IA : une course à l’armement pour dominer le monde

 

Loin d’être encore mature, la technologie de l’intelligence artificielle sera un formidable levier pour l’Homme. Mais elle pourrait être également une arme de domination pour les pays qui la maîtriseront. Cela a été l’un des thèmes abordés lors du Paris Air Forum, organisé par La Tribune et qui s’est déroulé le 14 juin à la Maison de la Mutualité. Le PDG d’Atos, Thierry Breton, le PDG de Thales, Patrice Caine, le directeur général de IATA, Alexandre de Juniac, et le directeur général de la DGAC, Patrick Gandil ont débattu sur le thème « IA, nouvelle frontière pour l’aviation et le spatial ».

« Celui qui deviendra leader en ce domaine sera le maître du monde », affirme le président de la Russie, Vladimir Poutine. De quoi parle-t-on ? De deux lettres, qui fascinent autant qu’elles font peur, l’IA. Elon Musk, le patron de SpaceX et Tesla, affirme d’ailleurs que l’IA est plus dangereuse que l’arme nucléaire. Mais voilà, le monde est déjà entraîné dans la guerre du futur avec l’émergence de l’IA en général, et, en particulier dans la défense. Et beaucoup plus qu’on ne peut le penser. « Le développement de l’intelligence artificielle est désormais un lieu de compétition stratégique, une course à la puissance technologique, économique mais aussi militaire », a expliqué début avril la ministre des armées, Florence Parly.

Washington et Pékin sont en train de se livrer à une véritable course à l’armement, qui structurera le paysage de l’IA militaire dans les années à venir. « La Chine doit être le pays le plus avancé au monde pour ce qui concerne la théorie fondamentale et les applications pratiques dans le domaine de l’IA », assure Jean-Christophe Noël, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans le numéro de mai de la Revue Défense nationale (RDN) consacré à l’IA. La reconnaissance faciale est déjà utilisée en Chine pour identifier les personnes dont le comportement déroge avec les règles imposées par les autorités et le Parti. Et cette course, qui s’accélère, reproduit, soixante-dix ans plus tard, ce qu’a été la course à l’armement nucléaire. D’autant que les Américains semblent aujourd’hui « effrayés par ce volontarisme chinois, craignant que leur supériorité militaire s’érode lentement », écrit Jean-Christophe Noël. Derrière ce duo, la Russie ne se maintient que sur certaines briques technologiques.

Et la France ?

Que fait la France pour éviter le déclassement ? « Dans cette course à l’investissement, il est illusoire pour la France et l’Europe de penser rattraper les champions mondiaux que sont les États-Unis et la Chine », explique dans la RDN, le directeur de l’Agence pour l’innovation de défense, Emmanuel Chiva. Loin derrière, la France participe à l’aune de ses moyens à cette – compétition en jouant sur ses quelques points forts (explicabilité, vulnérabilité), notamment en s’appuyant sur sa longue tradition scientifique et d’ingénierie avec des chercheurs mondialement reconnus comme Yann Le Cun, qui a reçu le prestigieux prix Turing. « Nous ne pouvons pas prendre le risque de manquer ce virage technologique. Tout se joue donc maintenant », estime Florence Parly. Mais d’un point de vue technologique, la France est clairement subordonnée à des entreprises étrangères, notamment les Gafam (infrastructures notamment).

De façon concrète, le ministère des Armées va investir 100 millions d’euros par an de 2019 à 2025 dans l’IA. Et c’est en réalité bien plus si l’on compte tous les systèmes de défense qui seront irrigués par l’IA : cet effort touche tous les programmes d’armement, du Rafale au Scorpion, du spatial au combat naval collaboratif. D’ici à 2023, la cellule de coordination consacrée à l’IA pourra s’appuyer sur un réseau de 200 spécialistes, dont une centaine à Bruz (Ille-et-Vilaine) au sein du centre technique Maîtrise de l’information de la Direction générale de l’armement (DGA). C’est peu, trop peu, mais la France sera un partenaire de second ordre capable de jouer les premiers rôles dans certaines briques technologiques.

