Shambala est réel (XII)

Le messager porteur de la connaissance (III)

 
par Monica Dascălu
 
Lisez ici la partie antérieure de cet article.
 

La voie vers Shambhala est jalonnée par des obstacles difficiles. Pour le yogi tantrique, l’osmose entre le monde intérieur et le monde extérieur fait de sorte que tout ce qui se manifeste à l’extérieur ait un correspondant à l’intérieur. Ainsi, pour ceux qui sont initiés, les guides de voyage vers Shambhala se traduisent en termes d’évolution spirituelle intérieure et les obstacles internes posés par l’ego sont plus difficiles et plus dangereux que n’importe quel obstacle externe. Le guide de voyage à Shambhala – « Le messager porteur de la connaissance », écrit au XVIe siècle par le prince tibétain Rinpungpa -, dont la présentation sera conclue dans cet article, nous apprend comment aborder ces obstacles pour être en mesure de les surmonter avec succès.

Après un voyage difficile marqué par la reprise en « spirale » de certains types d’épreuves spirituelles manifestées à un niveau de plus en plus profond, le yogi est arrivé à la Montagne d’Encens et a offert des sacrifices aux grands saints et aux yogis qui symbolisent le Soi Suprême. La bénédiction de ces êtres parfaits l’aidera à continuer avec succès son voyage vers Shambhala.

« Devant toi il y a maintenant un long voyage à travers une zone dangereuse où les tempêtes de poussière rouge éclatent souvent, explosant en l’air comme des offrandes de feu. Des foudres et des tonnerres vont frapper tout autour de toi, bombardant la terre d’averses mortelles de grêle de diamants. A tout moment peuvent apparaître des troupeaux de vautours poussant de grands cris,  toutes griffes dehors pour te déchirer en morceaux. Des démons aux yeux rouges qui incarnent des peurs sans nom se cachent tout autour, en attendant de se nourrir de ta chair. Mais le pouvoir des enseignements des sages de la Montagne d’Encens vont te protéger contre ces menaces et te permettront de suivre le chemin qui mène au nord, vers Shambhala. »

A l’aide des sages, le yogi est capable de survivre aux diverses  dangers qui l’assaillent : les terribles tempêtes et les attaques meurtrières des vautours et des démons. Renonçant à l’ego et donc au rassurant (mais faux) sentiment d’identité qu’il génère, Rinpungpa expérimente l’horreur terrifiante de l’anéantissement instantané. A tout moment, il sent qu’il pourrait cesser d’exister tout comme un aigle qui tombe en cascade du haut des cieux.

Des anxiétés imprécises mais écrasantes qui guettent des profondeurs de l’inconscient apparaissent désormais sous la forme de démons aux yeux rouges et d’autres êtres qui incarnent des craintes sans nom. Seule la prise de conscience de sa nature réelle, de l’Esprit Suprême Immortel (Atman), réalisée même partiellement, peut donner au yogi le sentiment de son unité intérieure indestructible, si nécessaire pour poursuivre le chemin sans être en proie à la terreur ou désintégré par la folie.

« Après plusieurs journées de voyage déchirantes, tu arriveras dans un beau pays riche en or et en pierres précieuses, le pays des êtres fabuleux qui ne sont ni des hommes, ni des dieux. Partout dans ce pays, tu verras des étangs délicieux faits de pierres précieuses, avec de l’eau fraîche et claire. Tu verras aussi des maisons construites en pierres et entourées de murs de cristal brillant ; dans leurs jardins tu trouveras des arbres qui répondent à tous les désirs, qui peuvent te faire obtenir tout ce que tu veux. Les vierges extraordinaires vivant dans ce monde sont toujours heureuses et chantent toujours des chansons suaves, leurs visages sont ravissants comme la lune, elles sont belles comme les fleurs de lotus et leurs yeux sont comme des fleurs bleues. Des foulards diaphanes décorés de perles entourent leurs corps d’or. Leurs mains et leurs pieds sont couverts de bijoux et elles font des mouvements gracieux comme les branches d’arbres balancées par une douce brise.

