OGM : et si c’était le début de la fin ?
Vingt ans après leur apparition, les cultures de plantes transgéniques perdent pour la première fois du terrain. Et pour cause ! Rendements décevants, insecticides… Au-delà du débat sur leurs risques, les OGM n’ont pas tenu leurs promesses. Signant la fin d’une époque ? L’enquête d’Yves Sciama.
L’information est passée quasiment inaperçue en France – elle est pourtant majeure, tant elle semble annoncer une nouvelle ère de l’agronomie mondiale. En 2015, pour la première fois, les surfaces plantées en OGM dans le monde ont reculé. Moins 1 %. Un recul certes timide… mais qui correspond à un renversement de tendance totalement inédit.
Il faut dire que depuis leur arrivée sur le marché en 1996, ces semences transgéniques n’ont connu que l’expansion de leurs surfaces de culture. Aujourd’hui, elles couvrent 1,8 million de kilomètres carrés. Soit 13 % des terres arables mondiales.
« Jamais aucune technologie agronomique n’a connu une progression aussi rapide en champ – en vingt ans, les OGM ont été adoptés par des millions d’agriculteurs », souligne Delphine Guey, responsable du dossier biotechnologies au Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), défenseur inlassable des OGM.
Et voilà que le mouvement s’inverse. « La courbe des surfaces OGM ne repartira pas à la hausse », assure Delphine Guey. Au point que la question se pose : et si c’était le début de la fin pour ces fameux organismes génétiquement modifiés – en tout cas sous leur forme actuelle, dans laquelle une séquence complexe d’ADN étranger est introduite via un vecteur ?
Si l’événement n’a pas fait les gros titres en France, c’est en grande partie parce qu’il n’aura pas de conséquence directe pour les agriculteurs français : soja, maïs, coton ou colza version OGM ne sont pas cultivés en France. Depuis 2009, la culture de tout OGM y est même strictement interdite, sauf pour des essais scientifiques. Pas de culture sur nos sols donc, mais une dépendance tout de même puisque le monde agricole est tributaire d’importations massives de soja transgénique pour nourrir le bétail.
Les 3 promesses non tenues des OGM
1. Les rendements n’ont pas été dopés
C’était l’argument phare des fabricants d’OGM : en boostant les rendements agricoles, leurs semences transgéniques résoudraient rien de moins que la faim dans le monde ! Or, un rapport de l’Académie américaine des sciences a montré en 2016 qu’avec ou sans OGM, la production suivait la même progression… Des données qui corroborent celles de la FAO (voir ci-contre).
2. Les mauvaises herbes ont résisté
Certains OGM ont été conçus pour résister aux épandages massifs de glyphosate (la molécule active du pesticide Roundup) et ainsi faciliter la destruction des mauvaises herbes.
Sauf que ces dernières ont développé une résistance au pesticide, réduisant de fait l’intérêt de ces OGM.
3. Les économies sont plus faibles que prévu
D’autres OGM, porteurs de gènes « Bt » (ils produisent une toxine mortelle pour certains insectes), devaient permettre de réaliser des économies drastiques d’insecticides… Elles sont finalement assez modestes, le Bt n’étant pas efficace sur tous les insectes.
Ce premier recul des surfaces n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il traduit en réalité un certain nombre de déceptions induites par cette technologie, qui n’a pas toujours été à la hauteur des promesses des fabricants.
AUCUNE AMÉLIORATION
En témoigne un rapport-bilan publié quelques mois après cette annonce par l’Académie américaine des sciences (NAS, institution qui a toujours soutenu la transgenèse). Si les conclusions sont plutôt favorables (notamment quant au bilan sanitaire des OGM, lire l’encadré ci-dessous), elles ne montrent cependant aucune amélioration des rendements à la suite de l’introduction d’OGM : avant ou après, notent les experts, ils ont continué d’augmenter à la même vitesse !
