaines personnes diraient que c’était illégal. Ils ont dit qu’ils étaient à la recherche de cadavres, et ce fut le prétexte pour faire disparaître toute trace d’acier. Mais maintenant, les scientifiques seraient très intéressés de savoir quels résidus se trouvaient dans l’acier pour voir si les bâtiments ont été détruits à l’explosif ou non. La plupart de l’acier a été expédié hors du pays très rapidement, c’est pourquoi c’est un événement profond, et nous avions le devoir d’enquêter.

Les deux grands événements qui sont des événements profonds sont d’abord l’assassinat de Kennedy en 1963, puis le 9/11. Il y en a d’autres – certains d’entre eux pouvant être très petits. Vous savez, je pense que j’ai vécu quelques événements profonds dans ma vie personnelle : j’en ai décrit un dans La machine de guerre américaine. Mais ceux qui ont eu des conséquences constitutionnelles étaient l’assassinat de Kennedy – les conséquences ont été plutôt invisibles dans ce cas-là, mais elles étaient réelles : elles ont changé le rôle de la CIA et sa relation avec le FBI et la police locale. Beaucoup plus importants furent les changements après le 9/11. Il suffit de prendre celui qu’Edward Snowden a si bien documenté, la surveillance sans mandat. Je pense que parmi les trois grands événements profonds, c’est peut-être le moins important, mais c’est le seul dont nous parlons vraiment dans ce pays.

Et, dans les deux cas, il y a eu des commissions d’enquête, et il en est ressorti des conclusions manifestement fausses. C’est maintenant le véritable critère d’un grand événement profond : lorsqu’ils enquêtent et qu’ils vous racontent une histoire, dans laquelle on peut presque immédiatement commencer à voir les failles et les contre-vérités. Donc, par définition, un événement profond est celui sur lequel on ne nous donne pas la vérité, et les plus grands sont ceux où on nous raconte une histoire qui peut être vraie à certains égards, mais fausse sur les points essentiels.

LS : Il y a une chose que vous analysez dans votre travail, ce sont les schémas communs à la fois au 9/11 et à l’assassinat de JFK. Tout d’abord, quand avez-vous découvert ce phénomène et qu’avez-vous ressenti à ce sujet ?

PDS : Très vite après le 9/11, je fus frappé par le fait qu’ils savaient presque immédiatement qui avait fait cela. Dans son livre Richard Clarke (Against All Enemies : Inside America’s War on Terror – What Really Happened, 2004) – il était en position d’autorité – a dit que le FBI avait une liste des pirates de l’air des avions avant dix heures du matin ce jour-là, avant le crash du dernier avion. Pour toute personne qui ne sait rien de l’assassinat de Kennedy, l’une des choses qui n’a jamais été expliquée est comment ils ont pu diffuser sur le canal de la police une description de l’homme qui avait tiré sur Kennedy, prétendument d’une fenêtre, et dont ils ont donné une description très précise : 1,80 m, 75 kilos. Ils n’ont jamais pu expliquer d’où cette description était venue. Ils l’ont finalement attribuée à un homme du nom de Howard Brennan qui était en bas ; mais il n’avait vu que la moitié supérieure de l’homme à la fenêtre, alors comment pouvait-il connaître sa taille et son poids ?

Le point intéressant fut la description de Lee Harvey Oswald dans les dossiers du FBI et de la CIA, même si elle était fausse. Ils la diffusèrent dans les 15 minutes (quand je dis diffusion, je veux dire à la radio interne de la police) à partir des fichiers du FBI et de la CIA ; et le FBI n’a jamais pu vraiment expliquer et personne n’a été en mesure d’expliquer comment cela a été possible.

Et la même chose est vraie avec le 9/11. Là aussi, une liste des pirates de l’air circulait en interne, mais deux noms ont été abandonnés à la hâte parce que l’un d’entre eux [Adnan Bukhari] était mort et que l’autre [Ameer Bukhari] n’était certainement pas dans un des avions. Cette liste, je pense qu’elle provenait de fichiers. C’est juste la première similitude entre ces deux événements profonds. Dans mon livre La Conspiration pour la guerre, je fais état de plus d’une douzaine de similitudes et depuis j’ai aussi ajouté à cette liste le modus operandi.

