La très flippante histoire du Deuxième Ku Klux Klan

C’est l’histoire d’un soufflé. Un soufflé puant. Un soufflé qui a enflé, enflé pendant les années 20, comptant plusieurs millions de personnes dont onze gouverneurs, quarante-cinq congressmen et plusieurs présidents des Etats-Unis, avant de se dégonfler brutalement sous le poids de la corruption. C’est l’histoire du deuxième Ku Klux Klan. Mais ce pourrait être aussi, à quelques nuances près, l’histoire de l’Amérique de Donald Trump…

 

Le premier KKK s’était formé en 1866, dans la foulée de la guerre de Sécession, comme fraternité secrète cherchant à réimposer la servitude des noirs après la fin de l’esclavage. Ses instruments ? Les lynchages, la torture et d’autres formes de terrorisme. Le troisième, qui végète encore avec 5 à 8.000 membres dispersés dans tout le pays (Etats Unis), s’est constitué dans les années 50 pour contrer le mouvement pour les droits civiques. C’est celui qu’on connait le mieux.

Entre les deux, il y eut ce Klan des Années folles dont Linda Gordon, l’une des historiennes américaines les plus respectées, retrace l’histoire largement oubliée. Un Klan tout aussi « fier de son nom et de ses engagements envers une suprématie blanche » que l’était son prédécesseur mais qui, lui, fut un mouvement de masse avec pignon sur rue, « ordinaire et respectable aux yeux de ses contemporains », dont les antennes locales étaient souvent dans le bottin, à côté des clubs de couture et sociétés d’agriculture. Ce que résume une photo saisissante publiée dans le livre et que l’on dirait sortie tout droit d’un cauchemar, d’un « pique-nique d’été » avec des Klansmen goûtant aux plaisirs de la grande roue…

Le KKK version 2 n’a pas renoncé à la violence. Un beau jour de 1925, dans les environs de Milwaukee, un groupe arrive à cheval devant le domicile du révérend Little, avec la ferme intention de le lyncher (il est absent ce jour-là). Son fils, le futur Malcolm X, n’oubliera jamais ce moment de terreur. Mais, dans le Nord tout au moins, « le Klan n’est pas principalement un groupe violent ».

Non, le KKK n’est pas peuplé de ploucs

Ses membres sont-ils des ploucs de l’Amérique profonde ? L’équivalent américain du gauche caviar eut tendance à le penser, affichant le mépris que l’on retrouve parmi les élites des grandes villes à propos de Trump. Erreur ! « Les petits patrons, les cols-blancs de la classe moyenne basse et les travailleurs qualifiés constituaient la majorité des membres dans la plupart des localités, note Gordon. Dans beaucoup d’endroits, l’appartenance au Klan était synonyme de prestige, peut-être plus dans le Nord et l’Ouest que dans le Sud. Cette réalité montre à quel point les stéréotypes des gens de gauche de la côte Est, voyant dans les adhérents du Klan des habitants arriérés qui s’ennuyaient dans leurs petites villes, était à côté de la plaque. Les membres du Klan étaient souvent ambitieux, et pas seulement économiquement. » Ils étaient même parfois célèbres, tel le sculpteur du Mont Rushmore, au nom improbable : John Gutzon de la Mothe Borglum (Gutzon Borglum pour les intimes).

Comment est née cette deuxième itération du KKK, alors que l’Amérique vivait une période d’euphorie économique ? De la même façon qu’aujourd’hui : par le racisme, la xénophobie, la peur de l’autre. L’un des événements médiatiques ayant catalysé son éruption fut le film « Naissance d’une nation », sorti en 1915, qui montrait des esclaves nouvellement affranchis parcourant les campagnes à la recherche de femmes blanches à violer. Comme l’exige Hiram Evans, l’Imperial Wizard (chef national) du Klan : « Nous demandons que le pouvoir revienne aux mains des citoyens de vieille souche de tous les jours, pas hautement cultivés, pas intellectualisés à l’excès mais complètement intacts et pas dé-américanisés. »

Bons Américains et « races néfastes »

Les bons Américains, aux yeux du KKK, sont les « nordiques », un tropisme que Trump a repris à son compte en regrettant qu’il n’y ait pas plus d’immigrants norvégiens. Dans les années 20, cette vogue du « nordique » vient probablement de Madison Grant, une figure distinguée du racisme « scientifique » qui, dans son livre de 1916, « The Passing of the Great Race », recommande de « ségréguer dans des ghettos » les « races néfastes » que constituent les nouveaux immigrants « non-nordiques » tels que les Italiens ou les juifs.

