Sans le coup d’État de 2014, l’Ukraine vivrait en paix (2)
par L’Eclaireur
Lisez la première partie de cet article
L’Éclaireur : La Russie n’a-t-elle pas néanmoins sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens ?
Oleg Nesterenko : Rappelez-vous les expertises, sérieuses, qui ont été faites sur la capacité de l’Ukraine à maintenir la résistance contre la Russie. À l’époque, juste avant le déclenchement de l’opération spéciale, il était estimé que l’Ukraine ne pouvait tenir qu’un temps très limité face à la Russie.
Contrairement aux informations développées dans les mass médias occidentaux et malgré les événements que l’on observe sur le terrain depuis plus d’un an, j’aimerais souligner que ces experts qui ont prévu que l’Ukraine ne pourrait résister qu’un temps limité n’ont eu nullement tort. Ils ne se sont nullement trompé dans leurs prévisions.
Mes paroles peuvent paraître étonnantes vis-à-vis de ce qu’on observe depuis plus d’un an. Pourtant, il n’y a pas à s’étonner. Il ne faut jamais oublier que le déclenchement de la phase active des hostilités a eu lieu fin février 2022 et que déjà fin mars 2022, il y a eu des pourparlers à Istanbul entre l’Ukraine et la Russie. Pour quelles raisons une partie qui se sent forte et qui sait qu’elle a encore des capacités considérables de résistance se mettrait-elle autour d’une table de négociations pour convenir d’une forme de reddition ? Les Ukrainiens se sont mis autour d’une table de négociation, étant conscients que leurs capacités de résistance étaient très limitées.
À Istanbul, quand les deux parties ont trouvé un consensus, quand elles ont été proches de signer un accord de paix, il y a eu un virage à 180 degrés du côté ukrainien. Pourquoi ? Quand une des deux parties fait volte-face du jour au lendemain, cela ne signifie qu’une seule chose : que cette partie a reçu une contre-proposition de la part des concurrents de ceux qui sont en face d’elle. C’est comme cela que cela se passe dans le monde des affaires. En politique, c’est pareil.
Si l’Ukraine a pu se permettre le luxe de faire une croix sur l’accord de paix, c’est tout simplement qu’elle a reçu une contre-proposition du camp occidental. Les évènements qui ont suivi ont dévoilé les éléments de cette proposition : l’Ukraine s’est vue ouvrir une gigantesque ligne de crédit partiellement payable en armement. En contrepartie, l’Ukraine devait s’engager à ne pas conclure de cessez-le-feu avec la Russie et fournir la chair à canon. C’était ça l’accord.
Les frontières nationales de l’Ukraine ensuite ont été fermées. En France, on n’en parle pas beaucoup – car c’est une vérité trop gênante – mais au début de la guerre, il y a eu un gigantesque exode des populations des territoires de l’Ukraine, notamment de la population masculine. Les hommes savaient que s’ils ne partaient pas, ils seraient envoyés à la tuerie. Quand on parle à la télévision occidentale de l’héroïsme ukrainien, ça me fait sourire, sachant parfaitement que le pays se serait vidé des futurs combattants en un temps record si les frontières étaient restées ouvertes.
Il faut savoir que pour quitter l’Ukraine depuis la fermeture des frontières, il faut verser un pot-de-vin aux fonctionnaires de la douane ukrainienne qui va de 7 à 10.000 dollars américains. Donc, pratiquement aucun riche ukrainien combat en Ukraine. Mourir aujourd’hui en Ukraine, c’est le sort des pauvres. Cette information provient directement de nombreuses personnes qui ont payé pour quitter le pays et que je connais personnellement.
L’Éclaireur : Les réfugiés ukrainiens ont en Europe bénéficié d’un statut très protecteur, comparé notamment aux Syriens ou aux Afghans. Mais selon vous, c’est usurpé ?
Oleg Nesterenko : C’est bien le cas. D’une part, le bloc « atlantiste » est directement responsable de l’exode des populations syriennes et afghanes – il faudrait un article à part pour énumérer les actions de « bienfaisance » commises par ce bloc contre ces pays et leurs désastreuses conséquences. Et je ne parle pas uniquement, par exemple, de l’acte d’agression de la Syrie, lequel est juridiquement considéré en tant que crime d’agression, selon les points a, b, c et d du paragraphe 2 de l’article 8 bis du Statut de Rome de la CPI tant chérie et mise en avant ces temps-ci par ceux qui la financent.
Il faut remonter bien plus loin, notamment aux origines de la création de divers courants et structures, dont l’État islamique. Si nous sommes dans la logique de l’accueil des réfugiés venus de tous les horizons, alors, c’est bien ces deux populations qui ont le plus de légitimité pour en bénéficier, sans compter les Libyens, dont les sous-traitants des États-Unis ont anéanti l’avenir de leur pays.
