Eurabia et la trahison d’Israël : une interview de Bat Ye’or

L’historienne Bat Ye’or répond aux questions de Niram Ferretti, de L’informale. Elle explique la situation géopolitique contemporaine avec beaucoup plus de précision et d’exhaustivité que les diplomates de carrière et les analystes de politique étrangère et de contre-terrorisme occidentaux et traditionnels.

Peu d’auteurs au cours des dernières décennies ont suscité un débat houleux comme Bat Ye’or. A son travail nous devons l’entrée sur le marché des idées de termes tels que « dhimmitude » et « Eurabia », tous deux essentiels pour comprendre la nature politique de l’Islam, son traitement des minorités non-musulmanes et l’axe politico-économique construit dans les années soixante-dix entre l’Europe et le monde arabe. C’est à cause de ce projet qui s’est développé par étapes et qui a culminé avec la crise pétrolière de 1973, que l’Europe a vendu Israël aux intérêts arabes. Bat Ye’or a montré avec précision, en signalant, l’un après l’autre, des épisodes, des documents irréfutables et des déclarations publiques, que l’Europe d’après-guerre et après l’Holocauste a progressivement rendu l’antisémitisme encore praticable sous l’apparence de l’antisionisme.

L’informale l’a rencontrée à la fin de 2017 lors de son voyage en Italie où elle était invitée à une conférence à Turin.

Q :
Dans votre livre fondamental, Eurabia, vous avez expliqué comment l’Europe des années soixante-dix, dirigée par la France, a mené une politique pro-arabe spécifique contre les intérêts d’Israël. Dans quelle mesure, selon vous, l’antisémitisme a-t-il joué un rôle dans tout cela?

Bat Ye’or : Il est difficile de déterminer le rôle de l’antisémitisme parmi les acteurs de nombreux pays qui prennent des décisions dans divers domaines. 

D’autant plus que dans l’Europe d’après-guerre, il était pratiquement impossible d’exprimer des opinions antisémites. Cependant, on peut noter que des antisémites notoires sont restés dans des positions clés. Ainsi, malgré les purges de l’après-guerre, dans les années 1960 et 1970, un réseau influent de fonctionnaires, d’intellectuels et de cadres qui avaient soutenu ou collaboré avec les régimes nazi et fasciste restait aux hautes positions de l’État.

– Par exemple, Walter Hallstein, qui fut le premier président de la Commission européenne de 1958 à 1967, était un nazi convaincu, un avocat universitaire et un officier SS. Il avait promu une Europe unie sous le nazisme où l’application des lois raciales de Nuremberg aurait éliminé toute vie juive – une Europe nazie économiquement unie avec le monde arabe. 
– Hans Globke, co-auteur des lois de Nuremberg, était conseiller du chancelier Adenauer et son éminence grise. 

Cette situation existait dans toute l’Europe occidentale. Ces cercles ont favorisé une alliance européenne avec les pays arabes où les criminels nazis s’étaient réfugiés. Convertis à l’Islam, ils occupèrent des positions importantes en Syrie et en Egypte dans la guerre contre Israël. 

N’oublions pas que depuis les années 1930, une forte alliance idéologique et politique fondée sur un antisémitisme commun a uni le fascisme et le nazisme avec les peuples arabo-musulmans. Ce noyau euro-arabe actif et anti-israélien mais discret, a pris de l’importance après 1967 grâce à la politique française pro-arabe. A partir de ce moment, sous le patronage du Quai d’Orsay, un discours digne de Goebbels émerge à l’égard de l’Etat d’Israël. Malgré ces réseaux, cependant, l’opinion publique européenne et les gouvernements de l’époque – à l’exception de la France – n’étaient pas antisémites. 

C’est la Ligue arabe qui a imposé après la guerre du Yom Kippour d’octobre 1973 à la Communauté européenne une stratégie politique antisémite anticipant l’éradication de l’Etat d’Israël, comme on peut le voir lors de la conférence des chefs d’État arabes à Alger qui a eu lieu du 26 au 29 novembre 1973. A cette fin, elle a utilisé l’arme pétrolière en interdisant sa vente à tous les pays amis d’Israël. 

L’embargo pétrolier ne serait annulé que dans les conditions suivantes : 
– d’abord, la reconnaissance d’un peuple palestinien jusqu’alors inconnu et de Yasser Arafat comme seul représentant, 
– ensuite l’islamisation de Jérusalem
– et enfin la retraite d’Israël sur les lignes d’armistice de 1949. 

Abba Eban, ministre israélien des Affaires étrangères à l’époque, appelait ces lignes « les frontières d’Auschwitz », c’est-à-dire celles de la Solution finale, parce qu’elles mettaient Israël en danger de mort. 

