Sur la psychose paranoïaque
par Diane, Dépêches Citoyennes
Je viens de finir la lecture de ce livre (Psychopathologie de la paranoïa, ndlr). A priori, je ne m’intéressais pas spécialement à cette pathologie et certainement, comme bon nombre d’entre nous, je m’imaginais qu’elle prenait les traits de Mel Gibson dans Complots. Un homme qui se pensait espionné par tous, délirait dans les interprétations qu’il faisait de la moindre parole, d’un simple fait divers et échafaudait des scénarios alambiqués, sans queue ni tête et surtout, a priori, sans mobile.
J’avais entendu Ariane Bilheran citer cette pathologie et son livre dans plusieurs de ses interviews et les liens qu’elle établissait entre cette pathologie et la crise que nous vivons actuellement. Je me suis donc plongée dans ce livre et je ne le regrette pas, car il constitue une clef de compréhension de la crise actuelle sous plusieurs angles, mais également apporte des explications concernant tous les pans de notre vie, personnelle, familiale ou professionnelle.
Idriss Aberkane nous incite à connaître le fonctionnement de notre cerveau afin de détecter les manipulations et de s’en protéger. Ariane Bilheran, ici, nous propose de plonger dans celui du paranoïaque et du pervers afin de repérer les manipulations et s’en prémunir, ce qui s’avère une tâche ardue puisque le paranoïaque est un maître dans l’art du mensonge, de la maîtrise de la psychologie pour repérer ses victimes et leur faille, mais aussi pour se façonner une image. Il excelle dans la manipulation de l’autre ou d’un groupe (famille, association, entreprise) à tel point que bon nombre de personnes sont dupées, notamment les magistrats, les enquêteurs et encore plus surprenant, les psychologues.
« Socialement, le paranoïaque est souvent un “ être parfait “, ce qui est très déstabilisant pour son entourage ».
D’illustres paranoïaques ont été jusqu’à manipuler des foules entières, Ariane Bilheran en donne plusieurs exemples, comme Hitler, Caligula, Néron, Borgia, Médicis…….
Ce livre s’adresse à un très large public de lecteurs. Les descriptions sont claires et la compréhension en est facilitée par les nombreux exemples qui les imagent. Il va aussi plus loin dans l’analyse et certains passages seront mieux compris par les professionnels de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse ou du moins les lecteurs ayant une bonne maîtrise de base de ces sciences. Enfin, ce livre contient beaucoup de références à d’autres auteurs, des études et des cas cliniques.
Le Dr Bilheran est indéniablement une pédagogue douée. Elle parvient à expliquer clairement des notions complexes sans pour autant trop les vulgariser. Elle reste exigeante dans ses précisions, ce qui permet au lecteur de s’enrichir considérablement. J’ai ainsi exploré plus profondément ces notions de perversion, de déni, de manipulation, de folie raisonnante, de décompensation, de psychose. Elle décortique non seulement le modus operandi du paranoïaque, mais aussi le pourquoi, la source de cette pathologie et ses différentes formes.
« Le langage est un outil de pouvoir pour la paranoïaque. Ainsi, il peut parler et en appeler à la morale pour la simple et bonne raison qu’il voit que les idéaux ont un impact sur les interlocuteurs ».
Assimiler la notion de sophisme et de syllogisme est essentielle pour ne plus se laisser manipuler par de faux raisonnements.
« (…) avec la paranoïa, l’ordre du monde est inversé. On y perd son latin. »
Les grecs se prémunissaient d’une trop grande ambition qui menait à la manipulation afin de conserver le pouvoir. Ils ont ainsi inventé l’ostracisme qui condamnait l’homme politique au bannissement pour 10 ans et à l’exil. C’est une idée que nous devrions reprendre aujourd’hui concernant ces hommes politiques qui agissent en totale impunité.
« La psychose paranoïaque est la seule qui, de mon point de vue, pose la question de la responsabilité pénale ».
Si dans la paranoïa, l’interprétation est altérée, l’intention de nuire et la préméditation de ses actes attestent de la conscience. Cette notion interpelle et nous renvoie à que l’on peut parfois excuser un comportement blessant au prétexte que l’autre n’avait pas conscience ou était sous l’emprise de la colère, comme c’est malheureusement très souvent le cas lors de violences conjugales.
