Du messianisme juif au sionisme contemporain (3)
Lisez la deuxième partie de cet article
Voici un entretien avec Youssef Hindi, écrivain et historien de l’eschatologie messianique réalisé en mars 2017, par une lectrice d’ Arrêt sur Info,curieuse et passionnée qui, comme de nombreux citoyens du monde, rêve de paix, de réconciliation et surtout de respect entre les êtres d’où qu’ils viennent. Cet entretien a été proposé à Arrêt sur Info par une universitaire désireuse de comprendre les origines du chaos qui sévit au Moyen-Orient, avec ses guerres si désastreuses pour les populations. Après avoir lu « Occident & Islam, sources et genèse messianiques du sionisme, de l’Europe médiévale au choc des civilisations », elle s’est longuement entretenue avec son auteur, Youssef Hindi.
Q :
Vous traitez aussi de la poussée de fièvre messianique en Israël, et du lien entre le néo-conservatisme américain et la tendance religieuse du sionisme israélien au pouvoir actuellement. Est-ce que vous pouvez développer, car le profane ne réalise pas forcément qu’il y a un lien direct entre les deux.
YH : Le noyau dur du néo-conservatisme aux Etats Unis est juif. Les néo-conservateurs sont en fait d’anciens trotskistes, d’origine juive, qui ont dérivé vers la droite et dont le projet politique est calqué sur celui du sionisme et des protestants millénaristes.
Et ce sont ces néo-conservateurs, dont le noyau dur est juif, qui vont travailler de concert avec le lobby pro-israélien, pour les intérêts d’Israël. Je rapporte un certain nombre de citations qui montrent très clairement que ces gens-là ne travaillent pas pour l’intérêt des Etats Unis, ni même pour l’intérêt de l’impérialisme américain. Mais ils travaillent pour le projet israélien. Et je montre qu’en parallèle, les dirigeants israéliens [le gouvernement actuel depuis au moins 2012-2013] est le plus messianiste de toute l’histoire d’Israël.
Je cite par exemple Charles Enderlin. Ce n’est pas que je critique Charles Enderlin, mais je pense qu’il n’a pas compris le pourquoi du problème, puisque lui pense, comme d’autres, que ce retour du religieux en Israël correspond aux conquêtes des lieux saints à partir de la guerre de 1967. Ce qui est faux. Moi ce que j’explique c’est qu’on est en train d’assister à un retour, à une résurgence du messianisme juif, qui a donné naissance au projet sioniste. Ce que je démontre dans mon ouvrage, c’est que les causes premières déterminent les finalités, même sur des siècles. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les religieux prendre le pouvoir en Israël, car en réalité, ils ne l’ont jamais véritablement perdu ! Puisque Ben Gourion lui-même écrivait que le socialisme n’est qu’un moyen, qu’un outil d’accomplissement du projet sioniste. Tous ces mouvements athéistes en apparence, pour les israéliens et pour les messianistes juifs, ne sont que des moyens. Raison pour laquelle il n’y a pas d’opposition profonde entre les laïques, les athées et les religieux juifs. Qu’ils soient athées, laïques, socialistes ou messianistes, à ce stade de l’accomplissement du projet messianique, ils convergent. Ils ne s’opposent que sur les moyens, pas sur la finalité.
Q :
Vous citez notamment le livre de Josué, qui est souvent mentionné par les politiciens israéliens, dont Benjamin Netanyahu. Pouvez-vous nous expliquer la dimension religieuse du modèle de construction de l’Etat d’Israël ?
YH : Dans le dernier chapitre de mon ouvrage, je montre que la création du Foyer national juif, dans sa méthode de conquête et sa finalité, est calquée sur le livre de Josué [la destruction des villages et expulsion des populations ou leur massacre]. Au-delà de cet aspect, je fais le parallèle entre les étapes de conquêtes dans le livre de Josué et les stades évolutifs de la création de ce foyer national juif et du grand Israël. Et c’est véritablement édifiant…
Q :
Vous citez un rabbin israélien, Yosef Ovadia (1920-2013) dont les dires et l’influence sont extrêmement choquants. Pouvez-vous nous en dire plus ?