Concernant les réfugiés ukrainiens, notamment en France, il y a ce que l’on connaît d’eux via les mass-médias et il y a la réalité qui diffère grandement de la propagande. Les médias occidentaux présentent les Ukrainiens en tant qu’un seul groupe d’individus qui ont fui la guerre. C’est le narratif que nous connaissons. La réalité n’y correspond pas du tout.
Les réfugiés ukrainiens sont très loin d’être un bloc homogène. Il y a une très nette séparation entre les réfugiés venus de l’est et ceux venus de l’ouest du pays. Ceux de l’ouest du pays, territoires traditionnellement nationalistes, ont fui l’Ukraine, tandis que leur région ne se trouvait sous aucune réelle menace. Ils ne risquaient rien, ni au début de la guerre, ni aujourd’hui. Dès le second mois du conflit, il était déjà clair que la Russie n’était nullement intéressée par cette zone. L’ouest de l’Ukraine, ce n’est ni la Syrie, ni l’Irak. La réelle motivation du départ d’habitants de cette zone vers l’Europe n’est nullement humanitaire, mais économique.
Il faut savoir que depuis la chute de l’Union soviétique, les régions de l’ouest de l’Ukraine ont toujours vécu dans une grande pauvreté, à la limite de la misère : pratiquement toutes les richesses du pays sont concentrées à Kiev et à l’est de l’Ukraine. De 1991 à 2022, des millions d’Ukrainiens, majoritairement des régions mentionnées, sont partis travailler à l’étranger. Il y a deux destinations pour ces travailleurs : la Russie et l’Union européenne. Vous l’ignorez certainement, mais même aujourd’hui, il y a plus d’un million de travailleurs ukrainiens sur le sol russe. Et je ne vous parle que du chiffre officiel, de ceux qui disposent d’un permis de travail officiel. Avec le travail au noir, on estime à plus de 3 millions le nombre de citoyens ukrainiens travaillant en Russie. Le nombre traditionnellement très élevé de travailleurs illégaux ukrainiens est dû à la politique de tolérance à leur égard qui a toujours eu cours en Russie : ils ne risquent pas grande chose s’ils sont arrêtés.
D’autres sont partis travailler au noir dans l’Union européenne. Quand vous avez une personne d’un village qui part travailler vers l’Europe, à terme, c’est parfois la majorité de la population du village en âge de travailler qui suit son chemin, les uns après les autres. Dans sa majorité écrasante, les hommes travaillent dans le bâtiment et les femmes qui accompagnent leurs maris en tant que femmes de ménage. Les hommes font surtout des « rotations », car la plupart du temps, leurs familles restent au pays. Et on parle ainsi de millions de personnes. Si parmi vos lecteurs, un grand nombre n’a jamais entendu parler de cela, sachez qu’en Ukraine il n’y pas une seule personne adulte dans tout le pays pour qui mes propos ne sont une banalité.
Avec le déclenchement de la guerre, un grand nombre de familles sont parties rejoindre leurs maris travaillant au noir dans l’Union européenne. Beaucoup d’autres ont vu une opportunité pour partir et changer de vie. En partant, beaucoup ont fait louer leurs biens immobiliers à des réfugiés de l’est du pays qui ne sont traditionnellement pas attirés par les richesses de l’Europe et préfèrent rester en Ukraine.
Il y a un véritable scandale en Ukraine, dont vous n’allez jamais bien évidemment entendre parler, sur ses profiteurs de guerre qui n’ont jamais été en danger et qui sont partis toucher des allocations en Europe en louant à des prix exorbitants leurs biens à de vrais réfugiés, vu la demande qui a explosé et qui a fait démultiplier les prix dans le locatif. Ce ne sont nullement des cas isolés, c’est très pratiqué dans l’intégralité des régions de l’ouest du pays. Au point qu’aujourd’hui, il y est impossible de trouver le moindre bien à louer. Les prix ont été multipliés par deux, parfois par cinq.
En tout cas, ceux qui sont originaires de l’ouest de l’Ukraine et qui ne sont pas dans l’Union européenne pour des raisons économiques, sont déjà repartis chez eux depuis un moment. Je suis formel.
En revanche, ceux qui sont originaires de l’est du pays, territoires traditionnellement pro-russes, ont fui un danger, on ne peut plus réel. Parmi eux, ceux qui sont partis vers l’Europe sont ceux qui n’ont pas eu de moyens financiers pour rester à l’ouest de l’Ukraine qui est une zone d’une parfaite sécurité, mais où ils se font dépouiller par des locaux qui, par ailleurs, les détestent presque autant que les Russes. Et ce que les Européens ignorent, c’est que parmi ces vrais réfugiés, beaucoup sont foncièrement pro-russes et haïssent le régime de Kiev et tout ce qu’il représente. S’ils ne sont pas partis vers la Russie, ce n’est dû qu’au fait qu’il n’était pas possible de traverser la ligne de front. Ils n’avaient qu’une possibilité de fuir : vers l’ouest.