La France n’a pas été frappée par l’embargo. En 1969, elle a ouvert un bureau de l’OLP à Paris après avoir adopté en 1967 une politique anti-israélienne. Selon l’analyste arabe Saleh A. Mani, une politique convergente euro-arabe vis-à-vis d’Israël a été conçue par la France avec Mouammar Kadhafi avant la guerre de 1973. Dans deux déclarations de novembre et décembre 1973, à l’étonnement des États-Unis, les Neuf se soumirent aux exigences de la Ligue arabe. Ces décisions marquent le début d’une politique d’alliance européenne avec l’OLP dont le but, connu de tous, était de détruire Israël. Le soutien européen à la guerre arabe contre Israël a conduit à un mouvement de délégitimation et de diffamation de l’État juif imposé par les Etats européens à leurs populations sur le plan politique, social et culturel et visant à remplacer Israël par la Palestine. 

Les antisémites se sont engagés dans ce mouvement, maintenant légal et promu par les États.

Q :
Les résolutions de l’UNESCO de 2016 et 2017 ont symboliquement exproprié Israël, à Jérusalem, du Mur des Lamentations et du Mont du Temple, et à Hébron, du Tombeau des Patriarches. Cela ne fait-il pas partie d’une stratégie précise, l’effacement de la mémoire juive de Palestine pour la remplacer entièrement par l’histoire islamique ?

Bat Ye’or : Exactement, c’est précisément le but. Cette stratégie était déjà implicite dans les décisions de la Communauté européenne en 1973 quand elle exigeait le retrait d’Israël sur les lignes de 1949 et l’islamisation de Jérusalem. 

Gardez à l’esprit que la guerre de 1948-1949 a été déclenchée par les pays arabes et les Arabes en Palestine, aidés par les soldats musulmans des armées fascistes et nazies de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette guerre, les pays arabes ont pris Jérusalem-Est et ses territoires en Judée-Samarie, qu’ils ont colonisés et islamisés en chassant les habitants juifs. 

L’Europe n’a pas protesté contre l’acquisition arabe de territoires par la guerre et l’expulsion de leurs habitants juifs. 

De 1949 à 1967, aucun peuple palestinien n’est apparu dans ces territoires pour réclamer leur Etat. La politique anti-israélienne de la Communauté européenne décidée en 1973 a été réaffirmée par la CE lors de sa réunion avec l’OLP dans sa déclaration de Venise de juin 1980. Par cette mesure, la CE voulait rétablir des relations économiques fructueuses avec les pays arabes, qui s’étaient brisés après la paix israélo-égyptienne séparée que les pays européens n’ont pas pu empêcher. Le déni des droits historiques des Israéliens dans leur pays et l’effacement de leur mémoire religieuse et culturelle confirme la version et les interprétations islamiques de l’histoire biblique. Le Coran déclare que tous les personnages bibliques hébraïques, y compris Jésus, étaient musulmans. Arafat et Mahmoud Abbas, aidés par les historiens européens, ont continué à s’approprier l’histoire du peuple juif. La suppression par l’Europe de l’histoire et de la mémoire du peuple d’Israël efface aussi celle du christianisme, son identité et sa légitimité, car le christianisme est enraciné dans le judaïsme. Et si le judaïsme est une aberration ou une falsification de l’islam, le christianisme l’est aussi. Les États européens – en principe chrétiens – acceptent d’islamiser les sources de leur théologie et de leur identité religieuse, par haine pour Israël.

Q :
Au cours des dernières années, nous avons vu de plus en plus le développement d’un discours dont le noyau est que l’Islam a fortement contribué à l’ascension de l’Europe. En même temps, dans l’introduction de la Constitution européenne, il n’y a aucune mention des racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Le pape actuel ne perd jamais une chance de dire que l’Islam est une religion de paix et que s’il y a des musulmans violents, il y a aussi des chrétiens violents. Que faites-vous de tout cela ?

Bat Ye’or : Ce discours sur l’influence islamique prédominante sur la science européenne provient de deux sources : l’une arabe et l’autre européenne, toutes deux politiques. 

Les experts ont montré qu’il n’a pas de base historique car les racines de la civilisation européenne actuelle sont le judéo-christianisme, la Grèce, Rome et les Lumières. La source arabo-musulmane est une réponse, des années 1920-1930, à la confrontation des pays musulmans avec les progrès modernes de la civilisation européenne. Cette supériorité du monde de l’incrédulité est humiliante et inacceptable pour l’Islam qui, par cette affirmation culturelle, s’attribue tous ses mérites. Cela étant dit, il est clair qu’il y avait des prêts ici et là, comme il y en avait des hindous et des chinois. Ce sont des échanges réciproques normaux entre les peuples et les civilisations, mais ils ne sont pas des éléments fondamentaux. Il est vrai que les civilisations de l’Antiquité en Orient ont influencé celles postérieures en Europe. Mais ces civilisations païennes, trois mille ans avant notre ère, ne doivent rien à l’islam, qui est venu beaucoup plus tard, ni à l’Arabie, géographiquement isolée par ses déserts. 

