La chute spirituelle de l’humanité : Du vaccin au totalitarisme

par Jacques Roure

En errant sur les réseaux sociaux, je suis à nouveau tombé sur cette étrange pensée de Rudolph Steiner :
« Dans le passé, on a éliminé l’esprit. On éliminera l’âme au moyen d’un médicament. En partant d’une ” saine vue des choses “, on trouvera un vaccin grâce auquel l’organisme sera traité dès la prime jeunesse autant que possible, si possible dès la naissance même, afin que ce corps n’en vienne pas à penser qu’il existe une âme et un esprit ».

Et plus loin, il évoque des hommes qui découvriront « un vaccin qui puisse dès la prime jeunesse, par la voie du corps, extirper la tendance à la spiritualité ».[1]

Je ne connais que très peu l’œuvre de Steiner et le peu que j’en sais ne m’attire pas du tout. Cependant, cette phrase est étonnante et m’a toujours laissé dubitatif. Quel rapport le vaccin pouvait-il avoir avec la spiritualité ? Comment imaginer qu’un produit pharmaceutique puisse détruire l’âme ? Comment une préparation biologique pourrait-elle altérer le principe de la pensée pourtant distinct du corps qu’est l’âme ? Si la spiritualité est cette réflexion qui porte sur les rapports entre le particulier et le Tout, comment le vaccin pourrait-il la saccager ? Quels liens entre l’individu et le Grand Ensemble le vaccin altérerait-il ? Avec quelles conséquences pour l’humanité ?

Juger la Nature pour l’améliorer ?

Peut-être Spinoza pourrait-il nous être de quelque secours quand il écrit dans son Traité théologico-politique :

« […] la Nature ne se limite pas aux lois de la Raison humaine dont l’unique objet est l’utilité véritable et la conservation des hommes ; elle en comprend une infinité d’autres qui se rapportent à l’ordre éternel de la Nature entière dont l’homme est une petite partie ; et par la seule nécessité de cet ordre tous les être individuels sont déterminés à exister et à se comporter d’une certaine manière. Toutes les fois donc qu’une chose nous paraît ridicule, absurde ou mauvaise dans la Nature, cela vient de ce que nous connaissons les choses en partie seulement et ignorons pour une grande part l’ordre et la cohésion de la Nature entière et voulons que tout soit dirigé au profit de notre Raison ; alors que ce que la Raison prononce être mauvais n’est pas mauvais au regard l’ordre et des lois de toute la Nature, mais seulement au regard des lois de notre nature seule ».[2]

Comprendre ici qu’à chaque fois que l’humain juge quelque chose comme mauvais dans la Nature et même, pourrions-nous rajouter, prétend l’améliorer, il ne fait qu’exhiber son incompréhension de ce qu’elle est. Le propos peut paraître surprenant aux modernes que nous sommes, mais il se tient, car un phénomène n’est, effectivement, jamais que la façon dont nous percevons un processus. Le processus est la fonction active dont le résultat, interprété par les lois rationnelles du savoir (donc la façon dont nous le percevons et l’interprétons), s’appelle phénomène[3]. Pour comprendre le réel, il faudrait avoir accès aux processus qui le composent ; or nous n’avons accès qu’aux phénomènes. Non seulement nous ne prenons part qu’à une partie du réel, mais en plus, nous ne percevons qu’une zone de ce à quoi nous participons.

Dans ces conditions, juger la nature fait courir le risque de se méprendre sur le rôle de chaque processus que nous percevons à travers son phénomène. Par conséquent, incapables de comprendre les ressorts profonds de quoi que ce soit, il nous faut suspendre notre jugement sur la nature. Pour le dire autrement, on n’améliore pas la nature. On la laisse pour ce qu’elle est.

Il est d’ailleurs troublant de constater dans les médias le nombre de fois où il est rappelé à quel point il faut protéger la nature parce que sans elle, on est mort. La Nature tirerait ici sa valeur de ce qu’elle nous est utile, que sans elle, aucune survie n’est possible. Pour le moment en tout cas. Qu’adviendrait-il en effet si nous parvenions, par la technologie, à nous en émanciper totalement ? Si elle ne nous était plus d’aucune utilité ? Quelle valeur nous empêcherait alors de l’artificialiser totalement ? Quelle valeur nous empêcherait de détruire le vivant ?