Dès qu’elles te verront, ces vierges sentiront une passion impétueuse pour toi et s’approcheront de toi, se mettant tout autour de toi comme les abeilles excitées par la convoitise pour le miel. Souriant tendrement, te jetant des regards séducteurs, elles vont te fait sentir immédiatement que vos âmes se fondent en une seule, elles vont t’embrasser et puis vont passer leurs bras et leurs jambes gracieuses autour toi, comme des jeunes branches qui grimpent aux arbres. Pourquoi ne pas savourer l’enchantement de faire l’amour avec ces vierges qui ont atteint l’état de pureté et de pouvoir spirituel des DAKINIS illuminées ? Goutte le miel de leurs seins poussés vers toi comme des fleurs donnant leur nectar.

Si tu le fais, tu sentiras une énorme vague de joie et de bonheur se hausser des profondeurs de ton être, te portant au-delà de toute sensation physique. La chaleur du feu intérieur, comme le feu brûlant sur la frontière de sud de l’univers, se lèvera à travers ton corps, brûlant éternellement le fourré des pensées et des limites mentales. Lorsqu’il arrivera au sommet de la tête, au lotus aux mille pétales (SAHASRARA), ce feu va dissoudre le MANTRA mystique secret dans des gouttelettes liquides de la couleur de la lune fondue. Un flux de nectar d’argent va couler vers le bas, en supprimant tous les blocages énergétiques et en ouvrant pleinement les centres de force (CHAKRAS). Se propageant à travers les milliers de canaux subtils (NADIS) qui rayonnent à partir les centres de force, ce nectar purifiera ton corps entier, l’alchimisant dans l’indestructible corps de diamant de la béatitude. Il n’y a aucun autre procédé spirituel qui puisse te conduire aussi  rapidement à cette réalisation spirituelle. Une fois que tu vas obtenir ce corps miraculeux, sois sûr que tu seras en mesure d’arriver dans le royaume pur de Shambhala.

Traverses maintenant avec enchantement les pays merveilleux qui s’étendent devant toi. Ton chemin passe par des villes idylliques qui apparaissent comme des morceaux de ciel descendus sur Terre. Tu passeras à côté de montagnes chatoyantes au soleil grâce aux innombrables joyaux qui les couvrent, tu traverseras des rivières semblables à un flot de perles brillantes. Tu avanceras facilement et une grande joie élèvera ton âme. »

Après plusieurs jours de voyage, toujours harcelé par les obstacles et les difficultés, le yogi atteint un royaume céleste habité par des créatures fabuleuses. L’eau claire et limpide, les gemmes étincelantes qui abondent ici reflètent la pureté des niveaux profonds de la conscience et les précieux états élevés deviennent disponibles au yogi qui a atteint ce niveau. Après avoir transcendé la peur de perdre son identité (l’ego), Rinpungpa découvre dans les profondeurs de son subconscient un véritable paradis. Une fois qu’il a dépassé les tendances de possession et d’accumulation de l’ego, il peut profiter des objets de ses désirs élevés, sans risquer de s’y attacher : pratiquement, il a découvert en lui-même l’arbre qui répond à tous les désirs. Pour cette raison, il peut maintenant savourer avec enchantement la fusion amoureuse avec transfiguration, où l’énergie sexuelle est contrôlée par la réalisation parfaite de la continence sexuelle, avec les belles vierges de ce monde fabuleux.

En nous rappelant le début de ce voyage, notons que dans le Cachemire, on a conseillé au yogi d’éviter toute interaction avec les femmes séduisantes de là-bas. Mais les jeunes filles d’ici ont atteint l’état de pureté des DAKINIS illuminées et, au lieu de générer des attachements, la fusion amoureuse avec un tel être éveille dans le yogi une aspiration forte et ardente d’atteindre l’illumination spirituelle. En outre, par la transformation intérieure qui a eu lieu pendant son voyage, le yogi est maintenant en mesure de parfaitement contrôler  son énergie sexuelle et de l’utiliser habilement comme un tremplin vers des états de conscience de plus en plus élevés.

