Edulcorants artificiels et diabète : faux amis ?

La consommation de boissons sucrées est associée à une augmentation du risque d’obésité et de diabète de type 2. L’usage des édulcorants artificiels (EA) est dès lors devenu très populaire et ils ont été introduits largement dans notre alimentation avec l’idée de réduire les apports en calories et de normaliser les niveaux de glucose sanguin, sans mettre en cause notre appétence pour le « sucré ». Cependant, les résultats d’études scientifiques concernant l’impact de la consommation des EA, notamment sur le risque de diabète de type 2, sont à ce jour controversés. L’objet de cet article est de faire le point sur cette littérature et le rôle des EA dans l’homéostasie glucidique et le risque d’apparition de diabète.

L’épidémie d’obésité associée au syndrome métabolique augmente en prévalence chaque année. Le contrôle du poids est devenu dès lors un objectif indispensable à atteindre pour réduire le risque de développer un diabète. Il est établi que la consommation de boissons sucrées est associée à une augmentation du risque d’obésité et de diabète de type 2. L’usage des édulcorants artificiels (EA) est dès lors devenu très populaire, avec une consommation en augmentation constante dans le monde entier et dans toutes les tranches d’âge. La figure 1 représente l’évolution de la fréquence de la consommation des boissons sucrées et des boissons édulcorées artificiellement aux Etats-Unis, et parallèlement l’évolution de la fréquence des Américains en surpoids. La fréquence de consommation de boissons édulcorées a pratiquement doublé, passant de 6,1% en 1999/2000 à 12,5% en 2007/2008. Les EA sont des substituts du sucre retrouvés dans des aliments et boissons préemballés. Ils présentent en apparence plusieurs avantages : 1) obtenir un goût sucré sans apport calorique, ce qui est utile notamment dans le cadre d’un régime hypocalorique ou encore pour les patients diabétiques et 2) ils sont pratiques d’emploi car présentés sous différentes formes facilement utilisables (tablettes, poudres, etc.). Jusqu’à récemment, les EA étaient considérés comme pouvant être utiles dans la prise en charge du diabète en raison de leur absence d’effet sur l’index glycémique et l’absence de réponse insulinique contrairement aux boissons sucrées. Toutefois, des données récentes de la littérature remettent en question l’usage des EA en regard des potentiels effets sur la balance énergétique et l’équilibre glycémique observés lors d’études de cohortes prospectives et/ou d’intervention.

 

Figure 1. Evolution de la fréquence de consommation de boissons sucrées (BS) et de boissons édulcorées artificiellement (BEA), ainsi que de la fréquence du surpoids et de l’obésité aux Etats-Unis entre 1972 et 2000

L’objectif de cet article est de faire le point sur les différents EA consommés en Suisse ainsi que leur potentiel effet délétère contre-intuitif sur l’équilibre glycémique et le risque de diabète.

Types d’édulcorants artificiels

Si les édulcorants hypocaloriques sont parfois considérés comme des ingrédients modernes, ils sont pourtant utilisés depuis plus d’un siècle. Les édulcorants hypocaloriques, à l’instar de tout autre additif alimentaire, sont soumis à une procédure d’évaluation rigoureuse par l’OSAV (Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires). L’Autorité européenne de sécurité des aliments énonce ainsi des limites de dose journalière admissible (DJA) et examine de façon systématique les nouvelles données relatives aux problématiques émergentes en matière de sécurité. Sur le plan alimentaire, l’ADA (American Diabetes Association) recommande une alimentation normo-glucidique. En effet, la réduction exagérée d’hydrates de carbone a souvent favorisé des régimes hyperlipidiques négatifs sur les comorbidités du diabète. De nombreux produits pour diabétiques dans lesquels le saccharose a été partiellement remplacé par du fructose (par exemple : chocolat, biscuits) et/ou des lipides peuvent être délétères. Un apport de fructose équivalent à plus de 30% de l’apport énergétique stimule la lipogenèse de novo au niveau hépatique et la synthèse de triglycérides tout en induisant une résistance à l’insuline. Au contraire, les EA, supposés n’avoir aucun impact sur la glycémie et l’insuline de par leur absence de métabolisation hépatique, peuvent être utiles dans la prise en charge du diabète.

