L’astroturfing et la manipulation des messages médiatiques

 

Sharyll Attkisson est une ancienne correspondante de presse pour la chaine CBS News, basée à Washington, qui, en vingt ans de carrière, a vu son grand professionnalisme maintes fois récompensé par de nombreux prix. Elle s’est consacrée à la rédaction d’un livre dénonçant « l’influence invisible des corporations et des intérêts particuliers sur l’information et les images diffusées quotidiennement au public dans les journaux télévisés ou ailleurs ». Son discours sur l’astroturfing1 à l’Université du Nevada dans le cadre du TEDex tombe à pic en ces temps troubles où l’on a tendance à ne plus savoir distinguer les soi-disant complots des faux démystificateurs. À lire/regarder absolument notamment pour ceux qui prennent souvent ce que raconte Wikipédia pour parole d’évangile.

Une journaliste CBS démissionne et crache le morceau sur les médias

Sharyl Attkisson, journaliste à CBS, explique son départ de la chaîne et donne son point de vue sur la façon dont les médias de masse traitent l’information. Cela dure depuis quelques années. Ça se passe dans le milieu de la désinformation, propagande… Au nom de la censure, la presse est muselée pour induire en erreur les gens, pour les mener en bateau et cacher la vérité, ce petit jeu dure depuis quelques années. Les langues se délient et les consciences s’éveillent.

« Le temps où il suffisait de dire “ je l’ai lu dans le journal, je l’ai entendu à la radio, vu à la télévision ” pour faire taire tous les incrédules est désormais dépassé. Ce qu’on écrit dans le journal, ce que l’on dit à la radio, ce qu’on montre à la télévision n’a plus la crédibilité d’antan.

Une nouvelle profession s’y est taillée une place pour en faire le lieu privilégié de la désinformation aux allures de ce qu’il y a de plus vrai et de plus convaincant. Un métier qui se vend aux plus offrants. Des vendeurs d’images et d’opinions qui savent se vendre ainsi que ce qu’ils produisent. Ils ont tous et toutes l’allure de personnes qui ne sauraient mentir ou tromper leur public.

Déjà, on connait les fonctions des attachés de presse des ministres et des représentants des grandes institutions nationales et internationales. Ils ont pour tâches de mettre en évidence tous les beaux et bons côtés de leurs patrons tout en faisant apparaître subtilement tous les mauvais côtés de leurs adversaires.

Dans le cas de la presse écrite et des bulletins d’information nationale et internationale, la situation est différente. Le public s’attend à ce que ces grands réseaux d’information leur fournissent des faits, des analyses qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans telle ou telle région du monde.

C’est là la seule façon pour plus de 80 % de la population de se faire un jugement sur ces faits et d’exprimer leurs attentes par rapport aux engagements de leurs gouvernements respectifs. Des dizaines de milliards de dollars sont engagés chaque année en armements et en interventions militaires dans divers pays du monde. Les dirigeants politiques et les médias de communication qui leur sont soumis en arrivent à convaincre par divers montages les citoyens et citoyennes de la justesse de ces dépenses et de ces interventions.

Plus les évènements avancent dans le temps, plus on découvre les mensonges mis à la disposition d’une manipulation machiavélique de l’opinion publique. Des spécialistes de la désinformation se consacrent comme de véritables artistes à créer l’illusion et la ressemblance avec la vérité pour mieux assurer les interventions militaires et autres à des fins qui n’ont rien à voir avec les intérêts des peuples visés. »

L’exemple du Cholestor

Prenons cet exemple fictif inspiré de faits réels. Imaginons que vous regardiez le journal télévisé où il est question d’une nouvelle étude portant sur un médicament hypocholestérolémiant appelé Cholestor. On y raconte qu’il est si efficace que les médecins devraient envisager de le prescrire aux adultes voire même aux enfants qui n’ont pourtant pas encore un taux de cholestérol élevé. Est-ce trop beau pour être vrai ?

