Surveillance : la Chine se met en mode « Minority Report »

 

La Chine, reine de la surveillance avec plus de 176 millions de caméras installées à travers le pays, vient d’intégrer un tout nouveau logiciel de reconnaissance faciale à son système. En plus de surveiller les citoyens, le gouvernement chinois a désormais pour objectif de prédire et prévenir les crimes. L’intelligence artificielle, qui permettait déjà à la Chine de reconnaître et sanctionner les piétons indélicats, semble donc en passe de donner corps au scénario imaginé dans Minority Report, la nouvelle de Philip K. Dick, brillament adaptée au cinéma en 2002 par Steven Spiellberg.

Pour contrôler plus étroitement les citoyens, les autorités chinoises ont ajouté un système de reconnaissance faciale au réseau national de caméras de surveillance. Il faut savoir qu’en Chine, plus de 176 millions de caméras sont déjà installées selon Forbes, contre 50 millions aux États-Unis.

Pour l’instant, cette technologie de reconnaissance faciale est utilisée aux États-Unis pour identifier des criminels ou des terroristes via les photos disponibles dans les dossiers des personnes recherchées. Avec les recherches poussées en intelligence artificielle, les logiciels sont désormais capables de reconnaître dans une foule un individu à partir d’une simple photo, même si celle-ci est vieille de dix ans. Mais la Chine veut aller encore plus loin.

Prévoir et prévenir les crimes

Lors d’une reunion entre membres du gouvernement chinois qui s’est tenue dans le cadre du Conseil des affaires d’État, le 20 juillet 2017, les autorités ont décidé d’utiliser pleinement les capacités de l’intelligence artificielle en déployant une nouvelle technologie dans une dizaine de villes chinoises. Le but : renforcer la sécurité sur l’ensemble du territoire. Le gouvernement chinois teste donc actuellement un logiciel capable de prévoir et de prévenir les crimes.

Le logiciel de reconnaissance faciale, doté d’une intelligence artificielle, analyse les mouvements et les comportements de tous les citoyens du pays. Seront particulièrement surveillés les individus qui se rendent dans des magasins qui vendent des armes. Certains deviendront suspects à partir du moment où « ils empruntent les transports en commun » juste après cet achat, rajoute le porte-parole de la société chinoise spécialisée dans la reconnaissance faciale Cloud Walk Technology, qui travaille avec les autorités chinoises.

« Si nous utilisons correctement l’IA, nous serons capable de savoir à l’avance qui pourrait être un terroriste. »

Dans une interview accordée au Financial Times, le porte-parole de Cloud Walk Technology précise que « bien sûr, si quelqu’un achète un couteau de cuisine, il ne sera pas suspect. Mais s’il achète un sac et un marteau dans la foulée, il sera suspecté ». Le logiciel, qui fonctionne comme un système de notation, va évaluer le risque potentiel et avertir automatiquement les autorités pour leur permettre d’intervenir rapidement. « La police utilise un système de classement reposant sur le big data pour classer les groupes d’individus suspects en fonction de là où ils vont et de ce qu’ils font » conclut le porte-parole de Cloud Walk.



Dans Minority Report, John Anderton (joué par Tom Cruise) visualise les futurs crimes et arrête les coupables avant que ces derniers ne les comettent grâce à travail d’anticipation des « precogs ».

« Si nous utilisons correctement l’intelligence artificielle, nous serons capable de savoir à l’avance qui pourrait être un terroriste, qui pourrait faire quelque chose de mauvais », a expliqué Li Meng, vice-ministre des sciences et de la technologie, au lendemain du conseil des affaires d’État.

L’intelligence artificielle est déjà capable de repérer les comportements suspects à partir de la manière dont les citoyens marchent dans la rue. Cette technique est notamment utilisée pour repérer les voleurs dans les foules. Demain, le trajet de chaque individu pourra donc être retracé par les logiciels dans le but de repérer les personnes qui ont des comportements jugés étranges, d’identifier n’importe qui au sein d’une foule et de reconnaître ceux qui prennent régulièrement les mêmes chemins.

La Chine accumule depuis un certain temps des données pour surveiller et contrôler les citoyens, qu’ils soient criminels ou soupçonnés d’activités politiques sensibles. Mais grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, les capacités de surveillance de l’État pourraient être sensiblement amplifiées.

La Chine parie sur l’IA

Le système de prédiction du crime a été présenté au cours de la réunion du Conseil des affaires de l’Etat. Pour Li Meng, le vice-ministre chinois de la science et de la technologie, il « deviendra une fonction clé de l’IA ».

Considéré comme un moteur de la croissance économique et un vecteur d’amélioration des conditions de vie, l’IA va recevoir un énorme coup de pouce financier du gouvernement. Objectif : améliorer les structures et former les ingénieurs d’ici 2020, pour finalement devenir « le centre d’innovation » mondial de l’intelligence artificielle d’ici 2030. Pour cela, les entreprises chinoises devraient recevoir une aide de près de 150 milliards de dollars au cours des prochaines années.



Extrait de l’épisode 2 de la saison 2 de Black Mirror (La Chasse)

Le gouvernement n’est pas le seul à se pencher sur l’IA en Chine. Depuis six ans, Baidu, le moteur de recherche chinois, travaille sur le sujet. Ses ingénieurs ont notamment développé un programme de recherche d’enfants disparus qui compare les photos des parents aux fichiers des personnes kidnappées. Selon Baidu, le logiciel obtient des résultats pertinents dans 99,7 % des cas.

A présent, le moteur de recherche propose même ses services dans des lieux touristiques pour contrôler les allers et venues des individus. Grâce à la reconnaissance faciale, c’est le visage des visiteurs qui fait office de ticket d’entrée.



Dans les restaurants KFC, grâce à l’IA, des bornes permettent de proposer des menus personnalisés.

KFC, en s’alliant avec Baidu, a même ouvert le premier « restaurant intelligent ». Les bornes de commande ont intégré un logiciel de reconnaissance faciale et proposent des menus « à la tête du client ». Selon l’âge, le sexe ou l’expression du visage, le plat conseillé sera différent. Et l’une des fonctions qui rend le plus fier Wu Zhongqin, responsable de l’institut de Deep Learning de Baidu, c’est la mémoire de la machine. « Les visiteurs qui reviennent dans le restaurant seront reconnus par la borne, qui leur indiquera leur historique de commande et leur permettra, grâce à ses connaissances, de les aider à commander plus vite puisqu’elle connaît leurs habitudes ».

La Chine est donc tranquillement en train de devenir le laboratoire d’expérimentation des nouvelles technologies de surveillance, avec plus d’un milliard de cobayes à sa disposition.

 

yogaesoteric
15 février 2020


 

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