Le masque du confinement : occultation du visage et enfermement de la personne

 
Ce 11 mai 2020 restera probablement, dans les annales de notre « civilisation », une date historique : elle marque, pour la plupart des pays de l’Europe aussi bien que de l’Amérique ou de l’Asie (l’Afrique demeure, sur ce point, incertaine, sinon problématique), le progressif début de ce déconfinement où ces mêmes Etats, il y a quatre mois maintenant, avaient pourtant décidé, de façon autoritaire et fût-ce pour notre « bien » – la fameuse « sécurité collective » au détriment de la liberté individuelle – de nous enfermer afin, arguaient-ils de manière souvent confuse ou contradictoire, moyennant une aberrante et parfois incompréhensible série d’injonctions paradoxales, d’endiguer l’effroyable pandémie du Covid-19, virus particulièrement meurtrier, on le sait, et dont personne bien évidemment ne nie, en ces lignes, l’extrême dangerosité sur le plan sanitaire.

Le masque : negation de l’être dans sa relation a autrui

Ainsi, l’une des conditions principales de ce nouveau déconfinement consiste-t-elle, parmi les différents « gestes barrières » aptes à éviter toute contamination (dont la « distanciation sociale » et le lavage des mains), à porter, sur le visage, un masque. Personne, certes, ne niera, ici non plus, cette nécessité, aussi inconfortable ou incommode soit-elle, sans même parler de son inélégance, n’en déplaise à ces stylistes, pour la plupart improvisés, en mal de créativité au sein de quelques-unes de nos maisons de couture les plus réputées.

Soit ! Sont-ils pourtant conscients, ces nouveaux dictateurs de la pensée unique, sinon du conformisme ambiant, à quel point cette mesure, pour impérieuse qu’elle soit, s’avère en totale opposition avec l’un des piliers, au sein de nos prétendues démocraties, du lien social : l’expression du visage ?

Metaphysique du visage selon Emmanuel Levinas

Le visage, précisément : n’est-ce pas là, telle l’extériorité de l’être en sa dimension la plus ontologique, ce qu’un philosophe aussi important qu’Emmanuel Levinas, au XXe siècle, pensait absolu, aussi impératif qu’inaliénable, dans l’édification de la conscience de soi et donc, par conséquent, dans celle de la relation à l’Autre, socle sociologique de ce qu’il nommait encore, conformément à l’intitulé d’un autre de ses plus beaux livres, « L’humanisme de l’autre homme » ? C’est là, précisément, ce que, parlant expressément de la « lumière » du visage – ce visage humain aujourd’hui obscurci par l’obligatoire voile du masque sanitaire – il écrit, textuellement, dans un ouvrage aussi fondamental, sur le plan métaphysique, que « Totalité et Infini », magistralement sous-titré, justement, « Essai sur l’Extériorité » : « Le visage n’est-il pas donné à la vision ? (…) La vision, comme l’a dit Platon, suppose en dehors de l’œil et de la chose, la lumière. L’œil ne voit pas la lumière, mais l’objet dans la lumière. (…) La lumière fait apparaître la chose – le visage – en chassant les ténèbres, elle vide l’espace. ».

Levinas, quelques pages plus loin, précise : « Mais la lumière n’est-elle pas dans un autre sens origine de soi ? En tant que source de lumière où coïncident son être et son paraître, en tant que feu et soleil ? Il y a là certes la figure de toute relation avec l’absolu. (…) Si le transcendant tranche sur la sensibilité, s’il est ouverture par excellence, si sa vision est la vision de l’ouverture elle-même de l’être (…) elle est visage, sa révélation est parole. »

Il en conclut, dans la foulée : « La relation avec autrui introduit seule une dimension de la transcendance et nous conduit vers un rapport totalement différent de l’expérience au sens sensible du terme, relative et égoïste. »

On l’aura donc compris : c’est cette lumière du visage, tant dans la conscience de soi que dans sa relation à autrui, que cet horrible masque vient ainsi, quelle que soit sa vitale utilité sur le plan sanitaire, effacer de manière aussi intrusive que dictatoriale, tout en enfermant alors l’individu dans son propre égocentrisme, voire propre et seul solipsisme !

Une flagrante contradiction : de l’interdiction du voile islamique a l’imposition du masque sanitaire

Pis : ce sont ceux-là mêmes qui interdisaient très justement hier, au nom de ladite « sécurité collective », le port du voile islamique et autres burkas dans les espaces publics, qui imposent aujourd’hui, toujours au nom de cette même « sécurité collective », le port du masque sanitaire, voire chirurgical ! Ont-ils donc mesuré là aussi, ces apprentis législateurs, cette flagrante contradiction ? Les djihadistes patentés doivent là, au vu de cette ridicule et même ubuesque inconséquence, se frotter les mains, jubiler et même exulter. Quelle aubaine, inespérée, pour l’islamisme radical : même les bars, restaurants, théâtres et cinémas, ces « lieux de perdition » et autres « antres du péché » aux dires de ses intégristes, sont fermés jusqu’à nouvel ordre, sans même que les plus fanatiques d’entre eux aient eu à le demander, dans notre « satanique » société !