Vous êtes intelligent, vous décidez de mener votre propre recherche. Vous vous vous rendez sur Google, parcourez les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, vous consultez Wikipédia et les sites indépendants et bénévoles, puis vous lisez l’étude originale dans une revue médicale spécialisée. Tout s’accorde à confirmer l’efficacité du Cholestor.

Vous tombez bien sur quelques commentaires négatifs évoquant un lien possible avec le cancer mais vous n’en tenez pas compte parce que les spécialistes réfutent cette corrélation comme fallacieuse, traitant ceux qui y accordent foi de charlatans, d’hurluberlus et de cinglés. Enfin, vous apprenez que votre médecin traitant s’est récemment rendu à un séminaire médical au cours duquel il a assisté à une conférence confirmant l’efficacité du Cholestor. Et vous repartez avec des échantillons gratuits et une ordonnance. Vous avez vraiment étudié la question mais – et si tout n’était pas tel qu’il y parait ?

Et si la réalité que vous aviez découverte était fausse ? Un récit soigneusement élaboré par des intérêts particuliers invisibles dans le but de manipuler votre opinion. Une réalité parallèle à la Truman Show tout autour de vous. Grâce à la complaisance des médias d’information conjuguée à une propagande extrêmement puissante et aux forces publicitaires, la vérité est parfois dispensée à doses homéopathiques. Les intérêts particuliers disposent de tout le temps et l’argent nécessaires pour concevoir de nouveaux stratagèmes pour faire tourner les choses à leur avantage tout en couvrant leurs traces. Ces techniques furtives d’astroturfing sont désormais bien plus importantes pour ces intérêts en question pour le lobbying traditionnel auprès du Congrès : à Washington, il y a toute une industrie bâtie autour de ce principe.

Définition de l’astroturfing

Qu’est-ce que l’astroturfing ? Il s’agit d’une perversion, d’un faux mouvement de masse spontané voulant passer pour un vrai. On parle d’astroturfing lorsque des intérêts politiques, corporatifs ou particuliers se travestissent, publient des blogs, créent des comptes sur Facebook et sur Twitter, publient des annonces, des lettres au courrier des lecteurs ou se contentent simplement de poster des commentaires en ligne pour tenter de faire croire qu’il s’agit là de l’expression d’un mouvement populaire spontané. L’astroturfing vise à donner l’impression que le public est largement en faveur ou contre un programme alors qu’il n’en est rien.

L’astroturfing cherche à manipuler votre opinion en vous donnant la sensation d’être un fieffé menteur quand ce n’est pas le cas. On pourrait citer l’exemple de l’équipe de football de Washington, les Redskins (les Peaux-Rouges). Sans prendre position dans cette controverse, il suffisait de jeter un oeil à la couverture médiatique au cours de l’année passée ou de parcourir les réseaux sociaux pour en arriver à la conclusion probable que la plupart des Américains trouvaient ce nom offensant et estimaient que l’équipe devrait en changer. Et si on vous disait que 71% des Américains pensent le contraire ? C’est plus des deux tiers.

Les adeptes de l’astroturfing cherchent à susciter la polémique lorsque l’on est en désaccord avec eux. Ils s’en prennent aux organes de presse qui publient des articles qu’ils n’aiment pas, aux dénonciateurs de vérité, aux politiciens qui osent poser les questions qui s’imposent et aux journalistes ayant l’audace de faire état de tout cela.

Parfois, l’astroturfing se contentera juste d’y insérer à grand force tant d’informations confuses et contradictoires que vous finirez par baisser les bras en vous désintéressant de tout y compris de ce qui est vrai. On étouffe ainsi tout lien entre un médicament et un effet secondaire nocif, comme par exemple les vaccins et l’autisme, en amalgamant des tas d’études, d’enquêtes ou de spécialistes tous commandités et en conflit les uns avec les autres de manière à créer une telle confusion qu’il devient impossible de distinguer le vrai du faux.

