Électrohypersensibilité : un handicap souvent mépris pour un désordre psychiatrique (1)

par André Fauteux

C’est l’automne 2010 et le Québécois Jean Gagnon vient d’être interné contre son gré pendant neuf jours à l’hôpital de Montmagny. « Parlez-moi de vos ondes », demande un juge qui doit décider si Gagnon sera maintenu en observation 21 jours de plus, comme l’a demandé un psychiatre qui a conclu qu’il avait « des délires psychotiques concernant des ondes maléfiques ».

Jean Gagnon mesurant les harmoniques entre le câble neutre (de retour) et la mise à la terre

Gagnon s’était présenté volontairement au service des urgences de l’hôpital pour savoir pourquoi il souffrait de douleurs aiguës à la tête et aux jambes. « J’avais l’impression que ma tête était dans un étau. Cela a commencé lorsque je faisais cuire des tomates sur les quatre ronds de ma cuisinière », a expliqué le mécanicien à la retraite dans une interview.

Lorsque ses symptômes ont commencé, il ne savait rien des champs électromagnétiques (CEM) produits par les technologies électriques filaires et sans fil. C’est après avoir découvert et parlé de leurs effets possibles sur la santé qu’il a été traité comme un malade mental.

« Ils m’ont donné de l’Haldol, de l’Ativan et du Seroquel lorsque je suis entré dans le service psychiatrique, se souvient-il. Heureusement, c’est la seule fois où j’ai accepté de cette médication. Je n’aurais jamais pu prononcer un discours cohérent au tribunal pour assurer ma défense. Après 15 minutes d’audience, le juge a conclu que je n’avais pas de discours délirant et a ordonné ma libération sur-le-champ. J’avais vraiment peur de retourner à l’hôpital. À partir de ce moment-là, j’ai concentré toute mon énergie à comprendre la situation. Aujourd’hui, 13 ans plus tard, j’ai compris que la plus grande source de ce poison est le réseau électrique. »

Gagnon remercie notamment un scientifique de Santé Canada qui lui a recommandé de lire un rapport de la Commission canadienne des droits de la personne intitulé Le point du vue médical sur les sensibilités environnementales, rédigé par Margaret E. Sears, Ph.D., en mai 2007.

Deux médecins spécialistes de l’environnement ont confirmé plus tard que ses années d’exposition aux gaz d’échappement et aux solvants l’avaient rendu d’abord hypersensible aux produits chimiques, puis aux CEM. Son asthme professionnel déclenché par des sensibilités chimiques l’avait amené à cesser de travailler comme mécanicien et à devenir directeur du service après-vente d’une concession d’équipements électriques.

Gagnon a fini par découvrir que sa maison, sa propriété et son quartier sont fortement pollués par les CEM. « Grâce à tous ceux qui s’impliquent dans ce dossier depuis des décennies, mes connaissances ont beaucoup évolué, me permettant de mettre en évidence des sources de CEM insoupçonnées par la majorité des gens. Ces sources sont malheureusement contestées publiquement et juridiquement par les pollueurs qui les génèrent, qu’il s’agisse des fournisseurs d’électricité « sale », notamment les hautes fréquences transitoires et les harmoniques, les courants telluriques parasites et le scintillement des appareils fluorescents et autres appareils numériques, ou des fournisseurs de télécommunications sans fil. Tous refusent d’admettre et de corriger la situation. » (Voici des vidéos qui en témoignent.)

Reconnu comme un handicap et une maladie professionnelle

Et ce, malgré le fait que de plus en plus de personnes se rendent compte que leur bien-être dépend de leur exposition (ou absence d’exposition) aux CEM provenant des technologies avec et sans fil. La plupart se font dire que tout cela est dans leur tête par les professionnels de la santé et leurs connaissances. Et plusieurs ont été internés comme Gagnon par des médecins ignorant l’électrohypersensibilité (EHS) qui a été reconnue mondialement comme un handicap. En 2000, le Conseil nordique des ministres de pays comme la Norvège et la Suède a reconnu l’intolérance électromagnétique comme une maladie professionnelle. Tout en la classant dans la catégorie « Affections dont l’étiologie est attribuée à des facteurs environnementaux – mécanismes non encore compris », il a confirmé que ses « symptômes disparaissent dans des environnements non électriques ».

Jean Gagnon le confirme : « Il ne fait aucun doute qu’après avoir remplacé mon téléphone numérique (DECT) sans fil par un téléphone à fil ainsi que la lampe fluorescente compacte de ma lampe de bureau par des ampoules ordinaires, ma santé s’est améliorée. J’ai également réduit mon exposition aux téléphones portables et au Wi-Fi et j’évite les rayonnements des fours à micro-ondes. Avec quelques autres petites attentions à l’égard de l’électricité sale, ces changements bénéfiques ont réduit la fréquence et l’intensité de mes symptômes », qui comprennent également des acouphènes et des problèmes de concentration, a-t-il écrit dans un témoignage de 2013 devant le groupe d’experts de la Société royale du Canada chargé d’examiner le code de sécurité 6 de Santé Canada (recommandant des limites pour l’exposition humaine aux CEM de radiofréquence).

En décembre 2005, un avis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’hypersensibilité électromagnétique (HSEM) a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un diagnostic médical officiel. Certains affirment que la reconnaissance du handicap est suffisante pour fournir des aménagements appropriés et éviter que les victimes soient internées en psychiatrie, tandis que d’autres disent que la classer comme une maladie médicale est préférable pour éviter de telles erreurs médicales. Ce débat fait particulièrement rage en Suède.

