Encelade abriterait une chimie prébiotique

Alors que s’est terminée la mission Cassini-Huygens, Gabriel Tobie, spécialiste des « intérieurs planétaires » au laboratoire de planétologie et géodynamique de Nantes, a expliqué pourquoi les scientifiques pensent qu’Encelade, lune de Saturne, abrite vraisemblablement une zone d’habitabilité. Sous sa croûte de glace, l’océan caché pourrait receler une forme de vie !

Les geysers d’Encelade, satellite de seulement 500 km de diamètre, constituent très certainement la plus grande découverte de la mission Cassini-Huygens. « On ne s’y attendait pas » explique Gabriel Tobie, chargé de recherche au CNRS. Ce chercheur au laboratoire de Planétologie et Géodynamique de l’université de Nantes préfère utiliser le terme de « jets de matière » plutôt que de geysers car « les mécanismes qui les animent sur Encelade sont très différents de ceux des geysers terrestres ».

Découverts en 2005, ces jets de matière sont « composés de grains de glace et de vapeur d’eau ». À sept reprises, entre 2005 et 2015, Cassini a traversé ces jets, ce qui a permis aux scientifiques de mesurer la composition des grains. « Ils contenaient des sels similaires à ceux présents dans les océans terrestres [mais aussi] des molécules organiques assez simples dont on suppose qu’elles sont les résidus de molécules plus complexes. »

En 2016, Cassini a confirmé que « ces jets avaient un lien avec l’océan que l’on sait présent sous la surface glacée d’Encelade ». Cette certitude vient du mouvement de libration de la lune, une irrégularité de sa rotation liée aux effets de marées. « À partir de ce mouvement, on a pu déterminer ce qui se cache sous la glace d’Encelade. » Ces changements de rotation prouvent qu’il y a une couche liquide en profondeur, « un océan global, profond de quelque 30 à 40 kilomètres ». Cet océan se situe de 20 à 25 kilomètres en moyenne sous la surface. « Mais on pense qu’au pôle sud, l’épaisseur de la glace est très faible, moins de 5 kilomètres. » Les jets observés par la sonde Cassini sont donc directement liés à cet océan. Pour expliquer l’amincissement de la couche de glace au pôle sud, « on suppose la présence au fond de cet océan de sources d’eau chaude ».

Figure en fausses couleurs représentant l’épaisseur de la couche de glace d’Encelade, atteignant 35 kilomètres dans les zones équatoriales cratérisées (couleur jaune) et moins de 5 kilomètres au niveau de la zone active du pôle sud (couleur bleu), où se trouvent des fractures de grandes tailles, grossièrement parallèles, les « rayures du tigre », visibles sur cette image, en bas. © LPG, CNRS, université de Nantes, université Charles de Prague

Cassini a offert l’opportunité unique d’étudier un océan extraterrestre

C’est aussi un indice très fort que « l’eau liquide de ces jets provient de cet océan souterrain ». L’océan interne d’Encelade n’est pas le seul cas connu dans le Système solaire (Europe et Ganymède, par exemple, des satellites de Jupiter, en possèdent un). Mais il est pour nous unique car « pour la première fois, des instruments ont pu en analyser la composition en passant dans ces jets ».

L’étude de cet océan ouvre de nombreuses perspectives sur toutes les questions liées à la vie. Bien que cela soit très spéculatif, Gabriel Tobie s’interroge sur « l’existence d’une chimie pouvant amener au développement d’une forme de vie ». Cependant, précise-t-il, « il ne fait guère de doute que cet océan contient tous les éléments pour faire émerger une forme de vie, dont l’énergie viendrait de la chimiosynthèse, mais la comparaison avec la chimiosynthèse terrestre n’est pas aussi évidente qu’il y paraît ».

Sur Terre, « les écosystèmes de ce type, par exemple autour des sources hydrothermales, dans l’océan, ne sont pas totalement indépendants de la photosynthèse de surface ». En effet, « beaucoup de nutriments tombent sur le plancher océanique et contribuent à la chaîne alimentaire de ces milieux ». Sur Encelade, bien sûr, sous l’épaisse couche de glace, la photosynthèse est impossible. Autre question, celle de longévité de l’activité de cette petite lune : « 10, 100 millions d’années, voire plusieurs milliards d’années, c’est très difficile à déterminer ». La réponse à cette question fondamentale « détermine la possibilité ou non qu’une vie s’y soit développée ». Sur Terre, quelques milliards d’années « ont été nécessaires pour que des organismes multicellulaires émergent durablement des profondeurs des océans ».

Enfin, les scientifiques souhaiteraient comprendre « comment Encelade est devenue une lune très active » alors que Mimas, autre lune de Saturne, apparaît « complètement inerte malgré sa taille similaire à Encelade et sa proximité ». Une situation qui n’est pas sans rappeler Vénus et la Terre, « deux planètes qui se ressemblent, notamment par la taille, mais qui ont connu des évolutions très différentes ».

« Les réponses à ces questions ne se trouvent pas dans les données de Cassini qui restent à exploiter et ne pourront pas être obtenues depuis des observations terrestres ». Seule une mission à destination d’Encelade pourrait en fournir. « Chercher des signatures d’activité biologique est à notre portée, en analysant la composition chimique précise des grains émis par Encelade. Cependant, la détection d’un organisme vivant apparaît très difficile ». Cela nécessiterait de collecter des échantillons proches de la surface et « l’utilisation de technologies qui restent encore difficiles à spatialiser ».

 

Les fractures dans la croûte de glace d’Encelade (en fausses couleurs), observées en 2005 par la sonde Cassini. © Nasa, JPL, Caltech, SSI

Retour sur Encelade : pas avant les années 2030

En Europe, plusieurs projets ont été proposés pour retourner explorer les lunes de glace du système solaire extérieur mais, aucune mission à destination d’Encelade n’a été sélectionnée. La prochaine grande mission de l’Agence spatiale européenne (ESA), appelée Juice (JUpiter ICy moon Explorer), a pour destination les mondes de Jupiter. Elle doit aller étudier Europe et Callisto avant de terminer sa mission autour de Ganymède. Son lancement est prévu en 2022 et la sonde devrait atteindre Jupiter en 2030. Une mission de la Nasa à destination d’Europe, dénommée Europa Clipper, est également en cours de développement. Elle aura pour objectif de caractériser la surface et la subsurface d’Europe et de préparer la prochaine étape qui consistera à déposer un atterrisseur. Une mission conjointe de la Nasa et l’ESA, appelée Joint Europe Mission, pourrait être envisagée pour cette seconde phase d’exploration, mais elle demeure pour le moment à l’état de concept.

Aux États-Unis, deux missions à destination d’Encelade et trois vers Titan ont été proposées dans le cadre du programme New Frontiers de la Nasa avec une opportunité de lancement en 2024 ou 2025. Mais seule une destination sera choisie. En effet, afin de ne pas polluer les instruments de mesure, il n’est pas possible d’envisager une même sonde pour étudier de près ces deux lunes.

yogaesoteric

8 octobre 2019 

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