Wikipédia : l’instrument favori des astroturfers

Et puis il y a Wikipédia, le rêve de tout astroturfeur. Conçu en tant qu’encyclopédie accessible à tous, sa réalité est vraiment tout autre. Ses rédacteurs anonymes contrôlent et contribuent à l’élaboration de pages pour le compte d’intérêts particuliers. Ils interdisent et suppriment les modifications allant à l’encontre de leur agenda. En violation flagrante des politiques mêmes du site, ils déforment et effacent les informations en toute impunité, ayant toujours l’ascendant sur les pauvres crétins croyant vraiment que n’importe qui peut ajouter du contenu sur Wikipédia jusqu’à ce qu’ils découvrent qu’ils n’ont même pas le droit de corriger la moindre petite inexactitude. Essayez donc d’ajouter une note de bas de page, un fait ou de remplacer une mention sur une de ces interminables parodies de « pages ». Parfois, votre modification se verra retirée dans la seconde même !

En 2012, le célèbre écrivain Philip Roth tenta de rectifier un fait important concernant la source d’inspiration d’un de ses personnages de roman telle qu’elle venait d’être citée sur une page de Wikipédia, mais en dépit de tous ses efforts, on ne lui permit pas d’effectuer ses modifications qui se voyaient sans cesse retirées pour rétablir les faits erronés. Lorsqu’il finit par entrer en contact avec un responsable – ce qui n’est pas chose facile – et qu’il voulut savoir ce qui clochait, on lui répondit qu’il n’était tout bonnement pas considéré comme une source crédible à propos de lui-même !

Quelques semaines plus tard, il y eut cet énorme scandale après que des représentants de Wikipédia se soient faits prendre à jouer les attachés de presse en discutant et modifiant des informations pour le compte de clients les ayant payés pour leur faire de la publicité – une infraction de plus au soi-disant code de déontologie de Wikipédia. Ce qui explique probablement pourquoi lorsqu’une étude médicale se pencha sur des états pathologiques tels que décrits sur les pages de l’encyclopédie en ligne et les compara aux recherches publiées et évaluées par des pairs, les déclarations du site allaient à l’encontre de ces découvertes dans 90% des cas. De quoi ne plus jamais avoir confiance en ce que vous lisez sur Wikipédia. D’ailleurs vous ne devriez pas.

Les intérêts derrière le Cholestor

Mais revenons à notre exemple fictif du Cholestor et à toutes les recherches que vous avez effectuées. Il s’avère que les comptes Facebook et Twitter tellement positifs que vous avez découverts sont en fait l’œuvre de professionnels payés et engagés par la société pharmaceutique pour promouvoir ce médicament. La page Wikipédia a été supervisée par un rédacteur, lui aussi à la solde de cette société qui a également pris des mesures pour d’optimiser les résultats affichés par les moteurs de recherche de Google. Ce n’est donc pas par accident si vous êtes tombé sur cette communauté et tous ces commentaires positifs. L’organisation à but non lucratif a bien entendu été secrètement fondée et financée par ce même groupe pharmaceutique, tout comme ce fut le cas pour cette étude favorable pour laquelle elle a fait usage de son pouvoir pour exercer un contrôle rédactionnel afin d’omettre toute mention de cancer ou d’effet secondaire éventuel.

Là encore, chaque médecin ayant vanté publiquement le Cholestor ou qualifié ses effets cancérigènes de mythe, se moquant des critiques en les traitant de cinglés et d’hurluberlus paranoïaques, ou en encore officié au sein d’un comité consultatif gouvernemental ayant approuvé ce médicaments – tous sont en fait des consultants rémunérés à la solde de cette société.

Et lorsque les journaux télévisés ont parlé de cette étude positive, ils n’ont rien mentionné de tout ceci. On aurait des tas d’exemples réels à citer.