Balayé, l’argument historique des industriels des OGM. Ils n’ont cessé de répéter que leurs semences transgéniques étaient les seules à même de nourrir une planète toujours plus peuplée. Ils ont assuré que, sans leur technologie, il serait impossible de doubler la production alimentaire mondiale d’ici à 2050, comme préconisé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Et pourtant… Pour la production par hectare, le rapport de la NAS précise noir sur blanc que « les données nationales sur le maïs, le coton et le soja aux Etats-Unis ne montrent pas de signature significative de la technologie de modification génétique sur la vitesse d’accroissement des rendements ». En clair, les OGM n’ont pas dopé la production comme promis.
Dresser ce bilan a été plus difficile qu’il n’y paraît. Car contrairement aux processus industriels, parfaitement contrôlés, énormément de facteurs compliquent la comparaison dans le cas des biotechnologies végétales. « Une comparaison rigoureuse supposerait de confronter d’un côté une variété OGM, de l’autre une variété conventionnelle différant de la première seulement par les gènes modifiés, explique Claude Bagnis, généticien et membre du Haut Conseil des biotechnologies. Sinon, on s’expose à la critique d’avoir tout bêtement comparé une bonne et une mauvaise variété ! Mais il est rare de pouvoir faire une telle comparaison : les semenciers font évoluer leurs variétés chaque année, elles ‘dérivent’ donc, ce qui fait qu’au final on ne sait plus très bien ce qu’on a mis face à face… »
Autre problème, les semences poussent dans des conditions réelles beaucoup plus variables que celles des parcelles expérimentales. « Une culture OGM peut faire mieux qu’une conventionnelle sur une parcelle humide, et moins bien ailleurs. Elle peut mal supporter la chaleur, ou se montrer particulièrement vulnérable face à tel ou tel ravageur, qui n’est pas nécessairement présent partout, ni chaque année », souligne Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l’agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Toute étude comparative pourrait donc en théorie donner des résultats différents selon l’année ou la parcelle examinée.
Les conclusions du rapport de la NAS, qui a surmonté ces difficultés grâce à un nombre inégalé de données compulsées, n’en ont que plus de poids. Elles corroborent également les chiffres bruts de la FAO sur la période 1984-2014 (voir la courbe ci-dessus).
UN LOURD BILAN ENVIRONNEMENTAL
Désormais, donc, un consensus scientifique semble se faire autour de l’absence d’intérêt véritable de cette biotechnologie pour les rendements.
Mais ce n’est pas la seule déconvenue… L’avantage conféré par certains OGM dans la lutte contre les mauvaises herbes commence également à s’éroder. Ces plantes sont transformées pour devenir résistantes au glyphosate, la molécule active du célèbre pesticide Roundup. Ce qui permet au cultivateur de « sauter » l’étape du labourage pour désherber, puisqu’il lui suffit d’arroser ses champs avec le pesticide pour détruire toutes les mauvaises herbes sans abîmer sa culture génétiquement modifiée.
Malgré un surcoût d’environ 15 %, le gain de temps associé à ces OGM a convaincu de très nombreux agriculteurs de les utiliser. Mais cet avantage n’est plus aussi net : la littérature scientifique décrit désormais des dizaines d’espèces de « mauvaises herbes » qui se sont adaptées au glyphosate, obligeant à augmenter le nombre d’épandages et les doses, voire à utiliser d’autres produits.
Pour l’environnement, le bilan n’est pas bon non plus : entre 1995 et 2015, la quantité de glyphosate consommée dans le monde a été multipliée par 12 pour atteindre 825.000 tonnes par an. Selon les travaux de l’agronome américain Charles Benbrook, le développement des OGM tolérants au glyphosate est le premier facteur expliquant cette courbe.
Une seconde famille d’OGM voit également son intérêt discuté. Ces plantes promettaient de réduire drastiquement les quantités d’insecticides nécessaires, et donc de réaliser des économies à la fois de temps de traitement et d’argent (les pesticides coûtant quelques euros à l’hectare). Elles portent en effet des gènes dits Bt (car issus de la bactérie Bacillus thuringiensis), qui leur font produire une toxine mortelle pour certains insectes, mais sans effets sur l’homme.