« (…) la paranoïa est la pathologie des masses possédées……. le paranoïaque confisque le pouvoir et soumet le peuple, par son agressivité, sa sophistique, sa violence, mais aussi par ses promesses de sécurité absolue……. le peuple renonce à ses capacités de penser, à ses désirs, à sa satisfaction, se sentant coupable et vulnérable à la fois, se soumet au pouvoir politique……. toute pensée autonome est annulée, au profit de la fascination que tous doivent éprouver pour le chef ».
Dans ses Chroniques du totalitarisme puis dans Psychopathologie du totalitarisme, Ariane Bilheran nous a permis de comprendre les mécanismes de résurgence du totalitarisme. Avec Psychopathologie de la paranoïa, le diagnostic précis est posé et explicité. Il se vérifie, se confirme malheureusement un peu plus chaque jour. « La psychose paranoïaque est la pathologie maîtresse du totalitarisme qui vise la suprématie du contrôle sur tous avec pour moyen de prédilection, le harcèlement, notion qu’elle reprend dans ce livre et qui mérite, elle aussi, d’être mieux connue par chacun tant elle est contagieuse et fréquente en période totalitaire ». (Conférence d’Ariane Bilheran sur le harcèlement).
Psychopathologie de la psychose paranoïaque
Ariane Bilheran cite à plusieurs reprises Hannah Arendt, dont la courte vidéo ici, explique cette notion de résurgence du totalitarisme, ainsi que René Kaës :
« La position idéologique radicale est une organisation narcissique fondée sur un déni collectif de perception de la réalité au profit de la toute-puissance de l’Idée, de l’exaltation de l’Idéal……. ».
La comparaison entre perversion et paranoïa permet d’en comprendre les subtiles différences, mais surtout de prendre conscience que la paranoïa est infiniment plus dangereuse en termes de déni, de haine et de destructivité. Elle nie l’autre dans sa totalité tandis que la perversion l’instrumentalise. Un pervers n’est pas systématiquement paranoïaque tandis qu’un paranoïaque est toujours pervers.
« Les pervers sont utilisés par les paranoïaques, ils sont des contributeurs parfaits à la réalisation de son délire. »
« Dans le délire paranoïaque, la conception du monde est divisée en deux, les “ bons “, qui se soumettent, totalement et sans condition, et les “ méchants “ qui résistent à l’asservissement, à l’aliénation et deviennent des boucs émissaires ».
Ariane Bilheran nomme ce mécanisme : le clivage. Nous ne pouvons que constater celui-ci au travers des réactions des populations durant la période covid et du martèlement et harcèlement médiatique de la propagande.
Dans la dernière partie de son livre, le Dr Bilheran expose les dangers et pièges auxquels s’exposent les thérapeutes à suivre un patient atteint de paranoïa. Elle délivre des conseils qui ne manqueront pas d’intéresser les professionnels. Enfin, ses recommandations portent sur les outils de protection pour chacun de nous.
Tout au long de son livre, le Dr Bilheran attire notre attention sur le vécu des enfants, qui sont particulièrement brutalisés par un pouvoir ou un parent paranoïaque.
Les vidéos, les images, le démentiel torrent d’informations qui se déversent en permanence, nous dupent au sens où nous pensons avoir appris et compris. C’est bien souvent superficiel, une information en remplace une autre et nous n’avons pas le temps de digérer, d’assimiler, d’ancrer en nous ces notions essentielles au décryptage du fonctionnement de notre monde que ce soit dans notre quotidien, notre vie personnelle ou plus globalement dans le regard critique que nous devrions toujours avoir, en tant que citoyen, sur le monde politique.
La lecture d’un livre, est d’abord un temps pour soi, une solitude désirée. C’est nous qui décidons du rythme pour la dégustation des mots, des pauses que nous désirons faire lors de ce repas intellectuel. C’est un moment de calme, d’écoute de soi dans la résonance des mots et des idées. Ce que nous lisons reste gravé, enrichi notre savoir et alimente nos réflexions pour nous mener, comme le dit si justement Ariane Bilheran :
« Toutes mes publications s’inscrivent dans un processus et une architecture et sont destinées à ce que l’individu s’autonomise réellement dans ses décisions et retrouve le chemin de sa liberté. »
yogaesoteric
20 septembre 2024