L’initiation
“Cette doctrine n’est pas destinée à tout le monde, car ce fait serait puni et Indra couperait la tête du maître imprudent. Pour cette raison, seulement celui qui connaît déjà et a étudié le Veda sera instruit, celui qui l’aime et non pas n’importe qui.” (SHATAPATHA BRAHMANA,14.1.1)
Le mot “initiation”, de façon générale, signifie la transmission vers un certain être d’un influx spirituel (ou dans un langage plus simple, psychique), transmission réalisée par l’intermédiaire d’un maître authentique appartenant à une certaine communauté, groupement ou ligne spirituelle traditionnelle. Ainsi, dans le sens le plus large du mot, ont existé à travers le temps, des initiations sacerdotales, royales, guerrières ou même liées à l’existence de certains métiers manuels.
Nous pouvons même penser au fait qu’un certain sacrement, ou mystère chrétien, a eu à l’origine une nature initiatique, ce mot devenant alors presque synonyme du mot “ésotérique”. Dans les mondes prétendus “primitifs”, nous trouvons aussi une palette large de rituels destinés à l’intégration totale de l’individu dans la communauté. Mais il n’existait aucune qualification (ou aptitude) particulière de leur part. De tels rites ne présentaient pas un caractère obligatoire, comme le baptême dans l’ancien christianisme. D’autres formes d’initiations supérieures, que les ethnologues appellent un peu au hasard “magiques” ou “chamaniques”, étaient en général réservées aux membres de communautés douées d’aptitudes particulières.
En ce qui concerne l’Inde, la distinction essentielle qui doit être établie est celle entre les deux termes ‘upanayana’ et ‘diksha’. Habituellement les deux termes se traduisent par “initiation”, mais il s’agit ici de deux réalités incomparables, bien que les deux aient un caractère sacré. La première, tel que nous allons le comprendre facilement, est inaccessible à ceux qui ne sont pas nés et n’ont pas grandi dans un milieu hindou. La deuxième représente vraiment la réelle initiation, elle peut néanmoins, dans cette époque d’extrême confusion des castes et des traditions dans lesquelles nous vivons, être obtenue aussi par un disciple occidental de la part d’un Guru ou d’un Maître spirituel authentique, à condition que le disciple soit digne de cette initiation.
Les différentes modalités d’initiation
Si “l’initiation” dans le cas d’un hindou (upanayana), par exemple, appartenant à l’une des trois premières castes hiérarchiques et qui doit s’encadrer dans la communauté, est dans un certain sens implicite, on ne peut pas dire la même chose dans le cas du deuxième type d’initiation nommée diksha, offerte par un Guru appartenant à une ligne spirituelle précise. Cette initiation ne peut être obtenue, de façon évidente, que par un être engagé dans une ascèse (sadhana), qui a révélé certaines qualités personnelles particulières, spécifiques à une certaine voie, et qui a décidé de la suivre avec conséquence, en allant aussi loin que ses modalités et capacités naturelles le lui permettent.
Le plus souvent, dans la tradition hindoue-védantique, tantrique ou autre, le maître communique au disciple un mantra (son subtil qui facilite la mise en résonance avec des énergies bénéfiques de l’univers), avec sa charge subtile spécifique et sa prononciation correcte, qui sont indispensables, ainsi que l’explication de sa signification. En répétant et en méditant sur ce mot sacré (mantra) dont il a reçu l’initiation, et qui permet la mise en résonance avec une certaine réalité (énergétique) subtile, le disciple en extraira peu à peu le sens, on pourrait même dire son “essence” (rasa). Ce qui n’était au départ qu’un son plus ou moins insolite deviendra un logos vibrant et efficace, et qui peut être éventuellement transmis à un nouveau disciple, dans le cadre d’une nouvelle initiation. Il peut être question d’un mantra classique, apparemment connu de nombreuses personnes : cependant cela ne diminuera pas du tout le pouvoir qu’il détient. Nous pouvons même dire qu’il le retrouvera, étant revivifié par l’impulsion dynamisatrice transmise par le Maître spirituel au disciple, dans le cadre de l’initiation.
Dans tous les cas présentés, l’initiation suppose toujours la transmission d’une énergie, d’une vibration, d’un influx de force spirituelle. Nous ne pouvons pas parler d’initiation dans le cas d’un simple enseignement théorique, discursif, même s’il dépasse la relation universitaire, tel qu’elle est connue en Occident. La doctrine sacrée peut être apprise par un pandit, par un savant, peut être lue dans un livre traditionnel. Mais l’énergie transformatrice, la capacité de “renaître”, ne peut être éveillée que par un Guru (maître) authentique, qui ne doit pas nécessairement être un homme instruit ou un homme très connu. On dit que cette énergie peut recevoir des formes surprenantes, même paradoxales, très éloignées des clichées habituels sur l’initiation. De nombreux maîtres, tel que nous l’avons dit, initient par l’intermédiaire d’un son subtil. D’autres utilisent le regard, le toucher, un geste, un souffle ou même le silence. Par exemple, le guru de Sri Ramakrishna lui a enfoncé un morceau de verre entre les sourcils. Certains maîtres opèrent dans le rêve, en facilitant ainsi l’accès à certaines initiations aux disciples préparés qui n’ont pas encore la possibilité de recevoir cette initiation dans le plan physique.
Ce qui est important n’est pas l’apparence mais la qualité de l’énergie transmise, et doit “arriver” au moment opportun et trouver un réceptacle adéquat. Et néanmoins, le développement spirituel d’un être ne doit pas du tout s’arrêter au moment où il a reçu cet influx énergétique, d’autant plus qu’il ne sera pas immédiatement et en totalité conscient de la signification profonde de l’initiation reçue. Seulement ultérieurement, par un effort intérieur, il va permettre que la semence reçue donne des fruits. De même, il faut savoir que cela peut signifier le travail d’une vie et qu’un disciple peut recevoir plusieurs initiations dans la même existence, parfois de la part de maîtres différents.
L’erreur commise fréquemment est de croire que l’initiation marque l’accomplissement d’une voie intérieure. Au contraire, elle n’est que le début (l’étymologie du mot l’indique aussi). Grâce à la “renaissance” que lui donne le processus mystérieux de l’initiation, le disciple a la chance de tout “revivre” dans une autre perspective, nettement supérieure.