YH : Ce que j’ai voulu mettre en évidence en parlant de Yosef Ovadia, c’est l’influence sous-jacente des religieux, depuis des décennies, sur la politique israélienne. Il n’y a pas que lui, il y a aussi le grand rabbin Menachem Mendel Schneerson (1902-1994), qui fait la leçon à Netanyahou en 1990 et lui donne de hâter la venue du Messie… Ce même rabbin chez qui Ariel Sharon allait en 1967 et en 1973, prendre des conseils dans le domaine militaire, alors que Sharon lui-même n’était pas croyant.
Pour en revenir au rabbin Yosef Ovadia, j’explique que 30 années durant, enfin jusqu’à sa mort, il a été un acteur fondamental de la politique israélienne, puisque tous les dirigeants israéliens allaient chez lui pour prendre conseil. Les religieux occupent une place centrale dans la politique et la géopolitique israélienne. C’est pour ça qu’on retrouve, tout au long de l’histoire d’Israël, comme je le montre dans le denier chapitre, l’application à la fois des lois juives et du programme basé sur l’Ancien Testament. Comme je l’ai écrit dès le premier chapitre de mon livre, les rabbins, à travers l’histoire, se sont attachés à développer une théologie et une praxéologie autour de la Bible, et en ont fait un outil politique, et à présent, avec l’accomplissement du sionisme, un instrument et un projet géopolitique.
Q :
Certaines citations du rabbin Yosef Ovadia dans votre livre, glacent le sang tellement elles sont racistes et odieuses. En parlant des Palestiniens il déclare : « Puissent-ils disparaître de la terre, puisse Dieu envoyer un fléau aux Palestiniens, ces enfants d’Ismaël, ces vils ennemis d’Israël» (en 2013). Autre citation : « Tous les Arabes et les Palestiniens : il est interdit d’avoir pitié d’eux, vous devez envoyer des missiles et les annihiler, ils sont mauvais et détestables ». Et il ajoute « le Seigneur retournera les actions des Arabes contre eux-mêmes, épuisera leur semence, les exterminera, les dévastera et les bannira de ce monde » (en 2010).
YH : Ce que j’explique, c’est que cet homme n’est pas un illuminé isolé qui s’exprime depuis une Synagogue. Il s’agit d’un grand rabbin qui conseille des hommes politiques, même des militaires, des chefs d’Etat-Major israéliens, qui se sont se rendus chez lui pour avoir des conseils dans la préparation de la guerre contre l’Iran. On a à faire là à un personnage central en Israël, et il est loin d’être le seul à tenir ce genre de propos.
Q :
Pour montrer son influence, vous citez un membre de la Knesset (le Parlement israélien) j’imagine écouté et respecté qui, lors du bombardement de Gaza en 2014, a appelé à tuer toutes les mères palestiniennes ?
YH : Oui, c’est la députée ultra-nationnaliste Ayelet Shaked, de la Knesset, qui est devenue Ministre ensuite.
Je cite aussi le vice-président de la Knesset, Moshé Feiglin, qui parle de chasser la population de Gaza, qui parle de destruction de ses habitants. Il propose d’expulser toute la population de Gaza dans le Sinaï. Comme dans le livre de Josué, Moshé Feiglin explique sereinement qu’il faut détruire toutes les infrastructures de Gaza, avec une puissance de feu maximale. Le parallèle avec ce passage du livre de Josué est frappant : « Ils brûlèrent la ville et tous ceux qui s’y trouvaient ». Et Feiglin précise « sans considération pour les boucliers humains »… ce qui signifie en clair qu’il faut écraser les gens qui n’ont pas accepté de quitter Gaza pour le Sinaï…, afin d’épurer ethniquement toute la ville. Là, celui qui parle, c’est le vice-président de la Knesset !
Q :
Après ce développement que vous avez fait de manière très précise, pourriez-vous faire une analyse du présent, notamment avec ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, et ce qui a pu se passer auparavant en Irak ?