L’exemple de la Fondation nationale du sommeil

Il y a quelques années, CBS News lui a demandé à Sharyll Attkisson d’enquêter au sujet d’une étude publiée par cet organisme à but non lucratif qu’est la Fondation nationale du sommeil. Ce communiqué de presse affirmait soi-disant que l’étude en avait conclu que notre nation souffrait « sans le savoir d’une épidémie d’insomnie » et que tous les gens devraient « poser la question à leur médecin ». Deux ou trois détails ont interpellée.

Tout d’abord, on a reconnu le slogan « demandez à votre médecin traitant » très en vogue dans l’industrie pharmaceutique. Ils savent que s’ils parviennent à vous faire franchir le seuil du cabinet de votre médecin à propos d’une maladie, il y a de fortes chances qu’on vous prescrive le dernier médicament mis sur le marché.

Ensuite, on s’est posé des questions quant à la sévérité d’une telle épidémie d’insomnie si on n’en avait même pas conscience. C’est vrai, quoi ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour mener mes investigations et découvrir que la Fondation nationale du sommeil et l’étude – qui s’avéra être en fait une enquête et non une étude – étaient en partie commanditées par un nouveau médicament sur le point d’être commercialisé du nom de Lunestar : un somnifère.

Sharyll Attkisson a donc présenté l’étude comme CBS News lui avait demandé en mentionnant, bien entendu, le sponsor derrière la fondation et l’enquête afin que les téléspectateurs puissent apprécier le renseignement à sa juste valeur. Tous les autres médias d’information ont parlé de cette même enquête en reprenant mot pour mot ce qui était écrit dans le communiqué de presse sans creuser un peu. Cet exemple a ensuite été repris par la Columbia Journalism Review qui a fort justement signalé qu’eux seuls, à CBS News, avaient pris la peine d’effectuer quelques recherches pour révéler le conflit d’intérêts présidant à ce rapport.

Comment identifier les signes de propagande et d’astroturfing

Maintenant vous devez vous demander : « Que puis-je faire ? Je pensais avoir fait fait ce qu’il fallait. Comment puis-je espérer parvenir à séparer le bon grain de l’ivraie quand même des journalistes “ aguerris ” peuvent se laisser aussi facilement berner ? » Eh bien, il y a toujours quelques stratégies dont on peut vous faire part pour vous aider à identifier les signes de propagande et d’astroturfing. Quand on commence à savoir quoi chercher, on le reconnait partout.

Tout d’abord, l’une des caractéristiques de l’astroturfing est le recours aux termes incendiaires tels que « hurluberlu, charlatan, cinglé, menteur, parano, pseudo » et « complot ».

Les astroturfeurs prétendent souvent faire tomber des mythes qui n’en sont pas du tout. L’emploi d’un vocabulaire accusateur fait bon effet. Les gens vont entendre dire que certaines choses sont des idées reçues, peut-être le découvrir sur Snopes et du coup se croire bien trop malins pour tomber dans le panneau. Et si toute cette notion de mythe en était justement un et que Snopes s’y était laissé prendre ?

Méfiez-vous lorsque des intérêts s’attaquent à une question en créant une polémique ou en s’en prenant aux gens, aux personnalités et aux organismes au lieu d’aborder les faits : il pourrait s’agir d’astroturfing.

Et surtout, les astroturfeurs ont tendance à réserver tout leur scepticisme à l’égard du public à ceux qui divulguent les actes répréhensibles plutôt qu’aux contrevenants eux-mêmes. En d’autres termes, au lieu de mettre en cause l’autorité, ils doutent de ceux qui la contestent.

Vous devriez commencer à y voir un peu plus clair. Un peu comme si vous ôtiez vos lunettes pour les essuyer avant de les remettre sur votre nez en réalisant, pour la première fois, jusqu’où ils sont allés depuis le début. On ne peut pas résoudre ces problèmes mais on espère que les renseignements qu’on vous a donnés vous inciteront au moins à retirer vos lunettes et à les essuyer pour devenir des consommateurs d’information plus avisés dans cette réalité soudoyée de plus en plus artificielle.

yogaesoteric

21 octobre 2018

 

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