Or, on constate que les recherches technologiques aujourd’hui tendent vers cette monstruosité, et ce sous couvert de bonne conscience. Ainsi le système nous propose-t-il de la viande issue non pas d’animaux mais qui a « poussé » dans des laboratoires. Dans le même ordre d’idées, la promotion des insectes dans les aliments pour humains ne préfigure-t-elle pas, elle aussi, la création de protéines, de nutriments ne provenant même plus d’insectes ou même d’êtres vivants ? uniquement de matières premières ? Nous en sommes encore loin mais de telles recherches ne tendent-elles pas vers l’émancipation de l’espèce humaine vis-à-vis de la nature ? Si tel devait être un jour le cas, la Nature – plus exactement, le vivant – perdrait vite toute raison d’être aux yeux d’une population rongée par le matérialisme.

Il est troublant de constater que ce mouvement nous est imposé par les monopoles publics (les États et leurs institutions) et privés (le capital financier) en exacerbant la peur de la mort. Alors que la mort a longtemps été considéré comme l’aboutissement de l’être – sa réalisation totale en quelque sorte – elle devient quasiment pathologique à l’époque moderne, comme une expression ultime de cette nature qu’il va s’agir de contrarier. La mégamachine industrialo-étatique veut vaincre la Camarde, prélude paradoxal à l’éradication du vivant. Ainsi en va-t-il de Google avec sa filiale Calico qui propose ni plus ni moins de « tuer la mort ». La mort devient mauvaise, elle est jugée d’un point de vue totalement émancipé de la nature.

Pieter Claesz – Vanité – 1630

Ce n’est bien entendu pas parce que la mort est l’œuvre de Dieu qu’il ne faut pas se soigner quand on est malade. Ce n’est pas parce que le lion est l’œuvre de Dieu que l’antilope ne doit pas détaler pour sauver sa peau. Toutes les sociétés ont eu leur médecine de façon à guérir les gens. Mais là où l’imploration magique ou le médicament avaient recours à des substances naturelles pour vaincre la maladie ou la blessure, la médecine moderne passe un cap avec le vaccin. Son principe consiste à modifier le système immunitaire pour l’améliorer en vue non pas de guérir mais de ne plus tomber malade. Elle franchit là le Rubicon par rapport au médicament qui, lui, n’améliore pas la nature humaine mais ne fait qu’en combler momentanément les manques face à un ennemi, la rééquilibrant dans son environnement. Le vaccin ne procède pas ainsi. Il est l’expression de la science qui a repéré une faiblesse structurelle dans la Nature humaine et la répare. Il prétend améliorer le système immunitaire (« prétend » car la réalité semble tout autre).

Rationaliser le vivant ou le mythe du progrès

Cette posture montre que notre société accepte l’idée que le système immunitaire ne correspond plus aux valeurs actuelles, à notre façon de considérer la vie. Mais loin de nous remettre en cause et de nous réajuster à la Nature, c’est à cette dernière de s’adapter. Nous nous comportons comme des gamins qui font un caprice parce que le réel s’oppose à leurs désirs : la vie devrait durer plus longtemps, de façon plus certaine, que ne le permet le système immunitaire. Ainsi en venons-nous à accepter de faire correspondre le système immunitaire à nos desiderata, à le rationaliser, à le faire correspondre à l’idée que nous nous faisons de ce à quoi il devrait servir. Ne sommes-nous pas ici exactement dans le travers que dénonçait Spinoza ?

Nous vivons une époque dans laquelle le matérialisme a congédié la spiritualité. Le corps humain est considéré au regard de l’utilité telle qu’elle est définit par la société. Il est extrait du Grand Tout pour correspondre aux standards de ce qui est bon pour le seul humain dans une société donnée. Nous assistons à un mouvement de rationalisation du corps pour le faire correspondre aux normes sanitaires en vigueur, normes sanitaires qui ne sont jamais qu’une expression de la lutte des classes : la science médicale n’est ici que le paravent des rapports de force entre un pouvoir gestionnaire et les peuples. Le vaccin exemplifie de façon paradigmatique une tendance funeste qui semble logée au plus profond de notre civilisation.