En France, vous avez une part relativement importante de réfugiés ukrainiens qui sont parfaitement pro-russes, mais qui se taisent, car ils savent qu’il ne faut surtout pas que l’accueillant intoxiqué par sa propagande apprenne la vérité les concernant. Ce sont surtout des personnes âgées de plus de 45 ans, ceux qui ont reçu une éducation encore sous l’URSS. Ce ne sont nullement des nostalgiques du passé soviétique, loin de là. Ce sont juste ceux qui savent exactement ce qu’est la Russie et le monde russe, car ils y ont vécu.
L’Éclaireur : On a une idée du nombre d’Ukrainiens qui ont fui l’Ukraine ?
Oleg Nesterenko : Je ne dispose pas de chiffres précis, mais on parle de millions qui sont partis vers l’Europe, dont plus de 100.000 vers la France. Il faut se rappeler que les frontières ont été fermées dès le mois de mars 2022, sans quoi la quasi-intégralité de la population masculine âgée de 18 à 60 ans aurait fui le pays et il ne resterait plus personne à envoyer à l’abattoir. Mais le pays qui a accueilli le plus de réfugiés, c’est bien la Russie. Il y a plus de 3,2 millions de personnes. Et parler des départs des habitants ukrainiens vers la Russie d’une manière forcée n’est que signe d’imbécilité et de déconnexion totale de la réalité.
L’Éclaireur : Alors que la question se pose de la fin de la suprématie du dollar, vous dites que la guerre en Ukraine est non seulement la guerre du dollar mais qu’elle n’est pas la première…….
Oleg Nesterenko : Je vois que vous faites allusion à mon analyse sur les guerres du dollar, publiée cela fait quelque temps. En effet, ce n’est pas la première, ni même la deuxième, mais la troisième guerre du dollar. La première, c’était la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. La deuxième, celle de la guerre contre la Libye de Kadhafi. Et la troisième, donc, contre Moscou sur le territoire de l’Ukraine, menée sur le territoire d’un État tiers, tout simplement parce qu’on ne peut pas mener la guerre contre les Russes directement chez eux. Et ce n’est que la guerre hybride et par procuration qui peut avoir lieu face à la Russie.
S’agissant des deux premières guerres du dollar, il faut d’abord comprendre que des pays comme l’Irak et la Libye sont, avant tout, des grandes puissances énergétiques. Des puissances qui ont osé mettre la monnaie étasunienne en danger. En 2003, Saddam Hussein avait mis sa menace à exécution : celle de cesser de vendre les hydrocarbures et le gaz en dollar. Saddam Hussein était le premier à soulever la question de la légitimité du dollar, du pétrodollar et, surtout, à agir d’une manière très significative contre ce dernier. Il a alors signé son arrêt de mort.
En février 2003, Saddam Hussein a vendu 3 milliards de barils de pétrole brut pour un montant supérieur à 25 milliards d’euros. Cette vente a bien eu lieu en euros et non pas en dollars. Un mois plus tard, les États-Unis envahissaient l’Irak. On ne connait pas les chiffres exacts, mais on estime le nombre de victimes à un million, dont une sur deux était mineure. Sans parler des centaines de milliers de morts supplémentaires dans les années qui ont suivi à la suite de la destruction totale de l’infrastructure sociale et économique du pays. D’ailleurs, les EU eux-mêmes, leurs analystes dignes de ce nom, le reconnaissent.
En 2009, en Libye, c’est aussi une guerre du dollar qui a eu lieu. Président de l’Union africaine à cette époque, Mouammar Kadhafi, a proposé à tout le continent africain une véritable révolution monétaire : se soustraire à la domination du dollar et créer une union monétaire panafricaine. Avec elle, les exportations du pétrole et d’autres ressources naturelles du continent noir auraient été payées non pas en dollar ou pétrodollar, mais dans une nouvelle monnaie qu’il appellerait le dinar-or. Lui aussi a signé son arrêt de mort.
Si de telles déclarations avaient été faites non pas par l’Irak ou la Libye, richissimes en pétrole et le gaz, mais, par exemple, par le Burkina Faso qui est riche en or, mais dépourvu des réserves prouvées en hydrocarbures – il n’y aurait eu aucune guerre. L’Irak de Saddam Hussein et la Libye de Kadhafi, étant des puissances énergétiques dotées de réserves gigantesques, étaient un danger existentiel pour l’économie étasunienne. Les deux leaders avaient annoncé ouvertement et officiellement qu’ils voulaient se débarrasser du dollar. Ce sont aussi deux pays avec lesquels les États-Unis n’avaient pas à craindre de conséquences néfastes dans le cas d’une agression. Il fallait donc les anéantir. Et cela a été fait sans tarder.
Avec Moscou, ce n’était pas possible. La Russie, ce n’est ni l’Iran, ni l’Irak, ni la Libye. Avec la Russie, les États-Unis ne pouvaient agir qu’indirectement.
Lisez la deuxième partie de cet article
yogaesoteric
11 juillet 2023