« Je vis comme à l’âge de pierre » : partie chasser la simplicité de l’être (1)

 

Boulot, appart, portable, sécu : Miriam Lancewood, 34 ans, a tout plaqué, et réduit sa vie jusqu’à la faire tenir dans un sac-à-dos de 25 kg. Voilà déjà neuf ans qu’elle et son mari ont élu domicile dans la nature. C’est là qu’ils ont trouvé ce que tous les gens cherchent : le bonheur, la liberté et la panacée, sans débourser un centime.

Elle peut s’évanouir dans la nature en l’espace de quelques secondes. Engloutie par la forêt et ses géants verts. Même à l’aide d’un hélicoptère et de projecteurs, il serait difficile de la retrouver ici, dans les Rhodopes, massif montagneux situé dans le sud-ouest de la Bulgarie, à quatre heures de route de Sofia. Miriam Lancewood n’y peut rien. « Pourquoi d’ailleurs ? Je n’ai rien à cacher. » La Hollandaise de 1,66 m sait exactement comment se déplacer sans laisser de traces. La nature et les animaux le lui ont appris. « Dans l’eau, je ne laisse ni traces de pas ni odeur derrière moi. » Elle prend au piège les animaux sauvages qui la flairent en se hissant au sommet d’un arbre. « Perchée au-dessus du vent, ils ne peuvent plus me sentir, et de là-haut, je les ai en ligne de mire. » Pour le feu de camp quotidien, elle ramasse des branches d’arbres qu’on trouve dans les pâturages, et de pin « plus épaisses que celles d’autres arbres. On peut cuisiner directement sur le feu sans qu’il n’y ait de fumée épaisse, ce qui évite qu’un individu alerte les pompiers. » Cela fait neuf ans que Miriam Lancewood, 34 ans, vit dans la nature.

Son arc de chasse et son mari Peter, de trente ans son aîné, ne la quittent jamais. Avec ses longs cheveux gris et le teint tanné de toute une vie passée en extérieur, il pourrait facilement passer pour Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux. Les deux ne restent jamais bien longtemps au même endroit. Ils sont toujours en mouvement dans les montagnes, car on demande rarement une autorisation de camper dans ces hauteurs paumées. Ce duo nomade a déjà 5.000 km dans les pattes. Elle, une ancienne prof de sport originaire d’un bled dans l’ouest de la Hollande ; lui, néozélandais de naissance, cuisto de formation, citoyen du monde par passion, non-conformiste par raison et lecteur de philo à la fac, a grandi dans une bergerie. La rencontre eut lieu en Inde au cours d’un voyage, les affinités firent le reste.

Ensemble, ils sont allés faire du trekking dans l’Himalaya. Puis Miriam a suivi Peter dans sa Nouvelle-Zélande natale, et tenté de se construire une vie là-bas. Vu de l’extérieur, tout collait : le boulot de prof, les amis, l’appart. Mais à l’intérieur régnait le chaos. « J’avais donc fini d’étudier pour finalement réaliser que ni l’enseignement, ni le contact avec les élèves ne me plaisait. Quand je ne me voilais pas la face, je prenais conscience que je n’aimais pas non plus le sport de haut niveau, alors que je m’étais durement entraînée en saut à la perche pour les JO. Je me sentais dans la peau d’une ratée d’avoir dépensé tant de temps et d’énergie pour quelque chose qui, visiblement, ne me convenait pas. »

Miriam prend les lièvres en chasse dans les Rhodopes, massif montagneux verdoyant dans le sud-ouest de la Bulgarie

La pression pour maintenir un quotidien qui sonnait faux était énorme, et insupportable. Tout comme l’appel impérieux de la liberté. « Alors que j’étais incapable de déterminer ce qu’était cette idée de liberté. Comment aurais-je pu ? Nous grandissons en captivité, en dehors de toute liberté, comme des perruches en cage, pas comme des aigles dans le ciel. Je ne savais qu’une chose : conséquemment à tout ce confort qui m’entourait, j’avais per- du ma colonne vertébrale. J’étais insatisfaite, mais j’avais développé un tel degré de conformité que j’étais incapable de changer quoi que ce soit. » Peter ressentait la même chose. En 2010, ils lâchent tout, vendent tout ce qu’ils possèdent et se retirent sept ans durant dans les montagnes de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. En ce moment, ils explorent l’Europe. À l’automne, ils seront en Australie.