Dans ce cadre, comment juger du progrès ? Qu’est-ce que le progrès si ce n’est la prétention humaine à améliorer sa condition ? Le progrès, c’est la vie qui s’émancipe de ses conditions originales, au nom d’un mieux. Le progrès est, en un sens, la technique qui s’émancipe de la spiritualité. Elle ne sert plus à vaincre la nécessité mais à améliorer la vie, qu’on l’entende en terme de zōē (qui désignait le simple fait de vivre en grec ancien) ou de bios (c’est-à-dire la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou à un groupe[4]. Incapable de réfléchir la place de l’humain dans le Grand Tout, aveugle même de cette question puisqu’elle propose une explication rationnelle de l’univers dénuée de tout ordre transcendant, la société du progrès peut abroger toutes les limites qui empêchaient la technique de modifier la vie, zōē comme bios. N’avons-nous pas là une forme d’hubris ? La croyance que notre connaissance de la Nature est suffisante pour l’améliorer ? Le progrès n’est-il pas l’humain qui se prend pour Dieu ?

Et finalement, où nous mène le progrès ? Jusqu’à la modernité, on trouvait des sociétés baignant dans un monde enchanté, qu’il s’agisse du cosmos de l’Antiquité ou de l’univers théophanique médiévale ou encore des cosmogonies des sociétés traditionnelles. Là, la vie allait de soi, la place de l’humain dans le Tout émanait naturellement d’une présence souveraine : Dieu. Quand, avec l’avènement de la science, cet ordre là s’est effondré, ce fut pour faire place à un univers vidé de sa substance, avec un humain affranchi de tout, y compris de son lien avec la Nature, condamné à un matérialisme excluant tout sentiment de sympathie entre l’âme et les choses. Notre regard de mesure et de calcul a vidé le réel de toute substance unifiée en l’analysant, c’est-à-dire en l’éclatant en une myriade de problèmes mis en mots dans les termes de notre raison. Alors que, dans l’enchantement qui précédait ce funeste mouvement, l’univers était un signe de Dieu, la science lui a fait perdre toute signification, ouvrant ainsi un boulevard au progrès.

La spiritualité comme ultime rempart au totalitarisme

À l’inverse, si la spiritualité est une réflexion qui porte sur les liens qui unissent le particulier et le tout, si elle est l’idée qu’il existe un ordre transcendant le monde de phénomènes, alors elle autorise l’humain à se situer dans l’ordre de ce qui est. Elle lui alloue une place dans la totalité, y compris dans ce qu’elle comporte d’incompréhensible. Ainsi, alors que la spiritualité apporte une certitude ontologique à l’individu, satisfaisant par là une aspiration profonde de l’âme, la science, et son avatar le progrès, ont fabriqué une sorte d’inculture ontologique qui se développe à proportion du savoir rationnel.

C’est ici que le message porté par les religions s’avère être d’une tout autre portée que le matérialisme. Dans la chrétienté, le message de Dieu est amour : il faut aimer ce qui est, pour ce qu’il est. À l’inverse, aimer la Nature pour son utilité, comme les médias et l’école le promeuvent, s’avère être une erreur fatale à long terme. Il faut aimer la nature pour ce qu’elle est, parce qu’elle est. Derrière cet amour, il y a le renoncement au jugement de ce qu’est la Nature pour la simple et bonne raison qu’elle nous dépasse, que nous n’en comprenons pas les tenants et les aboutissants. Sans cet amour inconditionnel de la nature, elle est en danger. Si elle disparaît, il ne sera plus possible d’être un humain tel que nous l’entendons anthropologiquement. Si cette conception de la condition de l’homme – enfin ce qu’il en reste – disparaît, c’est la dernière digue qui contenait le déferlement totalitaire qui cède. Plus rien n’empêchera l’intégration totale du vivant dans la machine.

Le vaccin est donc une arme de guerre de la machine contre le vivant. Il est une porte d’entrée située dans le corps pour la technologie d’une société totalement dédiée au matérialisme. Il entérine une absence totale de spiritualité. L’avènement des injections à ARN messager pour remplacer le principe initial du vaccin ne fait que signer une extension de cette logique : le système pénètre encore plus profondément le vivant en y logeant un processus artificiel.