L’autre chose est que ces personnes ont déposé une trace écrite : Oswald a tenu un journal, et il a fait toutes sortes de choses qui ont été plus tard utilisées pour l’incriminer, bien qu’il soit mort ; et à l’aéroport Logan, Mohamed Atta et ses amis avaient laissé une voiture pleine de preuves. Ça a rendu la tâche du FBI très pratique : les auteurs, ou plutôt les coupables désignés (car il a été clairement décidé à l’avance qui allait être blâmé pour cela) auraient ainsi laissé tous ces documents comme preuves contre eux-mêmes. Je pourrais continuer encore et encore ; je ne sais pas si cela vous suffit.

LS :
Eh bien, je voudrais vous poser des questions sur les canaux de communication spécifiques qui ont été impliqués à la fois dans l’affaire JFK et le 9/11. Pourquoi est-ce peut-être la plus importante similitude ?

PDS : Eh bien oui, je crois que le réseau de communication national – il a pris différents noms au fil des ans, mais c’est le réseau spécial qui a été mis en place dans le cadre de la continuité de la planification du gouvernement – remonte aux années 1950, mais ils changent son nom tout le temps. C’est une similitude que j’ai découverte plus tard. Pendant de nombreuses années, j’ai su que la White House Communications Agency [WHCA] a été un facteur dans l’assassinat de Kennedy, en rapport avec l’enquête de la Commission Warren de JFK : ils ont publié les transcriptions de la police et ils ont communiqué certains messages des services secrets, mais il était connu qu’il y avait deux canaux de la police. Les deux ont été communiqués, mais il y avait aussi un troisième canal qui a été utilisé au Dealey Plaza [lieu où a été assassiné Kennedy], celui de la WHCA.

Pendant des années, j’ai su qu’il fallait y avoir accès sans y parvenir. En 1993, quand ils ont créé une Commission d’examen des enregistrements d’assassinats, je suis allé voir cette commission et je leur ai dit qu’ils devraient se procurer ces dossiers ; mais ils n’ont pas été rendus publics. Et pourtant, la WHCA se vante sur son site internet – je suppose que vous pouvez toujours y accéder – que cet enregistrement a aidé à résoudre l’énigme de l’assassinat de Kennedy. Et c’est très intéressant, parce que ces dossiers ne sont jamais parvenus à la Commission Warren qui était censée résoudre cette énigme.

Et puis, quand les enregistrements ont commencé à être divulgués au sujet du 9/11 – cela a pris deux ou trois ans –, nous avons eu le rapport de la commission du 9/11 et il se trouve qu’il y a certaines communications, certains appels téléphoniques dont nous connaissons l’existence, qui n’ont laissé aucune trace. Dans mon livre The Road to 9/11, j’ai dit que les preuves suggéraient qu’ils utilisaient déjà la COG – qu’ils l’avaient déjà mis en place ; donc qu’ils utilisaient le réseau de communication spécial de la COG, qui, est l’héritier du réseau d’urgence, dont la WHCA fait partie.

Je pourrais ajouter qu’un autre événement profond fut le scandale Iran-Contra, où il est avéré qu’Oliver North, en 1985-86, a envoyé des armes à l’Iran en toute illégalité, alors que beaucoup de gens dans le gouvernement ne savaient rien à ce sujet. Ils n’en savaient rien parce qu’Oliver North était en charge de ce même réseau d’urgence, et qu’il l’a utilisé pour communiquer avec l’ambassade au Portugal, par exemple, afin de faciliter l’obtention de ces armes pour l’Iran. Voilà donc pour moi un dénominateur commun.

Dans l’affaire du Watergate, qui est un autre événement profond, nous ne savons toujours pas pourquoi une écoute avait été mise en place sur le téléphone du Comité national démocrate, mais nous savons que James McCord, qui était en charge de l’équipe qui l’a installé, était membre d’un réseau nommé « Special Air Force Reserve » qui était impliqué dans la COG. Et il a été chargé de faire le même genre de chose.

Donc, cela me paraît un des dénominateurs communs les plus frappants de ces quatre grands événements profonds, JFK, le Watergate, Iran-Contra, et enfin le 9/11, et si jamais nous avons un autre événement profond de ce genre, je peux prédire maintenant sur la base des expériences passées que le réseau d’urgence, celui auquel les gens ordinaires dans le gouvernement n’ont pas accès, sera à nouveau utilisé.


(à suivre)

 

yogaesoteric
30 janvier 2019

 

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