Une technologie déjà indispensable

Pour autant, comme le précise Florence Parly, « L’IA reste une technologie très jeune, et la faible maturité de certaines approches ne permet pas aujourd’hui de les utiliser dans des applications critiques, qui sont à forts enjeux ». Ainsi, les algorithmes de détection d’objets sur l’imagerie satellitaire actuelle ne permettent pas encore de distinguer un pick-up armé d’un pick-up civil. « Le problème ne peut pas être résolu par la force du calcul », explique la Direction du renseignement militaire (DRM) dans la RDN. Si aujourd’hui, on peut en conclure que l’IA génère encore plus d’incertitudes et de questionnements que d’affirmations, cela ne sera pas toujours le cas. Car « c’est une technologie stratégique, indispensable pour garantir notre supériorité opérationnelle », rappelle la ministre. Pour quelles applications ? « Les opportunités d’usage pour la défense sont nombreuses. L’IA est capable d’assister la prise de décision, de la rendre plus rapide, plus éclairée et plus sûre », explique dans la RDN le mathématicien et député LREM, Cédric Villani, auteur d’un rapport sur l’intelligence artificielle à la demande d’Emmanuel Macron.

Outre l’aide à la décision et à la planification, l’IA va rendre de nombreux services au renseignement. Elle va booster les outils de recherche de données « dans des proportions incommensurables », selon Florence Parly. En outre, le combat collaboratif bénéficiera de la puissance de l’IA, ce qui renforcera les capacités opérationnelles de systèmes de défense à l’intérieur d’une même bulle tactique. Ce sera vrai pour les avions, les chars de combat, les navires de guerre et les drones, qui pourront communiquer et mener des actions communes. Via la robotique, l’IA pourra soulager les militaires de tâches répétitives ou dangereuses. Ce qui renforcera leur efficacité et les protégera sur le terrain. Dès 2020, le système de lutte antimines du futur (SLAMF) mettra au point des essaims de robots sous-marins qui procéderont au déminage. Ce qui permettra aux marins de se tenir à distance du danger. Dans l’armée de terre, des robots peuvent d’ores et déjà porter des charges lourdes ou évacuer les blessés.

Un atout pour une maintenance efficiente

L’IA sera également déterminante dans le cyberespace pour se protéger des cyberattaques qui seront dans le futur en mode « haute fréquence ». Et pour les contrer, seule une machine armée d’une IA de compétition aura le tempo requis. Enfin, dans le domaine de la logistique et de la maintenance, l’IA permettra plus d’efficacité. La ministre a demandé à la marine nationale de lancer une expérimentation de maintenance prédictive sur les moteurs de certaines frégates et à l’armée de l’air, qui travaille déjà sur de la maintenance prédictive pour les Rafale, de lancer un projet identique sur la flotte des avions tactiques C130J, en coopération avec le Royaume-Uni et les États-Unis.

Ainsi, « le traitement de l’évolution de certaines données physiques comme la pression, la température ou le nombre précis de rotation par seconde d’éléments mobiles sur les moteurs est une aide pour prévoir les pannes », explique Jean-Christophe Noël. La mise en place d’algorithmes par les compagnies aériennes capables d’analyser ces données a déjà entraîné des économies substantielles : la gestion du parc d’avions a été améliorée, des annulations de vol ont été évitées, limitant les effets préjudiciables en termes d’image et de finance. Dans le domaine de la logistique, les grands stocks peuvent être mieux gérés en classant les marchandises en fonction des impératifs du marché, selon des catégories spécifiques élaborées par une machine. Très clairement, une IA au service de l’homme. Mais pas que…

 

yogaesoteric
9 juillet 2019

 

Also available in: Română

Leave A Reply

Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

This website uses cookies to improve your experience. We'll assume you're ok with this, but you can opt-out if you wish. Accept Read More