Quand les cieux s’assombrirent — Des historiens ont identifié la « pire année » de l’histoire de l’humanité (2)
par Mark Puleo — AccuWeather
La prochaine fois que vous pensez que votre vie est rude, imaginez ce qu’elle pouvait être quand une partie de la Terre a été plongée dans un cataclysme. Même une fois la catastrophe terminée, il s’en est suivi une décennie de douleur et de souffrance.
Lisez la première partie de cet article
Quelques 1.500 ans plus tard, l’historien médiéviste Michael McCormick, de l’université de Harvard, est parvenu à une conclusion tout aussi sombre, non seulement sur cette terrible année 536, mais aussi sur la terrible décennie qui a suivi. McCormick a déclaré que pour les populations vivant en Europe en 536, « c’était le début de l’une des périodes les plus terribles que l’on puisse vivre, si ce n’est la plus terrible des années. » Comme l’a précisé McCormick à AccuWeather, tout a été déclenché par un changement climatique rapide et radical, en précisant qu’au printemps 536, une éruption volcanique a déclenché le Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive. Et ses ramifications, auxquelles s’ajoutent les éruptions qui ont suivi en 540 et 547, ont été dévastatrices.
Les nuages de fumée provenant de dizaines de feux de forêt cette semaine-là ont assombri le ciel et l’ont transformé en une étrange lueur orange sur une grande partie de la côte ouest, des conditions qui ont maintenu les lampadaires publics allumés toute la journée et plongé les habitants dans l’inquiétude.
McCormick ajoute : « Les aérosols produits par les grandes éruptions volcaniques ont bloqué le rayonnement solaire, réduisant ainsi le réchauffement de la surface de la Terre. » Et il précise que l’analyse du climat effectuée sur la base des cernes des arbres par l’université de Cambridge au Royaume-Uni montre que la température estivale moyenne a diminué de 1,5 à 2,5 degrés Celsius en Eurasie.
Cette baisse de 1,5 à 2,5 degrés Celsius a été causée par l’important nuage de poussière qui a suivi l’éruption. Selon de nombreux témoignages historiques, le ciel est resté obscurci jusqu’à dix-huit mois, entraînant la funeste période de bouleversements qui distingue l’année 536 de notre ère.
Selon les récits historiques et les analyses de reconstruction du climat, l’obstruction du rayonnement solaire a gravement affecté les conditions météorologiques, ce qui a entraîné des chutes de neige estivales en Chine et une baisse record des températures jamais vue depuis plus de 2.300 ans.
Au Moyen-Orient, en Chine et en Europe, la présence d’un épais brouillard était un cauchemar quotidien auquel nul ne pouvait échapper, tandis que selon The Gaelic Irish Annals, les difficultés agricoles généralisées se sont traduites en Irlande par une « disette de pain entre les années 536 et 539 de notre ère ».
Une grande partie de la compréhension des scientifiques sur les impacts de l’éruption du volcan islandais a été découverte au cours du Historical Ice Core Project, un partenariat entre l’université du Maine et l’université de Harvard codirigé par McCormick en collaboration avec le professeur Paul Mayewski du Climate Change Institute. À l’aide d’échantillons de carottes de glace en provenance d’Islande, l’équipe a établi une chronologie archéologique afin de déterminer quand et où en Islande l’éruption volcanique initiale a dû se produire.
Ses impacts ont été généralisés et mortels. McCormick déclare que :
« Des témoins oculaires antiques rapportent que le soleil a cessé de briller pendant 14 à 18 mois. Le résultat s’est traduit par plusieurs années de mauvaises récoltes et de famines, lesquels ont provoqué des migrations et des turbulences à travers l’Eurasie. »
L’apparition de la première peste bubonique
Si l’épidémie de peste bubonique du VIe siècle est moins connue que la réapparition de la maladie au XIVe siècle — connue sous le nom de peste noire — la première a néanmoins détruit au moins un tiers de la population de l’Empire romain d’Orient, ce qui a entraîné son effondrement.