Les EA se distinguent des édulcorants naturels (par exemple : fructose, glucose, saccharose) et des édulcorants nutritifs (par exemple : isomalt, sorbitol, xylitol) par leur pouvoir sucrant jusqu’à 300 fois plus que celui d’un édulcorant naturel. En Suisse, la saccharine, le cyclamate, les glycosides de stéviol et l’acésulfame sont des composés organiques au goût sucré mais ne renferment aucune calorie (tableau 1). La thaumatine et l’aspartame comportent des calories, mais étant donné que leur pouvoir sucrant est environ 200-3000 fois plus élevé que la quantité correspondante de sucre, ces calories n’entrent pas dans la balance.

 

Tableau 1. Principaux édulcorants artificiels (EA) autorisés en Suisse

(D’après la Commission fédérale de l’alimentation, 2009).

Rôle des édulcorants artificiels dans l’homéostasie glucidique et l’apparition du diabète

Prises dans leur ensemble, les études de ces quatre dernières décennies ne permettent pas de conclure à propos de l’effet des EA sur le contrôle glycémique. Certaines études montrent un bénéfice de la consommation des EA sur la réponse glycémique tandis que d’autres ont rapporté une association entre consommation d’EA et prise pondérale ainsi que l’augmentation du risque de diabète de type 2.

Plusieurs des études publiées dans ce domaine comparent les EA à un placebo et concluent que les EA n’ont pas d’effet sur l’équilibre glycémique. Les rares études qui ont comparé les EA aux boissons sucrées et leur impact sur l’homéostasie glucidique présentent plusieurs limitations telles que des petites tailles d’échantillon ou des doses administrées d’EA parfois très élevées, qui rendent les résultats de ces études difficilement transposables à la population générale.

L’effet à court terme des EA après leur absorption sur la glycémie et le taux d’insuline est également contesté. Des études in vitro ont démontré que les EA pouvaient se fixer sur les récepteurs stimulant la sécrétion de peptide-1 semblable au glucagon (GLP-1) avec pour effet une augmentation de la sécrétion d’insuline et dès lors une réduction de la glycémie (effet incrétine). Cet effet n’a cependant pas pu être validé chez l’homme.

Concernant l’apparition de diabète de type 2 sous EA, les résultats issus du pool constitué de quatre études de cohorte ont montré un risque relatif de 1,13 (IC 95% : 1,02-1,25) de développer un diabète de type 2 chez les consommateurs d’environ 330 ml/j de boissons édulcorées (tableau 2). Toutefois, les analyses de sous-groupes ont révélé qu’après ajustement statistique sur le poids, l’association entre EA et apparition du diabète n’était plus significative pour certaines cohortes suggérant une causalité inversée. En d’autres termes, étant donné que les personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) élevé ou une prédisposition à la prise de poids ont tendance à consommer des EA, on observe de plus en plus fréquemment un syndrome métabolique parmi les consommateurs d’EA.

 

Tableau 2. Résumé de quatre études observationnelles portant sur le risque relatif (RR) et l’intervalle de confiance (IC) de développer un diabète de type 2 chez les consommateurs de boissons édulcorées

De plus, il existe un phénomène chez les sujets consommateurs d’EA appelé « prise alimentaire compensatoire » qui consiste à augmenter la prise calorique d’autres types d’aliments durant la journée et qui, au final, peut augmenter l’apport calorique global.

En résumé, l’association positive entre EA et apparition du diabète est en partie expliquée par l’état de santé initial, le poids et la prise alimentaire. Sur la base des données actuelles, il est impossible de juger de l’effet direct des EA sur l’homéostasie glucidique et l’apparition du diabète.