Pas de job, pas de logement fixe, pas d’eau courante, pas de WC, pas de lit, pas de voiture, ni sécu ni pension retraite, pas de smartphone, pas d’ordi, aucun filet de sécurité. Miriam a tout abandonné ; pour chaque objet délaissé, elle a reçu quelque chose en contrepartie. Exit la montre. En échange, elle a gagné du temps. La vente de la voiture a eu pour impact de mobiliser en elle une volonté insoupçonnée de tout atteindre à pied. Elle a troqué ses quatre murs contre un salon au vert si spacieux, que l’on ne peut discerner où il commence ni où il s’arrête. Miriam porte 25 kg sur les épaules. « Je suis la plus jeune et la plus en forme des deux », commente-t-elle sobrement. Peter, qui sent ses 64 ans dans les hanches et les genoux, en porte 15.

Une popote, un canif, des vêtements de rechange, une tente, un sac de couchage. Quand il pleut pendant des jours ou qu’il fait très froid, ils trouvent refuge dans des huttes à l’abandon, avec les rats et les souris pour compagnie. « Mais je ne tiens pas longtemps dans un espace clos. On n’entend ni le vent ni les oiseaux. » Le duo porte des sandales de trekking aux pieds, été comme hiver. « Les chaussettes et les chaussures de rando seraient toujours trempées avec nous : à cause de la rosée du matin, de la boue ou des chemins marécageux. Les pieds sèchent plus vite dans les sandales. » Et quand il fait vraiment trop froid en hiver, Miriam se plante dans un ruisseau. Car l’eau qui coule est au-dessus de zéro.

En écoutant l’histoire de Miriam, on imagine des chevelures enchevêtrées, des ongles noirs de crasse, deux sourires troués. Pourtant, bien qu’elle ait pris sa dernière douche six mois plus tôt et qu’elle ne se lave que dans des sources, elle est fraîche comme l’aurore. Qui plus est : Lancewood pourrait légitimement poser pour un fabricant d’articles de sport. Regard vert et alerte, jambes lisses et rasées, mâchoire blanc perlé. À court de dentifrice ? Elle utilise de la cendre. Au début de son histoire en État sauvage, et comme ses pellicules (qu’elle haïssait) ne voulaient pas se faire la malle, elle se fit un shampoing avec sa propre urine. La nature est la meilleure pharmacie qui soit. « Dans un vieux bouquin de médecine, j’avais lu qu’il fallait laisser agir l’urine sur le cuir chevelu. » Et ajoute en ricanant : « C’était répugnant. Je crois qu’à ce moment-là, j’ai jeté aux orties les derniers codes sociaux. » Les pellicules ne sont, du reste, jamais réapparues.

La posture de Miriam Lancewood trahit ceci : elle ne plie pas face à l’adversité. Mais respire la force et la santé. C’est une des raisons pour lesquelles on se sent pâle, faible et abâtardie à côté d’elle. « Le fait de réduire le nombre de biens en ma possession m’a transformée. La vie en plein air m’a rendue physiquement plus forte. » « Je crois que c’est exactement ça, la clé du bonheur : la peur disparaît avec l’apparition de la force physique. Et à son tour l’absence de peur laisse un vide, ou plutôt une place, pour la joie et la liberté. »

Miriam ramasse du bois cinq fois par jour. Le feu de camp est à la fois source de lumière et de chaleur, et sert de foyer pour cuisiner.

Entre-temps, Miriam est capable de sentir la pluie venir et de percevoir le plus léger battement d’ailes.


Lisez la deuxieme partie de cet article

 

yogaesoteric
1 octobre 2019

 

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