Le texte décrit clairement les effets miraculeux découlant de la fusion transfigurée et parfaitement maîtrisée avec les vierges DAKINIS comme : la purification, la dynamisation et l’ouverture des centres secrets de force (CHAKRAS), l’éveil de l’énergie Kundalini, le  déversement du nectar béatifique de l’immortalité (AMRITA), l’énergisation de tous les canaux subtils (NADIS) des couches  d’énergie de l’être humain, et même la transformation du corps physique dans le corps mystique du diamant. Le même passage peut être interprété comme une référence aux pratiques ésotériques tibétaines de génération de la chaleur interne (TOUMO) grâce à des procédures spéciales de visualisation. Les pratiques yogies associées au MANTRA secret comprennent la visualisation d’un feu qui éclate à la base de la colonne vertébrale, s’ élève au sommet du crâne et dissout le MANTRA pour finalement déverser des vagues de nectar dans tout le corps physique et dans les corps subtils. Certains textes tibétains recommandent même, pour produire la chaleur intérieure, la visualisation de fusions amoureuses similaires à celles expérimentées par Rinpungpa à ce stade de son voyage.

Du point de vue de l’efficacité pratique, la fusion amoureuse elle-même, lorsqu’elle est accompagnée par la transfiguration et la continence, est  bien sûr beaucoup plus forte que la visualisation d’un acte amoureux. En outre, la transfiguration de l’être aimé en un être spirituel élevé (même sous l’aspect d’une divinité féminine ou masculine, comme une Grande Puissance Cosmique ou DAKINI – pour transfigurer une femme – ou un aspect particulier de Shiva ou un grand Yogi – pour transfigurer un homme) a une valeur tout à fait magique. Ainsi le yogi (ou la yogie) a accès à des réalités spirituelles d’ordre supérieur.

Quand l’énergie sexuelle sublimée atteint le sommet de la tête, le centre suprême de l’être humain, SAHASRARA, la syllabe sacrée visualisée au sommet du crâne et qui symbolise l’aspiration à l’illumination est « fusionnée », dissoute et répandue dans le corps. Cela éveille dans l’âme du yogi une aspiration fondamentale pour atteindre l’illumination spirituelle d’une si grande puissance qu’elle remplit complètement son esprit et son cœur, en supprimant en même temps d’autres buts ou désirs.

Et concentrant toute l’attention et l’énergie intérieure sur l’atteinte de l’état de libération spirituelle, le yogi se sent complètement transformé même physiquement, étant désormais doté d’un nouveau corps indestructible, capable de soutenir l’effort nécessaire pour atteindre Shambhala. C’est seulement en atteignant le niveau de pureté symbolisé par le corps de diamant de la béatitude que Rinpungpa pourra entrer dans le domaine du supramental. Nettoyé de toute saleté, son ego est devenu une fenêtre transparente à travers laquelle il peut percevoir le monde et son propre être avec plus de clarté qu’auparavant. Cette perception transformée sur le monde est symbolisée par les belles terres que le yogi parcourt par la suite. Tout apparaît désormais dans la lumière de sa véritable nature divine, exactement comme si des morceaux de paradis étaient descendus ici-bas sur terre.

« Et ainsi, tu arriveras finalement au dernier grand obstacle du voyage – un mur vertigineux de montagnes enneigées au-dessus duquel même les aigles ne peuvent voler. Poignardant le ciel de leurs pics aigus, ces montagnes s’élèvent comme d’énormes démons qui veulent tuer tout espoir que tu pourrais te laisser illusionner : souviens-toi de la toute-puissance pleine de compassion de la conscience illuminée et éloigne fermement toute trace de doute de ton mental et de ton cœur.
Évoque la claire lumière de la conscience illuminée pour surmonter tes dernières peurs et tes idées délirantes : voici qu’elles vont s’évaporer comme des mirages trompeurs de l’obscurité qui disparaissent à l’arrivée de l’aube. Puis Les Nobles, au son cristallin des cloches d’or de leurs chevilles, vont te prendre sur leur épaules dans le char de triomphe des Dieux, et vont t’emmener au-delà du mur de montagnes enneigées. Grâce à leur pouvoir miraculeux, tu voleras en hauts des cieux, faisant honte aux aigles. »

