Quand les cieux s’assombrirent — Des historiens ont identifié la « pire année » de l’histoire de l’humanité (1)

par Mark Puleo — AccuWeather

La prochaine fois que vous pensez que votre vie est rude, imaginez ce qu’elle pouvait être quand une partie de la Terre a été plongée dans un cataclysme. Même une fois la catastrophe terminée, il s’en est suivi une décennie de douleur et de souffrance.

Vous vous réveillez un lundi matin sous un ciel sombre, lugubre et morose. Pour le 547e jour consécutif.

Dix-huit mois plus tôt, vous étiez un agriculteur laborieux prêt pour une nouvelle saison de récolte abondante.
Mais c’est alors que les cieux s’assombrirent.

Et ils sont restés sombres — jour après jour, mois après mois — du début de l’année 536 à 537 [après J.-C. – NdT]. Dans une grande partie de l’Europe de l’Est et dans toute l’Asie, le printemps a précédé l’été et l’automne a laissé place à l’hiver sans un seul jour d’ensoleillement. Le Soleil était masqué par un voile obscur et des millions de personnes dans les pays les plus peuplés du monde ont dû plisser les yeux, respirer un air étouffant et perdre presque toutes les récoltes sur lesquelles elles comptaient.

Il ne s’agit pas de l’intrigue d’une série télévisée dystopique ou d’une production fantastique de type « docufiction ».

La Lune passant devant le Soleil pendant une éclipse solaire annulaire le 4 janvier 2011

Ce fut une dure réalité pour les millions de personnes qui ont vécu cette période littéralement sombre ou, comme certains historiens l’ont décrite, la plus terrible des années que l’on puisse vivre.

L’année la plus noire avant la décennie la plus noire

Voici le sinistre récit que Procope, un érudit éminent qui devint le principal historien byzantin du VIe siècle, fit dans son History of Wars [en français, Les Guerres de Justinien, qui comprennent trois volumes : Les Guerres perses, Les Guerres vandales, et Les Guerres goths » – NdT] :
« Parce que tout au long de cette année, le Soleil a émis un rayonnement sans éclat, semblable à celui de la Lune, et on eût dit que le Soleil était en éclipse, étant donné que les rayons qu’il dispensait n’étaient ni lumineux ni semblables à ceux qu’il a l’habitude de diffuser […] Et à partir du moment où cette chose s’est produite, les hommes n’ont été libérés ni de la guerre, ni de la peste, ni d’aucune autre chose menant à la mort. »

Note du traducteur : Et Procope ajoute immédiatement après : « Et c’était l’époque où Justinien était dans la dixième année de son règne. »

Est-ce à dire que Procope faisait le lien entre le caractère despotique de Justinien et les bouleversements météorologiques ? Le compte-rendu de Procope décrit de façon tellement saisissante un régime ploutocratique, avec toute sa violence, sa corruption, ses trahisons, sa cruauté et son incompétence que cela vaut la peine de le citer en détail. Évidemment, toute ressemblance avec notre époque moderne est purement fortuite.

Pour avoir un début de réponse, le lecteur peut consulter l’ouvrage Les changements terrestres et la connexion anthropocosmique, au Chapitre 34 — « Les preuves historiques d’une connexion anthropocosmique » :
« Que Justinien n’ait pas été un homme, mais un démon sous forme humaine, comme je l’ai dit, on en trouve la preuve surabondamment dans l’excès des maux qu’il fit peser sur l’espèce humaine. Car ses actions rendent manifestes ses énormités et la puissance du malfaiteur. Dieu seul pourrait, ce me semble, calculer le nombre de ceux qu’il a fait périr, et l’homme parviendrait plus tôt à compter les sables du désert que la quantité des victimes immolées par cet empereur. Si je considère l’empire en général, j’affirme qu’ille rendit désert, en lui faisant perdre cent millions d’habitants. En effet, il dévasta tellement la Libye (Afrique), d’ailleurs si étendue en longueur que le voyageur, dans le cours d’une longue route, rencontrait à peine un homme et en tenait bonne note. Cependant cette contrée fournit aux Bandiles (Vandales) 80.000 hommes soldés et armés; et l’on peut à proportion calculer le nombre des femmes, des enfants et des esclaves (qu’elle nourrissait). […]

Il y avait encore un beaucoup plus grand nombre de Maurusiens (Maures) qui périrent avec tous leurs enfants et toutes leurs femmes. Cette terre a dévoré aussi bon nombre de soldats romains et de ceux qui de Byzance sont venus à la suite des armées. Aussi je pense que ce serait rester au-dessous de la vérité que d’estimer à moins de cinq millions d’âmes ce qui a péri en Libye.