YH : Alors contrairement à ce que la majorité des géopolitologues disent, analysent ou ce qu’en disent les critiques de la politique américaine, la destruction de l’Irak par le passé, la destruction de la Syrie actuellement, la destruction de la Libye, n’est pas directement liée aux intérêts américains, ni même à la volonté de contrôler les ressources pétrolières, puisque, comme l’expliquent John Maersheimer et Stephen Walt, si les Américains voulaient par exemple contrôler le pétrole irakien, ils n’avaient qu’à faire pression sur Saddam Hussein, et il aurait volontiers accepté ! D’ailleurs, durant les années 1990, début 2000, Assad (père et fils), n’ont eu de cesse de tendre la main aux Israéliens, et aux Américains pour obtenir la paix. Ils étaient prêts bien sûr à négocier, et je ne parle même pas des Iraniens. Et, systématiquement, quand les Américains ont voulu tendre la main aux Iraniens ou aux Syriens, c’est toujours le lobby pro-israélien qui s’est interposé. Pourquoi ? Parce que le projet final du lobby israélien était la destruction de ces pays-là. Et John Maersheimer et Stephen Walt ont bien mis en évidence que c’est le lobby pro-israélien, et non pas le lobby pétrolier, qui a poussé les Etats Unis à détruire l’Irak. D’ailleurs Bernard-Henri Lévy, qui a participé à la destruction de la Libye, a déclaré devant le CRIF qu’il l’a fait en tant que Juif… Il faut donc comprendre qu’il l’a fait en tant qu’agent israélien.
La cause première de l’opposition entre les Etats Unis et la Russie sur le cas de la Syrie est le projet israélien. Ce que j’expliquais dans le préambule de mon livre et dans un article datant de septembre 2015 (La Russie, l’Europe et l’Orient) est en train d’apparaître : les Russes, les Iraniens, les Syriens ne sont pas en train de lutter contre l’impérialisme américain au Proche-Orient, ils luttent contre un projet israélien que les Américains ont endossé et accomplissent, à leur propre détriment ; c’est différent. Les impérialistes américains ne sont pas les amis de l’Humanité, mais il ne faut pas se tromper d’ennemi principal nous dirait Carl Schmitt…
Evidemment, l’impérialisme américain (et tout ce qu’il implique) est un des problèmes, je dirais même le problème principal de l’Humanité aujourd’hui. Mais si les Américains revenaient – comme voudrait le faire Donald Trump – à l’une de leurs doctrines, qui est la doctrine Monroe, isolationniste, le problème serait réglé. Or, un certain nombre de dirigeants américains l’ont compris. Zbigniew Brzezinski (né en 1928), qui est un des grands géo-stratèges américains, a compris que le fait de calquer la politique extérieure américaine sur celle d’Israël était un danger pour l’avenir des Etats Unis.
La destruction de la Syrie, et peut-être même la guerre mondiale à venir entre la Russie et les Etats Unis, ont une cause première et principale : c’est le projet impérialiste israélien. Il faut garder cela en tête.
Q :
Comment expliquez-vous que si peu de gens, en tout cas en Occident, soient conscients de cela ? Et comment expliquez-vous que si peu de gens le dénoncent ?
YH : Premièrement, on ne peut pas le dénoncer, étant donné que les médias sont verrouillés, ainsi que la politique occidentale. Mais si vous partez par exemple au Proche-Orient, on peut s’exprimer bien plus librement sur ces questions-là… C’est le monde Occidental, en particulier l’Europe et les Etats Unis, qui ont un système médiatico-politique qui empêche toute discussion et tout débat sur ces sujets. Il n’y a pas besoin de faire un dessin, si on prend les grandes chaînes de télévision, les journaux et qu’on remonte la chaîne, on peut trouver, très souvent, des milliardaires israéliens ou juifs, ou même protestants, ainsi que des marchands d’armes. Il ne faut donc pas s’étonner si la parole est verrouillée en Occident.
Maintenant, si on se penche sur les milieux contestataires, ceux qui sont critiques de l’impérialisme américain, même du sionisme (un spectre très large, je vous l’accorde), il y a un autre problème, et il est d’ordre méthodologique. Les géopolitologues s’attachent à faire des analyses manquant souvent de profondeur historique, partant de statistiques, des ressources pétrolières, gazières, etc., pensant que c’est l’alpha et l’oméga de la géopolitique. On néglige totalement la dimension idéologique, religieuse et messianique. C’est pour ça que j’ai écrit ce livre-là. Pour apporter à la fois une nouvelle interprétation de l’histoire moderne, et de nouvelles clés de lecture, qui me semblent plus efficientes, de la géopolitique actuelle.
yogaesoteric
30 juillet 2017