Le grand mur des montagnes de neige qui apparaît dans tous les Guides de voyage vers Shambhala de la tradition tibétaine est en fait une grande barrière intérieure soulevée par les niveaux profonds de la conscience, afin d’éviter les interférences avec des impuretés du subconscient. Tout comme les divinités gardiennes  terrifiantes (par exemple, les soi-disant gardiens des seuils), les pics prennent des formes menaçantes de démons qui semblent bloquer la route, anéantissant tout espoir d’atteindre Shambhala. Leur vue révèle les dernières peurs du yogi : la peur de ne pas être en mesure de transcender les limites du mental. Comment peut-il espérer aller là où aucun aigle ne peut s’élever ?

Comme il est très clairement indiqué dans le texte, le yogi doit comprendre que cette crainte est seulement une barrière illusoire. Et quand elle va se dissoudre comme les fantômes de la nuit dans la lumière pleine de promesses de l’aube, les ressources les plus profondes de son être (les niveaux les plus profonds de la conscience) vont immerger à la surface de sa conscience à l’image et sous la forme de Nobles – Bodhisattvas et DAKINIS – qui le porteront au-dessus des montagnes de neige dans le domaine mystique de la transcendance.

« Et une fois que tu auras traversé les montagnes, tu dois parcourir une dernière forêt pleine de serpents et d’animaux sauvages. Tu devras manifester de l’amitié et de la compassion pour toute créature rencontrée dans la bonne voie. Ainsi, tu n’auras aucun problème avec elle. Et même si tu te sens épuisé et malade à cause de toutes les difficultés du voyage, continue à aspirer fortement à ton noble idéal d’atteindre Shambhala et continue de consacrer tous tes efforts pour aider tous les êtres de l’Univers. »

La souveraine aisance avec laquelle le yogi se déplace au-dessus de ce dernier obstacle dans le chariot royal des dieux (par rapport aux efforts et aux difficultés précédents) indique qu’il a maintenant atteint le niveau ultime du non-effort mentionné dans les traités yogis. Cela implique que le yogi n’a plus à se battre contre lui-même, car il est passé au-delà des conflits du subconscient et a atteint l’état d’unité harmonieuse et durable avec les niveaux profonds de son être. Rien, pas même les serpents et les bêtes sauvages qui se cachent dans la forêt ne peuvent affecter son progrès intérieur constant ; la compassion et l’amitié qui émanent maintenant de lui suppriment spontanément l’hostilité de tout être. Le chemin va maintenant tout droit jusqu’aux grandes villes sacrées de Shambhala.

“Et puis finalement, vous verrez briller les villes de Shambhala parmi les chaînes de montagnes comme des étoiles sur les vagues de l’Océan de Lait, comme des fleurs de lumière afin que l’ignorance disparaisse à jamais dans votre esprit. Et alors vous serez vraiment heureux et reposé et, tout à coup, vous allez récupérer complètement après tous les efforts et les difficultés du voyage. Maintenant, vous pouvez vous reposer, manger, boire et jouir des fruits de tous vos efforts … “

Et ainsi le yogi atteint la fin de son parcours initiatique : le monde sacré de Shambhala, le centre spirituel suprême planétaire, qui correspond dans le microcosme humain, analogiquement parlant, au Soi Suprême Immortel Atman. Mais est-ce vraiment la fin de son voyage ? Nous posons cette question parce qu’en réalité, le chemin spirituel qui conduit à la fusion extatique avec Dieu le Père ne commence vraiment que lorsque le yogi a révélé son Soi Suprême. Certes, pas la fin du voyage spirituel – parce que depuis toujours les yogis sont allés à Shambhala pour y recevoir des enseignements sacrés. Il représente plutôt un nouveau départ pour un yogi : l’éternel, le miraculeux début d’un unique, véritable et merveilleux voyage vers Dieu le Père.

Lisez ici la suivante partie de cet article.

 
yogaesoteric
2015


 

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