Or, après plus de vingt ans d’utilisation, les cultivateurs constatent que les économies réalisées sont difficiles à estimer. Elles varient énormément selon le parasite dominant dans la parcelle de l’agriculteur : négligeables les années où les principales attaques sont le fait d’insectes suceurs (pucerons, cochenilles, etc., sur lesquels le Bt est sans effet), et à l’inverse énormes, jusqu’à 75 %, en cas d’attaques de pyrales, des chenilles très sensibles à la toxine. Une étude sur l’introduction du coton OGM en Chine, citée dans le rapport de la NAS, chiffrait à environ 15 % la réduction globale d’insecticides – un avantage certain, donc, mais pas révolutionnaire.
« Réécrire » le génome, c’est fabriquer des OGM ?
De nouvelles techniques de manipulation du génome (dont la plus connue se nomme CRISPR-Cas9) font l’objet d’une recherche active… et promettent d’épineuses controverses. Comment qualifier les plantes issues de ces transformations ? Formellement, ce ne sont pas des OGM, car aucun ADN extérieur n’y a été introduit. Ces techniques permettent des opérations très fines, comme « détruire » un gène ciblé pour empêcher la production d’une substance indésirable. Elles agissent aussi sur des séquences dites « promoteurs » ou « inhibiteurs», des sortes de robinets situés autour des gènes et contrôlant leur expression. La plante pourra ainsi, par exemple, sur exprimer des substances qui hâteront sa croissance, ou à l’inverse cesser de produire une molécule servant de porte d’entrée à un virus.
LA FIN DES « VIEUX » OGM
Des rendements décevants, des mauvaises herbes devenues résistantes aux pesticides, des gains de temps et d’argent pas toujours au rendez-vous… Voilà de quoi expliquer que le modèle s’essouffle ! Christian Huyghe ne s’en dit d’ailleurs pas surpris. Le chercheur de l’Inra rappelle qu’il n’y a guère eu de percée innovatrice en transgenèse depuis des années, et que les fabricants se limitent pour l’essentiel à raffiner et combiner de diverses manières ces deux grandes familles d’OGM appliquées aux quatre principales cultures : soja, maïs, coton et colza.
« Le marché sature parce qu’il n’y a pas eu de nouvelle offre et que l’essentiel des cultures éligibles est désormais converti – c’est ce qu’on appelle une technologie mature, en termes économiques », explique-t-il.
En l’absence d’innovation, on peut même envisager que les surfaces se mettent à reculer si le service rendu s’atténue, par exemple avec les mauvaises herbes et les insectes qui s’adaptent. « Du côté de Monsanto, le leader mondial des OGM, on estime que les plantes génétiquement modifiées sont encore là pour longtemps, car les agriculteurs comme les filières y sont attachés et les demandent », affirme Yann Fichet, directeur France des affaires institutionnelles et financières de la multinationale semencière. Mais, signe qui ne trompe pas : Monsanto indique aussi ne pas mener de recherches sur de nouvelles espèces de plantes OGM… Même dans le futur, son fonds de commerce transgénique restera donc bien limité au quatuor soja-maïs-coton-colza.
Aussi étonnant que cela paraisse, le GNIS (l’organisation professionnelle des semenciers français) admet sans ambages que « la technique de la transgenèse est un peu vieille et relativement imprécise ». Delphine Guey, son experte OGM, explique : « On est en train de voir arriver diverses technologies plus pointues, notamment CRISPR-Cas9, qui sont bien plus prometteuses. » On le comprend, les semenciers n’ont évidemment pas l’intention de sortir des biotechnologies ! Derrière ce déclin des OGM « à l’ancienne » se profile donc surtout un passage à de nouvelles méthodes prévues pour être à la fois plus efficaces et plus propres, au point de rendre caducs les « vieux » OGM. Avec, parions-le, de nouvelles promesses mirifiques, et autant de controverses passionnées…
yogaesoteric
8 novembre 2018
Also available in: English