La cause de ce désastre fut la politique de Justinien, qui ne sut pas, après la victoire obtenue dès l’abord sur les Bandiles, s’assurer la domination du pays, en montrant une protection bienveillante envers ses sujets par la sécurité accordée à leurs intérêts, et respecter tout ce qu’il y avait de bon. Au contraire, il rappela aussitôt Bélisaire sans aucune précaution, comme si ce général avait conspiré pour en usurper la souveraineté, et il l’exploita ensuite à sa discrétion pour pomper la substance de la Libye.

Il y envoya, en effet, des commissaires nombreux, chargés d’y frapper les plus lourds impôts, sans que les habitants en connussent même le principe. Il s’empara des meilleures propriétés ; il interdit aux Arianes (Ariens) l’exercice de leur culte. Il négligea d’y tenir ses forces au complet, en même temps qu’il se montrait très exigeant envers le soldat, en sorte que les révoltes se succédèrent et finirent par entraîner de grandes pertes. Il ne sut jamais garder aucune mesure, et il était né pour tout brouiller ou pour tout corrompre.

L’Italie n’était pas moins de trois fois plus peuplée que la Libye. Mais elle devint plus déserte encore d’habitants, sur toutes les parties de son territoire. On a ainsi la preuve que la dépopulation fut incalculable. J’ai déjà indiqué, dans mes récits, la cause des désastres de l’Italie. Toutes les fautes commises en Libye s’y renouvelèrent au grand jour. L’envoi des commissaires appelés Logothètes (contrôleurs) mit tout en combustion, et par ce procédé Justinien perdit aussitôt le fruit de sa conquête.

L’empire des Goths s’étendait, avant la guerre d’Italie, depuis le territoire des Gaulois jusqu’aux limites de la Dacie, où s’élève la ville de Sirmion. Les Germains possédaient la plus grande partie de la Gaule (Cisalpine) et du territoire des Vénétiens, lorsque l’armée des Romains arriva en Italie. Les Gépædes (Gépides) occupaient Sirmion et les plaines de cette région, qui, du reste et en réalité, étaient les plus désertes que l’on pût dire. La guerre, avec l’épidémie et la famine qui en sont les suites ordinaires, les avait réduites à cet état de dépopulation.

L’Illyrie et la Thrace entière, c’est-à-dire les pays situés entre le golfe Ionien et les faubourgs de Byzance, en y comprenant la Grèce Hellade et la Chersonèse, étaient envahies à peu près chaque année par les incursions des Huns, des Slabènes (Slaves) et des Antes, depuis que Justinien était parvenu à l’empire des Romains, et leurs habitants subissaient des maux intolérables. Je crois que chaque invasion emportait, tant en morts qu’en individus réduits à l’esclavage, plus de deux cent mille sujets de l’empire ; le désert des Scythes envahissait successivement chacune de ces contrées. […]

Ni les Perses, ni les Saracènes, ni les Huns, ni les Sclabènes, ni les autres barbares n’avaient assez d’avantages pour évacuer le territoire des Romains, sans faire eux-mêmes des pertes. Car, dans leurs retraites, et surtout dans les sièges; ainsi que dans les combats nombreux qu’il leur fallait livrer, ils éprouvèrent des défaites non moins désastreuses. Ainsi la population des barbares, comme celle des Romains, eut à peu près également à souffrir de la folie homicide de Justinien. Sans doute, Chrosoës n’était pas moins méchant de caractère que l’empereur; mais, ainsi que je l’ai expliqué, à mesure que l’occasion s’en est présentée dans mes écrits, c’est Justinien qui a pris l’initiative de toutes les ruptures et des guerres avec ce prince ; car il ne prenait aucun souci de conformer sa conduite aux circonstances qui survenaient, et il agissait à contresens. Pendant la paix, et en traitant avec ses ennemis, il s’attachait, avec un esprit astucieux, à se ménager des prétextes de guerre. Pendant la guerre, il se décourageait sans raison. Son avarice l’empêchait de préparer les approvisionnements nécessaires au succès. Au lieu de s’occuper de ce soin, il livrait son esprit à la contemplation, à rechercher la nature de la Divinité; mais il ne voulait pas renoncer à la guerre, parce qu’il aimait le sang versé et la tyrannie. Cependant il n’était pas capable de s’occuper des affaires militaires, et sa parcimonie l’empêchait d’accorder ce qui manquait.

Le règne de ce prince inonda donc la terre entière de sang humain, soit de celui des Romains, soit de celui des barbares, et pour ainsi dire de tous. La guerre sévit en quelque sorte sur toutes les parties de l’empire, pendant cette époque. Mais les émeutes qui surgirent à Byzance et dans chaque cité firent verser, je pense, non moins de sang, si l’on en fait bien le calcul.