« Ces nouveaux-venus, pas moins ambitieux que les natifs, menaçaient une domination que beaucoup de protestants nés au pays considéraient comme une forme de propriété sociale, écrit l’historienne. Cette colère contre le déplacement, mise sur le compte des “ étrangers ”, reposait parfois sur une réalité vécue mais beaucoup plus souvent sur l’imagination et la peur attisées par la démagogie. Nous le savons, parce que Klan s’est épanoui dans des régions comptant peu de ces “ étrangers ”, et nombre de ses leaders locaux étaient des gens prospères. »

 

Un rassemblement du Ku Klux Klan, après une « White Pride », le 23 avril 2016, en Georgie.

Cela va bien au-delà de la xénophobie – comme aujourd’hui : « Pureté voulait aussi dire homogénéité. Aux yeux des gens du Klan, la diversité semblait une forme de pollution, de salissure. L’antagonisme à la diversité saturait le discours du Klan, véhiculant une structure d’hostilité à l’essence même de la vie des grandes villes et du cosmopolitisme. Le désir d’endogamie sociale, de conformité était l’aspect du système de valeurs du Klan qui exprimait le mieux sa romance avec la vie des petits patelins. La peur de l’hétérogénéité sous-tendait aussi son nationalisme et son isolationnisme extrêmes ; les gens du Klan ne voyaient pas grand-chose à admirer dans la culture étrangère. Beaucoup d’Américains partageaient (et partagent encore) cette anxiété (…) L’ordre requérait l’uniformité. » 

Et le parallèle avec la vague Trump ne s’arrête pas là ! Le KKK est soutenu par les pasteurs évangélistes, on peut même dire que « la mobilisation, par le Klan, des prêcheurs évangélistes présageait – et facilita probablement – l’irruption des prêcheurs de la droite religieuse dans la politique conservatrice cinquante ans plus tard. » Il a aussi ses fake news et ses bulles médiatiques étanches : « Les multiples médias du Klan – quotidiens, pamphlets, sermons, stations de radio – limitait souvent l’exposition de leurs membres à une information susceptible de contredire leurs peurs. Dans certains endroits où le Klan était puissant, ses membres ne lisaient ou écoutaient souvent aucune information provenant d’autres sources. »

La plus grande victoire du Klan

Le KKK, acte II se terminera en eau de boudin, plombé par une série d’affaires de corruption et de scandales de mœurs. Il ne compte plus que 350.000 membres en 1927, contre plusieurs millions quelques années plus tôt. Mais son éclipse n’est-elle pas aussi le signe d’une mission accomplie ?

 

Sa plus grande victoire est une loi de 1924 qui, note Gordon, « fit entrer dans la législation la hiérarchie du Klan entre races “ désirables ” et “ indésirables ”, en assignant des quotas aux immigrants en proportion de l’ethnicité de ceux vivant déjà aux Etats-Unis en 1890 (de ce fait, le quota d’immigrants pour le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Allemagne représentait 70% du total). Les quotas restreignirent de façon radicale l’immigration de certains des peuples les plus désespérés du monde, notamment les juifs d’Europe de l’est et de Russie (…). Cette discrimination raciale dans la politique d’immigration a perduré jusqu’en 1965 » et « se manifeste aujourd’hui dans l’opposition à l’accueil des réfugiés, l’extradition des résidents de longue date, voire même dans les appels à mettre fin au droit du sol. »

A un siècle de distance, tout n’est bien sûr pas comparable et il ne faut pas pousser le parallélisme trop loin. Trump, par bien des aspects, est un phénomène unique, incongru. Mais il n’est pas interdit, quand on l’étudie, de garder en tête la phrase de Camus, à la fin de « La Peste »: le docteur Rieux savait « que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses. »

yogaesoteric

1 octobre 2018

 

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