Surnommée la pandémie de Justinien ou la peste de Justinien, la maladie s’est répandue dans toute l’Égypte romaine avant d’infecter le reste du monde au cours des 200 années qui ont suivi. Selon McCormick, de l’ADN antique a montré que l’agent pathogène responsable de la maladie était Yersinia pestis, la peste bubonique, une maladie des rats et autres rongeurs qui s’est répandue dans les populations humaines.
Note du traducteur : Blâmer les puces transportées par les rats pour expliquer la peste est tout aussi fallacieux que d’attribuer une origine soi-disant naturelle issue d’un pangolin ou d’une chauve-souris pour le Sras-CoV-2, et permet d’éviter de regarder la réalité en face, à savoir que l’humanité fait face de manière cyclique à des événements totalement incontrôlables, y compris par les élites autoproclamées.
À la suite des éruptions volcaniques qui ont modifié le climat et obscurci l’année 536, McCormick estime que tout concourait à ce que la peste fasse des ravages.
Bien qu’il ait déclaré qu’il n’existe pas encore de lien précis établi entre l’apparition soudaine du Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive et la peste de Justinien, McCormick a déclaré :
« il semble probable que, par exemple, les pénuries alimentaires causées par le refroidissement soudain dans de nombreuses parties de l’Eurasie ont affaibli les populations et les ont rendues plus sensibles à l’agent pathogène. »
Selon lui, les famines ont presque certainement entraîné des migrations massives de personnes, qui ont probablement transporté la maladie avec elles.
Comparées aux épreuves modernes subies à cause [de la soi-disant pandémie de – NdT] covid-19, les différences sont choquantes.
Il ajoute :
« Il faut prendre la période dans son ensemble, [l’année] 536 n’était que le début d’une période très difficile. Vivre la pandémie de peste en plus du refroidissement brutal a dû être très éprouvant. Aujourd’hui, le covid-19 est terrible [mais non, pas tant que cela – NdT], mais comparez-le au taux de mortalité de la peste bubonique. »
McCormick a également souligné le taux de létalité [« dû » au covid-19 – NdT] de 1,8 % aux États-Unis par rapport au taux de mortalité de 40 à 60 % pour la peste bubonique pour laquelle il n’existait aucun traitement.
Quelle a donc été l’ampleur de ces éruptions volcaniques ?
De multiples éruptions ont bouleversé l’histoire et leurs traces ont été conservées dans la glace
Mayewski, un glaciologue de l’université du Maine, a également été étroitement impliqué dans le Historical Ice Core Project. Il a déclaré à Science Magazine que son équipe a pu analyser 2.000 ans de catastrophes naturelles historiques, extraites en Islande d’un forage de 72 mètres qui a permis aux scientifiques d’établir une chronologie historique des taux de concentration de différents éléments.
En utilisant un laser pour découper dans la carotte des tranches de glace de 120 microns, les scientifiques ont pu analyser les augmentations et les diminutions des taux de divers éléments à différents moments de l’histoire pour les associer à des catastrophes, ce qui nous a permis de mieux comprendre ce qui a façonné le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Dans l’échantillon de glace du printemps 536, l’étudiante diplômée Laura Hartman et le volcanologue Andrei Kurbatov ont trouvé des particules microscopiques de verre volcanique, qui correspondent étroitement aux particules de verre trouvées précédemment dans des lacs d’Europe et dans une carotte de glace prélevée au Groenland.
Kurbatov a conclu que le mélange parfaitement désastreux de vents et de conditions météorologiques qui s’est produit en 536 a dû guider le panache à travers l’Europe et jusqu’en Asie, jetant un voile glacial alors que le brouillard volcanique « déferlait [sur ces continents – NdT]. »
Selon un article publié en 2015 dans le Smithsonian Magazine, d’autres scientifiques pensent également que l’éruption islandaise de 536 a émis des cendres épaisses qui se sont répandues dans l’hémisphère nord, pompant de grandes quantités de sulfate dans l’atmosphère.
