Évasion fiscale et fonds vautours : une légalité de façade

Quelques jours à peine après les Paradise Papers révélant comment les grandes fortunes utilisent les paradis fiscaux pour se soustraire à l’impôt, les Panama Papers refont surface avec la perquisition menée au siège de Dexia SA et de Belfius par la cellule anti-fraude de la police fédérale. De nombreuses données informatiques ont ainsi été saisies afin d’évaluer l’ampleur de l’évasion fiscale organisée par Dexia. Les Panama Papers avaient démontré en 2016 que l’une de ses filiales nommée Experta avait créé plus de 1600 sociétés offshore pour permettre à de riches clients belges d’éluder l’impôt alors que, dans le même temps, Dexia était sauvé de la faillite par les contribuables belges, français et luxembourgeois.

Ces pratiques qu’on appelle aussi pudiquement « optimisation fiscale » pourraient donc non seulement être illégitimes, en ce qu’elles violent l’intérêt général, mais aussi illégales. Rappelons à cet égard qu’il est inexact d’opposer la fraude fiscale (toujours illégale) à l’évasion fiscale comme si cette dernière, bien qu’illégitime, était forcément licite.

Avant de conclure à la légalité d’un montage fiscal, plusieurs éléments doivent être analysés comme l’origine de l’argent dissimulé dans les paradis fiscaux. Est-elle licite ou bien cet argent est-il lui-même le produit d’une fraude fiscale ? À titre d’exemple, la banque HSBC a récemment conclu un accord avec le Parquet financier en France afin d’éviter des poursuites pénales pour blanchiment de fraude fiscale, en contrepartie du paiement d’une amende. Dans une autre affaire, cette banque a également collaboré avec les cartels de la drogue du Mexique et de Colombie dans le blanchiment d’argent.

La finalité du montage fiscal doit aussi être vérifiée. Lorsque l’évitement de l’impôt constitue la raison essentielle de la domiciliation dans un paradis fiscal, on est alors en présence au minimum d’un abus de droit qui est sanctionné. L’abus fiscal est notamment inscrit à l’article 344 du Code belge des impôts sur les revenus.

Cette nécessité d’aller au-delà des apparences vaut également pour les dettes publiques, dont le paiement n’est jamais questionné au motif que la dette contractée par les États dits « démocratiques » serait a priori légale et légitime. C’est notamment le cas des dettes causées par les sauvetages bancaires, dont celui de Dexia. Or, le droit pose de nombreuses limites à leur remboursement, dont certaines sont aussi liées à l’origine et à la finalité de l’emprunt. La Commission d’audit de la dette grecque a, par exemple, démontré qu’une large partie de cette dette est illégale et illégitime.

Un audit des dettes pour fonder un refus de payer la partie illégitime et illégale est d’autant plus pertinent que l’évasion fiscale est liée au mécanisme d’endettement des États. D’une part, l’évasion fiscale produit mécaniquement de nouvelles dettes à charge des populations, puisque ce manque à gagner pour les États est compensé par le recours à l’endettement. D’autre part, les créanciers de ces dettes sont souvent domiciliés dans les paradis fiscaux, comme les filiales de grandes banques ou encore les fonds vautours qui réalisent des profits indécents en spéculant sur les dettes.

Les fonds vautours sont des sociétés privés qui rachètent à prix cassé la dette des États en difficulté pour ensuite réclamer devant les tribunaux le paiement à la valeur d’origine à 100%, majoré d’intérêts et de pénalités. Le fonds NML Capital, enregistré aux Iles Caïmans, a, par exemple, réalisé une plus-value de 1270% contre l’Argentine en obtenant 2,426 milliards de dollars pour des dettes rachetées seulement à 177 millions.

Ce fonds vautour est la propriété du milliardaire Paul Singer, cité à plusieurs reprises dans les Paradise Papers en raison de ses activités dans les paradis fiscaux et de l’influence qu’il exerce sur la politique des États-Unis. Classé parmi les principaux donateurs du Parti Républicain, Singer possède un autre fonds vautour, également basé aux Iles Caïmans, le fonds Kensington ; le même qui, pour se payer, a saisi une partie de l’argent belge de la coopération au développement qui était destiné à la République du Congo.

Les Paradise Papers nous révèlent d’ailleurs plusieurs faits douteux et répréhensibles dans la procédure ayant opposé ce fonds vautour au Congo. D’abord, Kensington refuse de donner au juge les noms de ses actionnaires et celui de sa société-mère. Ensuite, dans l’accord amiable qu’il conclut finalement en 2008 avec les représentants congolais, le fonds vautour s’engage à détruire tous les documents sur cette affaire et à abandonner toute accusation de fraude à l’encontre du régime corrompu de Brazzaville mais à la condition expresse que ce dernier lui paye ce que qu’il demande.

On est ici non seulement dans le refus de coopérer avec la justice, dans l’extorsion de fonds et dans l’opacité la plus totale. Que contiennent ces documents que Kensington promet de détruire ? Dans quelles circonstances ce fonds vautour a-t’il racheté la dette congolaise ? Pourquoi refuser de donner l’identité de ses actionnaires ? Pourquoi Paul Singer utilise ses sociétés basées dans les Iles Caïmans pour attaquer la République du Congo, l’Argentine mais aussi la loi belge contre les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015 ?

En effet, Paul Singer, via NML Capital, demande à la Cour Constitutionnelle belge d’annuler cette loi pionnière qui pourrait créer un effet d’entraînement au niveau international. Cependant, il refuse de transmettre les statuts de sa société et la composition du conseil d’administration. Cette affaire qui oppose ce fonds vautour à l’État belge ainsi qu’au CADTM, au CNCD-11.11.11 et son homologue flamand pourrait être jugée en 2018. Nul doute que l’issue de cette procédure en Belgique aura une répercussion mondiale.







yogaesoteric

17 février 2018 

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