Le terrorisme d’Etat – nos propres Etats, pourtant censés être modernes et démocratiques – a fait tout, paradoxalement, tout seul, pour le plus grand quoique malsain bonheur, malheureusement, de ces fous d’Allah ! A croire que ce sont eux, précisément, qui auront finalement manigancé, forts de leur folie destructrice et moyennant là un nouveau type de guerre bactériologique, ce désastre humanitaire, aux fétides relents de fin du monde, sinon d’apocalypse, de surcroît !

Davantage : à l’autre bout de l’échiquier religieux – le christianisme –, un pope orthodoxe venu de Roumanie a confié que même sous la férule de Ceauşescu, aux pires heures de son impitoyable dictature, les églises et autres sites de pèlerinage n’avaient jamais été fermés, comme c’est au contraire le cas, à l’occasion de cette crise sanitaire du Coronavirus, au sein de notre Occident !

Le confinement : du grand renfermement au monde correctionnaire

Ainsi, en ces déplorables conditions et pour aller plus loin encore dans l’analyse, ce masque, pour nécessaire qu’il s’avère peut-être aujourd’hui sur le plan médical, représenterait-il hélas aussi, tel son plus insidieux revers de médaille, la façade à la fois personnelle et anonyme, mais surtout à la manière d’une véritable prison ambulante, de ce que Michel Foucault, penseur par excellence du structuralisme, appelait, dans sa monumentale « Histoire de la folie à l’Âge classique », le « grand renfermement » : celui-là même où, pour mieux occulter, effacer ou masquer (c’est le cas de le dire à l’heure actuelle !) la différence des individus marginaux par rapport à la naissance de la société marchande (« capitaliste », dirions-nous à présent), naquit, avec le concours très intéressé d’une hypothétique « science médicale » à l’époque, l’asile psychiatrique, lui-même fallacieux mais bienvenu alibi, sous couvert de santé mentale, de ce que Foucault, dans ce même ouvrage, qualifiait encore, pour mieux en dénoncer les terribles dérives, le « monde correctionnaire » !

D’où, tout aussi impérieuse quant à la nécessaire sauvegarde de nos libertés individuelles, sans lesquelles il n’est point de démocratie qui vaille ni ne tienne, cette interrogation : ce confinement dans lequel nous ont isolé, comme dans un univers concentrationnaire, nos dirigeants politiques, dont la manifeste incompétence n’a en outre d’égale que sa coupable imprévision, ne serait-il finalement que le stade moderne et avancé, au prétexte là aussi de « sécurité collective », de ce « grand renfermement », hypocrite antichambre de cet infâme « monde correctionnaire » en cas de résistance à son arbitraire autoritarisme, que stigmatisa autrefois, à juste titre, Michel Foucault ? 

Surveiller et punir, selon Michel Foucault : naissance du monde carceral au temps du totalitarisme ideologique

Légitime conclusion à l’aune de ce terrifiant processus d’« aliénation », au sens fort et même étymologique du terme ? Ce « grand renfermement » individuel que représente le port obligatoire du masque, du moins dans les lieux publics, s’avérerait-il donc aussi, quelles que fussent ses justifications sur le plan sanitaire, le périlleux prélude à nouveau type de tyrannie politico-idéologique : un fascisme qui s’ignore ?

C’est là, en tout cas, ce que le même Michel Foucault en aurait très certainement inféré à lire, encore une fois, ce qu’il dénonçait en cet autre ouvrage salutaire qu’est son non moins célèbre « Surveiller et Punir », réflexion se présentant comme la suite logique, au cours du temps, de son « Histoire de la folie à l’Âge classique » : comment l’on passe subrepticement, au sein de notre société prétendument libérale, du « grand renfermement » au « monde correctionnaire », c’est-à-dire « carcéral ». En d’autres termes et en un mot : une prison qui, ici aussi, ne dit pas son nom puisqu’elle n’est faite ni de murs ni de barreaux, conformément à l’image désormais obsolète que l’on peut en avoir traditionnellement, mais bien, de manière ô combien plus pernicieuse et surtout efficace, de surveillance collective, sinon de délation mutuelle, et de punition individuelle ?

La culpabilisation des masses populaires, plus encore que leur infantilisation, est à son comble : même les régimes dictatoriaux les plus coercitifs par le passé – du stalinisme au nazisme (hormis, bien sûr, la l’abominable et criminelle Shoah) – n’y avait pensé tant la machine à broyer les individus, en ce totalitarisme au sombre temps du Coronavirus, se révèle désormais bien huilée, au faîte d’une servitude étrangement volontaire (voir, à ce propos, le « Discours » de La Boétie) de la part du peuple, à de trop rares exceptions près, en son ensemble !

De la peur : la leçon de Machiavel

On termine cette tribune par ces mots, emplis de sagesse, de Machiavel dans « Le Prince » : « Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leur âme. ». Triste mais essentielle vérité humaine !

yogaesoteric

10 juillet 2020

 

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