Embryons génétiquement modifiés : première expérience réussie aux États-Unis

C’est le genre de nouvelle qui ne laisse personne indifférent. Des chercheurs américains ont réussi à modifier génétiquement des embryons humains, une première à survenir à l’extérieur de la Chine. Cette expérience, qui serait sans doute illégale au Canada, suscite de nombreuses questions, mais a généralement été bien accueillie par les éthiciens. Le point en cinq questions.

En quoi consiste l’expérience dévoilée ?

On en sait encore très peu. Fait hautement inhabituel dans le monde scientifique, c’est la revue MIT Technology Review qui a dévoilé l’information le 28 juillet 2017, sans qu’aucun article scientifique ait été publié.

Selon ce qui a été rapporté, le chercheur Shoukhrat Mitalipov, de l’Oregon Health and Science University, a modifié génétiquement une série d’embryons humains à des fins de recherche. « Les résultats de cette étude devraient être publiés prochainement dans une revue scientifique », a confirmé l’Université, disant ne pas pouvoir fournir davantage d’information pour l’instant.

Quelle est l’importance de cette nouvelle ?

Il faut d’abord dire qu’il ne s’agit pas d’une première mondiale. En Chine, trois groupes ont déjà rapporté avoir génétiquement modifié des embryons. Les chercheurs profitent des nouvelles possibilités offertes par CRISPR, un outil génétique révolutionnaire qui permet de découper et de remplacer des bouts d’ADN avec une précision et une facilité inégalées. On l’a souvent comparé à la fonction couper-coller d’un traitement de texte. L’idée est d’utiliser ces ciseaux génétiques pour remplacer des bouts d’ADN défectueux par des sections saines afin d’éradiquer des maladies génétiques.

Faut-il s’alarmer de voir les scientifiques fabriquer des bébés sur mesure ?

C’est la question qui est sur toutes les lèvres. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas là. D’abord, les recherches actuelles visent à remplacer des gènes malades, non à concevoir des bébés « sur mesure ». Surtout, les embryons manipulés ne vivent que quelques jours et ne sont jamais implantés dans des utérus. Ils ne deviendront donc jamais des êtres humains qui vivront avec les gènes modifiés et pourront les transmettre à leurs enfants. « Pour la plupart d’entre nous, les grandes questions éthiques portent sur la question de faire des bébés modifiés, pas des embryons. Or, ici, on ne fait pas de bébés », dit à La Presse le professeur Hank Greely, directeur d’un centre sur les questions légales des biosciences à l’Université Stanford, en Californie. En 2015, un comité international avait recommandé de laisser les chercheurs utiliser CRISPR sur des embryons, à condition que ceux-ci ne quittent pas les laboratoires et ne soient jamais implantés dans des utérus.

Qui est Shoukhrat Mitalipov ?

Ce chercheur d’origine kazakhe est rattaché à l’Oregon Health and Science University. Personne n’a été surpris, jeudi, de voir son nom apparaître. Le professeur Mitalipov a notamment été le premier à cloner des singes et est le père d’une technique controversée permettant de créer des bébés à partir de l’ADN de trois parents. Le chercheur espagnol Lluís Montoliu l’a décrit à La Presse comme un « expert prestigieux à la réputation internationale » et comme un « pionnier  ». « Il est très respecté », confirme Hank Greely, de Stanford.

En quoi l’expérience américaine diffère-t-elle des expériences chinoises ?

En Chine, la modification d’embryons par CRISPR a conduit à certains problèmes. L’un d’eux est que les cellules d’un embryon se divisent. Or, certaines héritent des changements faits par CRISPR, d’autres, non. Les embryons qui présentent ces cellules mélangées sont appelés « mosaïques ». Selon la rumeur qui court, Mitalipov aurait réglé le problème des embryons mosaïques en effectuant les manipulations génétiques directement dans l’ovule fécondé, avant que les cellules ne se divisent. Si c’est le cas, ce serait une avancée considérable. Mitalipov aurait aussi modifié un plus grand nombre d’embryons, ce qui témoignerait d’une technique mieux maîtrisée.

Illégal au Canada

Selon Timothy Caulfield, directeur de recherche de l’Institut du droit de la santé de l’Université de l’Alberta, une modification génétique d’embryons comme celle rapportée serait illégale au Canada. L’affaire n’est pas facile à trancher. La loi canadienne interdit les manipulations génétiques qui peuvent se transmettre aux descendants. Par définition, les modifications faites sur les embryons sont transmissibles aux générations futures… mais pas si les embryons ne sont jamais implantés dans des utérus. L’expert estime toutefois que la technique serait bannie ici et plaide pour une révision des lois canadiennes. Le chercheur Lluís Montoliu explique que d’autres pays, dont la France et l’Espagne, sont dans un flou juridique similaire parce qu’ils ont signé la convention d’Oviedo, qui interdit aussi les modifications transmissibles aux descendants.

yogaesoteric
13 juillet 2018

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