En plus de cette éruption-ci, d’autres études menées récemment ont suggéré que [l’activité simultanée de – NdT] plusieurs volcans auraient pu être responsables des tragédies de cette période.
Selon les scientifiques, une autre éruption volcanique notable aurait été l’une des plus fortes éruptions des 10 000 dernières années, probablement comparable à l’éruption du mont Tambora en 1815.
L’éruption du mont Tambora a également conduit à une année tout aussi sombre, puisqu’une grande partie de l’année 1816 a été plongée dans l’obscurité, entraînant des chutes sans précédent des températures et des centaines de milliers de décès dus à l’éruption et à la famine, elle-même due aux mauvaises récoltes de cette saison-là. Cette période a été surnommée « l’année sans été ». Aux États-Unis, la neige est tombée en juin à New York et dans le Maine, tandis que dans la région, de fortes gelées et des tempêtes de verglas se sont produites jusqu’en juillet.
Au VIe siècle, l’autre volcan qui a marqué l’histoire est entré en éruption à environ 8.000 km de l’Islande, en Amérique centrale, avec une explosion volcanique plus de cent fois plus forte que celle du mont Saint Helens en 1980, comme la déclaré au National Geographic le chercheur Robert Dull.
Une équipe de scientifiques a publié une étude dans la revue Quaternary Science Reviews, qui situe l’emplacement de l’éruption dans le centre du Salvador à partir de l’Ilopango endormi. Aujourd’hui, un lac de la taille de 73 kilomètres carrés se trouve dans la caldeira volcanique laissée derrière.
Dull, géologue à l’université luthérienne de Californie a déclaré :
« Il s’agit de la plus grande éruption d’Amérique centrale à laquelle l’être humain ait jamais assisté. L’importance de l’événement est encore plus grande, à la fois la façon dont les Mayas l’ont surmonté et à l’impact qu’il a eu sur ce qui s’est passé ensuite. »
On pense que la paire d’éruptions cataclysmiques s’est combinée pour déclencher les années de maladie, de famine et de tragédie de la décennie suivante.
Le voile de poussière
À l’aide de techniques de datation historique telles que l’analyse des anneaux de croissance des arbres [dendrochronologie – NdT] et les relevés d’isotopes stables du carbone, les scientifiques ont présenté un modèle permettant de décrire à quel point la vie était rude pour les personnes vivant à cette époque.
Le voile de poussière, disent-ils, a réduit les niveaux habituels de rayonnement solaire, ruinant ainsi des années de récoltes, et « a contribué à des épidémies de famine remarquablement simultanées », laissant les humains avec un manque à long terme de vitamine D, ce qui a affaibli leur santé et leur qualité de vie pendant ces années sombres [littéralement – NdT].
McCormick a déclaré qu’au fur et à mesure d’une meilleure compréhension des archives climatiques naturelles et des reconstitutions du Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive, les scientifiques pourront davantage déterminer comment ce voile de poussière a radicalement changé le climat dans différentes parties de l’hémisphère nord. Il a ajouté :
« La péninsule arabique, par exemple, pourrait être devenue un peu moins sèche, tandis que l’effet semble plus spectaculaire et négatif au nord de la Méditerranée. Jusqu’à présent, la plupart des enregistrements climatiques naturels à partir desquels le Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive a été reconstitué proviennent d’Eurasie et d’Amérique du Nord, donc de latitudes plus septentrionales. »
Même si cela peut sembler difficile à croire, compte tenu des multiples guerres mondiales et des nombreuses pandémies dévastatrices des cent dernières années, McCormick a déclaré à History.com que cette horrible période de l’histoire n’a absolument pas été exagérée par les descriptions de ceux qui en ont été témoins :
« Ce fut un changement assez radical, qui s’est produit du jour au lendemain. Les témoins de l’époque avaient parfaitement compris ce à quoi ils faisaient face. Ils n’étaient en rien hystériques et la fin du monde n’était pas le fruit de leur imagination. »
yogaesoteric
3 juin 2022