[…]

Je vais raconter les maux qui sont tombés sur l’espèce humaine par l’effet d’une puissance cachée et d’une force démoniaque. Pendant qu’il gouvernait les affaires des Romains, il est arrivé des désastres divers, en grand nombre, que les uns ont attribués à l’influence de ce mauvais génie et à ses artifices, les autres à la colère de Dieu retira la protection qu’il avait conservée à l’empire romain, ce qui se manifesta de la manière suivante.

Le fleuve Skirtus, qui entoure Édesse, fut, pour les habitants de cette cité, la cause de mille calamités, ainsi que je l’ai écrit dans mes ouvrages précédents.

Le Nil, ayant accompli son inondation accoutumée, ne rentra pas dans son lit aux époques ordinaires, et rendit complètement désertes quantité de terres habitées, comme je l’ai dit également.

Le Cydnus, qui enveloppe Tarse presque entièrement, enferma l’accès par ses inondations, pendant nombre de jours, et ne retira pas ses eaux avant d’y avoir produit des ravages considérables.

Des tremblements de terre renversèrent Antioche, première ville de l’Orient ; Séleucie, qui est habitée par les populations voisines, et Anazarhe, la plus illustre cité de la Cilicie. Qui pourrait calculer le nombre des personnes qui y trouvèrent la mort ? Ajoutez à ces villes Ibora et Amasée, la première cité du Pont, Polybote de Phrygie, celle que les Pisidiens appellent Philomède, Lychnidus des Épirotes et Corinthe, cités qui d’ancienneté étaient très peuplées. Toutes ces villes furent à cette époque renversées par un tremblement de terre, et leurs habitants périrent simultanément presque tous. Survint la peste, dont j’ai fait mention plus haut, qui enleva au moins la moitié des populations d’alentour.

Telle fut la destruction qui affligea le genre humain du jour où Justinien prit en main les rênes du gouvernement, et qui se prolongea pendant la durée ultérieure de son autorité.

[…]

L’aqueduc de la ville s’était crevassé, et une partie des eaux destinées aux habitants se perdait dans une proportion considérable. Les souverains en étaient témoins, mais ils négligèrent d’y remédier, et ne voulurent y faire aucune dépense, quoiqu’il y eût toujours une foule considérable qui se pressait, à s’étouffer, autour des fontaines de distribution, et que les bains eussent été fermés.

Cependant on employait quantité de richesses à des constructions maritimes, insensées et sans mesure. Ils bâtissaient de tous côtés dans les faubourgs, comme si les palais, dans lesquels leurs prédécesseurs avaient toujours conservé leur résidence, ne leur convenaient plus. Ainsi ce n’était pas à cause de la pénurie du trésor, mais par mépris pour la vie humaine, que Justinien, ne faisait pas réparer l’aqueduc. Car nul, depuis les temps les plus anciens, ne fut plus habitué que ce mauvais prince à ramasser et à dissiper injustement et mal à propos les richesses de tous.

C’est ainsi que cet empereur frappa les plus pauvres et les plus malheureux de ses sujets d’une double privation, celle de l’eau et celle du pain, en rendant l’une trop rare, et en mettant l’autre à trop haut prix.

Les mauvaises actions de Justinien sont si nombreuses, que je ne pourrai jamais avoir assez de temps pour en parler. Je suis donc obligé de choisir quelques-unes de celles qui montrent à la postérité son caractère tout entier, et qui mettent au jour sa profonde dissimulation, son mépris pour Dieu, pour le sacerdoce et pour les lois. Jamais il ne parut avoir aucun souci du peuple qu’il était chargé de gouverner. Il n’eut aucune pudeur en aucune chose ; il ne se préoccupa ni des maux de la société ni des moyens de lui venir en aide ni d’excuser ses méfaits, et n’eut d’autre soin que de s’emparer des richesses du monde entier.

Je connais beaucoup de faits semblables relatifs à l’intolérance de Justinien. Mais je ne puis les rapporter. Car ils sont innombrables, et je dois mettre un terme à cet écrit.

Je dois seulement mettre au jour ce qui regarde son caractère particulier, et je vais prouver combien il a été dissimulé et faux. »

Procope établit clairement un lien entre abus politiques et calamités. À cet égard, il ne différait pas des autres chroniqueurs. Tous établirent ce même parallèle simplement parce qu’ils furent les témoins directs de ces deux types d’événements, ils les vécurent en personne pendant des années.

Lisez la deuxième partie de cet article

 

yogaesoteric
30 mai 2022

 

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