Un diagnostic médical officiel conduirait-il à davantage de traitements psychiatriques ?

Le neuroscientifique suédois Olle Johannson, qui, à la fin des années 1970, a inventé le terme « dermatite des écrans » pour expliquer les lésions cutanées dont souffrent les travailleurs électrosensibles assis quotidiennement devant des écrans d’ordinateur, a expliqué sa position dans un article de 2006 intitulé Electrohypersensitivity : State-of-the-Art of a Functional Impairment : « En Suède, les déficiences sont considérées du point de vue de l’environnement. Aucun être humain n’est en soi handicapé, ce sont plutôt des lacunes dans l’environnement qui causent la déficience (comme l’absence de rampes pour une personne en fauteuil roulant ou des pièces électrosanitisées pour une personne électrohypersensible). Cette vision de la déficience liée à l’environnement signifie en outre que, même si l’on ne dispose pas d’une explication scientifique complète de la déficience électrohypersensible, et contrairement aux désaccords au sein de la société scientifique, la personne électrohypersensible doit toujours être rencontrée de manière respectueuse et avec tout le soutien nécessaire dans le but d’éliminer la déficience. Cela implique que la personne électrohypersensible doit avoir la possibilité de vivre et de travailler dans un environnement électrosanitaire. Ce point de vue peut être pleinement motivé par rapport aux lois et règlements nationaux et internationaux actuels sur le handicap, y compris les 22 règles standard de l’ONU et le plan d’action suédois pour les personnes handicapées… »

Récemment, Johansson m’a envoyé un commentaire d’un vicaire suédois, Johann Bonander, qui a travaillé avec des associations de personnes handicapées en tant que chef de projet aux services sociaux de la Ville de Stockholm, de 1999 à 2006. M. Bonander partage l’avis de M. Johansson selon lequel le sort des personnes atteintes de l’HSEM pourrait être bien pire si cette maladie était un diagnostic médical officiel. Il a écrit : « Selon l’OMS et la conférence de Prague de 2004 (Atelier international sur l’hypersensibilité aux champs électromagnétiques), le résultat sera probablement que le diagnostic médical et la perspective de la maladie que l’on visait se retrouveront dans le catalogue des diagnostics psychiatriques, c’est-à-dire que l’on dira que la personne électrohypersensible imagine ses symptômes. Olle Johansson, alors à l’Institut Karolinska de Stockholm, en Suède, a assisté à cette conférence. Il m’a raconté qu’au cours de cette conférence, certains médecins présents ont exigé que les personnes atteintes d’électrohypersensibilité soient désignées comme des patients et que plusieurs de ces médecins voulaient également désigner l’électrohypersensibilité comme un trouble psychologique/psychiatrique. Selon Olle Johansson, seules deux personnes ont protesté contre cette décision : le Dr Bruce Hocking d’Australie, et lui-même. »

Le diagnostic psychiatrique résulte d’un manque de reconnaissance médicale

Mais l’ancienne journaliste suédoise Mona Nilsson, qui préside la Fondation suédoise pour la radioprotection, accuse l’approche de Bonander et Johansson d’avoir laissé tomber la communauté EHS. « Olle Johansson dessinait une image erronée de l’EHS en Suède et de la déficience fonctionnelle lorsqu’il écrivait (dans le document Electrohypersensitivity: a functional impairment due to an inaccessible environment, publié en 2015) :  Le point de vue suédois offre aux personnes atteintes de cette déficience une protection juridique maximale. Les seuls à bénéficier de cet argument sont les industriels qui s’opposent systématiquement à toute reconnaissance des effets sanitaires de l’exposition aux CEM, qu’il s’agisse de cancer, d’EHS ou d’autres maladies. Les personnes souffrant d’HSEM, qui devraient être appelées maladies dues aux CEM , ne reçoivent actuellement que peu ou pas d’aide de la part des autorités suédoises pour se protéger de la cause de leur maladie, tant qu’elles n’ont pas reçu de diagnostic d’un médecin indiquant que leurs symptômes/maladies sont causés par les rayonnements micro-ondes, les champs magnétiques ou électriques. Une personne qui tombe malade à cause d’une exposition aux CEM et qui cherche de l’aide auprès d’un médecin obtient généralement un diagnostic de maladie mentale. Une personne qui tombe malade à cause d’une antenne relais située près de son domicile ne peut espérer aucune aide de la part des autorités. Elles affirment qu’on ne peut pas tomber malade à cause des radiations des antennes relais. Elles disent que la communauté médicale ne reconnaît pas cette maladie et qu’il n’existe aucune preuve scientifique permettant d’établir un lien entre une maladie quelconque et l’exposition aux CEM.

En Suède, les personnes souffrant de HSEM se voient refuser des droits fondamentaux parce qu’elles ne disposent pas d’un diagnostic médical attestant que leur mauvaise santé est causée par les CEM. Il n’y a pas de contradiction entre le diagnostic médical et la déficience fonctionnelle – au contraire, la plupart des déficiences fonctionnelles sont fondées sur un diagnostic médical, tout comme l’EHS. »

Olle Johansson a décliné notre invitation à faire des commentaires.

Lisez la deuxième partie de cet article

 

yogaesoteric
9 mars 2023

 

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