Dans ce cadre, sans vouloir tirer sur l’ambulance, ne convient-il pas de rappeler l’appel à se faire vacciner du pape François ? Celui-là même qui a présenté le vaccin comme un acte d’amour :
« Vacciner, avec des vaccins autorisés par les autorités compétentes, est un acte d’amour », souligne François, « Et contribuer à ce que la plupart des gens soient vaccinés est un acte d’amour ». L’amour est également social et politique explique le Pape, « Il est universel, toujours débordant de petits gestes de charité personnelle capables de transformer et d’améliorer les sociétés ».

Une telle déclaration ne fait que signer la faillite du Vatican : faillite spirituelle, morale, intellectuelle. Se vacciner est bien plutôt un acte de haine vis-à-vis de la nature en général et du vivant en particulier. Se vacciner est expression d’une peur irrépressible de ce qu’elle est, peur du réel. C’est la haine du caractère imprévisible du vivant, du fait qu’il soit ingérable. C’est aussi la haine de la mort, et derrière elle, ne nous y trompons pas, se tient la fin de l’aventure humaine. La dernière institution spirituelle d’occident abandonne donc sa raison d’être pour se vautrer dans le matérialisme et la luxure. Rejouant le mythe d’Icare, l’humanité s’apprête à chuter dans le grand vide, dans ce qui ressemble à une civilisation totalitaire globale.

Le rêve de Alexander Douguine est-il mort-né ?

Victor Wolfvoet le jeune – Le massacre des innocents – 1638

En réalité, le progrès a déjà tué toute spiritualité, et ce partout dans le monde. Alexander Douguine voit en la Russie le défenseur de la spiritualité, mais j’ai bien peur qu’il ne pêche par optimisme. Le matérialisme ronge déjà la Russie qui est un pays capitaliste on ne peut plus moderne qui a fait gérer la crise sanitaire chez elle par le groupe Mc Kinsey (renommé Yakov & Partners), développe des biotechnologies, l’IA, l’identité et le rouble numériques, se lance dans un plan de réduction de gaz à effet de serre, etc. Même la Russie semble bien loin d’être un havre spirituel tant elle colle au funeste agenda matérialiste qui assaille l’occident. Peut-être avons-nous vu le pouvoir russe plus beau qu’il ne l’est vraiment. Comment Douguine peut-il ne pas considérer cela ? Faut-il lui rappeler que même l’acronyme BRICS est une création de Goldman Sachs ? Dans ce cadre, comment lire la guerre en Ukraine ? Jusqu’où les élites s’entendent-elles contre les peuples ? La guerre mondiale qui arrive ne sera-t-elle pas, à l’image des deux précédentes, qu’un moyen pour moderniser ce qui restera des peuples ?

Il est à craindre que l’époque moderne, qui est née de l’effondrement de l’ordre féodal sous les coups du progrès, n’ait été qu’une transition de l’ère de l’autonomie de l’humanité, c’est-à-dire de la tradition, vers l’ère totalitaire. Dans leurs premiers spasmes monstrueux, les forces du progrès ont fait naître le nazisme et le stalinisme. Nous avons alors cru que le totalitarisme était un nouveau régime politique. Il se pourrait cependant que nous aillons sous-estimé la gravité de l’indice. Ce qui se profile avec la fin de la spiritualité est bien plus profond : ce n’est pas un système totalitaire qui serait un régime politique qui se cristallise, mais une ère. Une époque parce que la guerre mondiale qui s’annonce, apparemment inévitable, n’a peut-être bien comme but, non pas de maintenir la Russie et les valeurs spirituelles qu’elle défend en apparence, mais l’instauration d’une bureaucratie mondiale. Une telle abomination serait en position de gestion intégrale du vivant et de la Nature. Elle prendrait littéralement la place de Dieu en écrasant son œuvre. C’est en cela que ce ne serait pas une civilisation totalitaire (satanique, dirait Douguine) qui se dessinerait sous nos yeux, mais bien plutôt une ère. L’avenir est sombre mais l’histoire n’est pas écrite à l’avance.

Notes :
1. 5ème conférence 7 octobre 1917 et 13ème Conférence 27 Octobre 1917. Disponible ici avec l’interprétation de Nicolas Bonnal ici.
2. Baruch Spinoza, « Traité théologico-politique », GF Flammarion, Paris,1965, p.263.
3. André Lalande, « Vocabulaire technique et critique de la philosophie »
4. Giorgio Agamben, « Homo sacer », Paris, éditions du Seuil, 1997, p.9.

 

yogaesoteric
8 décembre 2023

 

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