Cette déclaration est aussi un moyen pour les immigrés musulmans d’affirmer une présence culturelle et scientifique ancienne de l’Islam en Europe et de réclamer des droits politiques et religieux dans les pays où ils émigrent. La source européenne provient de la politique méditerranéenne dont le but est d’unifier les deux rives de la Méditerranée par une intégration stratégique et culturelle. Elle adopte le langage flatteur du courtisan envers les potentats arabes et essaye toujours d’apaiser les sensibilités musulmanes, en particulier par une similitude historique spécieuse de l’Islam et du Judaïsme. Cette source ne reconnaît pas le judéo-christianisme parce que les musulmans sont offensés.

Pour faciliter l’intégration de millions d’immigrés musulmans, l’Europe abandonne ses racines. 
– En 2000, le député français Jean-Louis Bianco a discuté des points à ce sujet au sein du Comité de rédaction de la Charte européenne. 
– Le négociateur du gouvernement français, Guy Braibant, ayant demandé « quelles conclusions pourraient tirer les millions de musulmans européens » si la charte se référait aux valeurs chrétiennes ? L’affaire était close. 

Le pape a raison de dire que la violence existe partout. Mais nous ne parlons pas de violence individuelle, nous parlons d’un système politique religieux préconisant la guerre et n’acceptant que des trêves temporaires avec des non-musulmans. A ma connaissance, le djihad, guerre religieuse de conquête planétaire, n’existe que dans l’islam. Sans vouloir minimiser les périodes de tolérance islamique ou les tentatives de certains monarques pour moderniser les conceptions islamiques, il faut reconnaître que l’idéologie djihadiste justifie la terreur, le fanatisme, la guerre et le génocide. Si nous voulons créer une humanité plus fraternelle, nous devons discuter ouvertement des objectifs et des lois du djihad. Nous aiderons les musulmans progressistes qui combattent courageusement cette lutte.

Q :
Dans sa charte de 1989, le Hamas déclare explicitement que toute la Palestine est un Waqf islamique pérenne. Ceci est très cohérent avec l’idée islamique qu’une fois qu’une terre est conquise par l’Islam, elle lui appartient pour toujours. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Bat Ye’or : L’opinion du Hamas est conforme aux lois de la guerre de conquête islamique. 

Tout pays non musulman conquis par l’islam devient un Waqf, une dotation pour tous les musulmans. Ce ne sont pas seulement les terres conquises par les peuples mécréants qui constituent un Waqf mais la planète entière qui est destinée par Allah à devenir un Waqf géré par le calife pour les musulmans. C’est cette croyance qui détermine l’obligation de conquête universelle qui incombe à tout musulman, éventuellement par la guerre. A fortiori, aucun des pays qui étaient déjà islamisés ne peut retourner à ses anciens propriétaires. Cet argument s’applique non seulement à Israël mais à tous les pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique qui, conquis et islamisé par le djihad, sont devenus un Waqf. 

Le concept de Waqf est apparu pour la première fois dans l’Islam lors de la conquête arabe de la Mésopotamie, Sawad, vers 636, dans une discussion entre le calife Omar ibn al-Khattab et ses commandants militaires, sur les terres et les peuples conquis. L’idée d’un Waqf géré par le calife pour tous les musulmans a été proposée par Ali, le futur calife. L’établissement du Waqf en droit foncier sur tous les pays éloignés des peuples mécréants a interdit, à quelques exceptions près, la division des terres et la propriété privée, ce qui explique l’absence de droits de propriété des villageois dans la Palestine ottomane et le Mandat. 

Mais l’opinion du Hamas contient une contradiction. Si la Palestine est une terre de Waqf, les Palestiniens n’ont jamais possédé de parcelles délimitées selon un registre foncier. S’ils possédaient des parcelles, alors la Palestine n’est plus une terre de Waqf. 

Le Hamas a théoriquement raison en termes de droit de conquête islamique jusqu’au mandat britannique qui a aboli ce droit en 1917 en Palestine. 

Aujourd’hui, l’Occident face à un djihad mondial, doit remettre en question la base morale du djihad et si ses lois d’islamisation de la terre conquise d’autres peuples, qui peuvent être universellement applicables même en Europe. 

En 1973, l’Europe les a imposées à Israël en appelant la Judée-Samarie « territoires arabes occupés », après l’expulsion de tous les Juifs. Ses décrets sur la signalisation des produits de ces territoires indiquent que l’Europe adopte les lois du djihad et de la charia en ce qui concerne Israël… 

yogaesoteric

25 juillet 2018 

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