Édulcorants artificiels et microbiote intestinal

Les résultats d’expériences chez la souris et chez l’homme, publiés dans la revue Nature par les chercheurs de l’Institut des sciences Weizmann en Israël, ont soulevé une nouvelle polémique au sujet des édulcorants et leur éventuel rôle dans l’apparition du diabète. Plusieurs études ayant déjà mis en exergue le rôle de perturbations de la flore intestinale dans diverses pathologies métaboliques (diabète, obésité…), ces chercheurs ont étudié les effets de substituts courants du glucose sur la flore intestinale.

Trois EA (saccharine, sucralose et aspartame) ont été ajoutés à l’eau de boisson de souris « sauvages » C57BL/6 minces, en comparaison à un groupe contrôle ne buvant que de l’eau seule, ou additionnée de glucose ou de saccharose. Après onze semaines, les souris ayant consommé des EA avaient développé une intolérance au glucose, la saccharine exerçant l’effet le plus prononcé. L’analyse de la composition du microbiote fécal des différents groupes de souris a mis en évidence que la consommation de saccharine engendrait une altération de l’équilibre de la flore bactérienne intestinale, concomitante à un profil d’intolérance au glucose chez l’hôte.

Suite à cette première étude chez l’animal, une étude d’intervention à court terme auprès de sept jeunes volontaires sains a également été menée. Pendant une semaine, les participants ont consommé la valeur maximale de la DJA de saccharine avec développement chez quatre d’entre eux d’une élévation glycémique plus marquée à partir du cinquième jour. Les auteurs ont conclu à une réponse « personnalisée » aux EA chez l’homme, découlant peut-être de différences dans la composition de leur microbiote intestinal. Les conclusions de cet article suggèrent vivement de réévaluer l’innocuité de la consommation des EA concernant l’impact sur la tolérance au glucose. Contrairement aux doses testées dans cette étude, la saccharine est employée à faibles doses par l’industrie agroalimentaire, associée à d’autres édulcorants. Il reste néanmoins à démontrer si les effets de la saccharine sont transposables aux édulcorants les plus utilisés et à plus faibles doses. Les données actuelles chez l’homme sont peu solides, mais elles seront indispensables pour juger de la pertinence de l’utilisation des EA, les données obtenues chez l’animal n’étant pas extrapolables à l’homme.

Conclusion

L’usage des EA avec modération et dans le but de remplacer certaines sources alimentaires avec sucres ajoutés reste une alternative de choix pour autant que cette consommation soit modérée et que les calories «économisées» ne soient pas compensées ultérieurement. Actuellement, les données de la littérature sont insuffisantes pour conclure définitivement sur la place des EA dans l’alimentation et leur impact sur l’homéostasie glucidique, voire l’apparition d’une intolérance au glucose ou d’un diabète. Leur interprétation est compliquée du fait que les EA sont généralement consommés par des personnes présentant déjà un risque accru de développer un diabète. Une étude publiée dans la revue Nature indique que la consommation d’EA pourrait avoir des effets inverses aux effets recherchés, en entraînant notamment le développement d’une intolérance au glucose. Cependant, il est prématuré de conclure sur ces données animales et leur généralisation à l’homme demande des travaux supplémentaires.

Il faut également garder à l’esprit que la substitution de sucres ajoutés par des EA n’améliore pas forcément la qualité du régime alimentaire. En effet, ces aliments issus d’un processus industriel ne remplaceront jamais les aliments et boissons naturels tels que fruits, légumes et eau, qui devraient être privilégiés autant que possible chez le patient diabétique mais également dans la population générale.

yogaesoteric

28 juillet 2018 

Also available in: English

Leave A Reply

Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

This website uses cookies to improve your experience. We'll assume you're ok with this, but you can opt-out if you wish. Accept Read More