Le Mossad, James Angleton et l’assassinat de JFK (I)
par Laurent Guyénot
Récemment, deux chercheurs réputés sur l’assassinat de John Kennedy ont laissé un commentaire sur mon livre, The Unspoken Kennedy Truth. Ces auteurs sont d’éminents représentants des deux thèses qui dominent la recherche sérieuse, à savoir la thèse incriminant des éléments de la CIA et du Pentagone, et la thèse ciblant Lyndon Johnson. Le fait qu’ils se rangent désormais tous deux, même avec des réserves, à la troisième thèse, celle accusant Israël et David Ben Gourion, est très encourageant.
Phillip Nelson est l’auteur de LBJ, The Mastermind of JFK’s Assassination (2010), un pavé réunissant les preuves incriminant Lyndon Johnson.
Il écrit dans son commentaire :
« Dans son nouveau livre The Unspoken Kennedy Truth, l’auteur français Laurent Guyénot réunit de nombreuses autres sources dans l’élaboration de son argument impliquant les plus hauts niveaux du leadership israélien (vers 1960-63) — David Ben Gourion inclus — comme principaux suspects dans l’assassinat de JFK. Pour quelqu’un dont l’anglais est une langue étrangère, son récit apparaît avec plus de clarté et de cohérence que ceux de bien des auteurs américains ayant écrit des livres sur ce sujet. Il a exploré de nombreux travaux moins connus et a découvert des pièces du puzzle inconnues auparavant. […] Le petit livre de Guyénot couvre un vaste territoire, dont une partie n’avait jamais été explorée de manière aussi approfondie auparavant. […] Il présente une argumentation très convaincante et concluante pour sa thèse et je reconnais les vérités qu’il a révélées. […]
La question de savoir qui, de LBJ et David Ben Gourion, a été le principal moteur, et quelle était la hiérarchie des autres principaux sponsors, ainsi que les nombreuses autres entités impliquées pour faciliter l’exécution du plan, ne trouveront probablement jamais une réponse complète. Mais force est de reconnaître que Laurent Guyénot a, dans un court ouvrage de 140 pages, remis beaucoup de contexte probant dans le tableau que dressent les chercheurs indépendants de l’histoire réelle de l’assassinat de JFK.
L’importance du livre dépasse la portée de l’assassinat lui-même, et s’étend à ses conséquences aujourd’hui — et pour longtemps — sur la direction de l’alliance entre les États-Unis et Israël […]. Il s’agit aussi de comprendre comment il se fait qu’Israël reste, six décennies plus tard, en dehors du système international de contrôle et de surveillance de l’énergie nucléaire. »
Le second auteur est Peter Janney, auteur d’un livre explorant l’implication de la CIA, intitulé Mary’s Mosaic : The CIA Conspiracy to Murder John F. Kennedy, Mary Pinchot Meyer, and Their Vision for World Peace (2012). L’auteur prend comme fil directeur l’histoire de Mary Pinchot, une amie très proche de John Kennedy (ils se connaissaient depuis l’adolescence), qui eut une influence probable sur sa politique d’apaisement avec Khrouchtchev, et qui enquêta par la suite sur son assassinat. Elle fut retrouvée morte près de chez elle, le 12 octobre 1964. Mary Pinchot était divorcée de Cord Meyer, qui était un haut gradé de la CIA, et à ce titre un collègue du père de l’auteur, Wistar Janney, de sorte que l’auteur, Peter Janney, avait connu Mary avant son divorce.
Il a écrit :
« Après son livre JFK-9/11 : 50 Years of Deep State, paru en 2017, Laurent Guyénot nous offre une nouvelle pépite avec The Unspoken Kennedy Truth. En tant qu’auteur de Mary’s Mosaic, ayant passé de très nombreuses années à étudier l’assassinat de JFK, je peux dire que Laurent Guyénot nous emmène là où peu ont osé s’aventurer – le rôle du Mossad et d’Israël dans les meurtres des deux frères Kennedy, et très probablement dans l’événement du 11 Septembre lui-même. J’ai été convaincu par ces deux livres et je suis arrivé à la conclusion que les chercheurs sur l’assassinat de JFK ont manqué un élément vital dans la compréhension du rôle plus large d’Israël…
Est-ce une coïncidence s’il y a, non pas un, mais deux monuments en Israël en l’honneur du légendaire chef du contre-espionnage de la CIA, James Jesus Angleton ? Sommes-nous des antisémites si nous dressons un acte d’accusation contre Israël, compte tenu de l’argument persuasif de Guyénot étayé par des preuves ? La réponse est non ! La vérité ne fait pas de prisonniers… »
Peter Janney mentionne le fameux James Jesus Angleton, parce qu’il occupe une place particulière dans le meurtre de Mary Pinchot, dans l’assassinat de John Kennedy, et dans la collusion entre la CIA et le Mossad. Le lendemain du meurtre de Mary, Angleton fut surpris par Ben Bradlee dans la maison de Mary, à la recherche de son journal. Bradlee était directeur exécutif du Washington Post et un ami de longue date de JFK, ainsi que de Mary Pinchot. Il trouva le journal de Mary peu après et le remit à Angleton, qui le détruisit.
L’apparition d’Angleton dans l’histoire tragique de Mary Pinchot est significative, parce que toutes les enquêtes sur le rôle de la CIA dans l’assassinat de Kennedy convergent vers Angleton. C’est Angleton, en particulier, qui semble avoir mis en scène les visites et les appels téléphoniques, début novembre 1963, d’un homme se présentant comme Lee Harvey Oswald, à l’ambassade soviétique et au consulat cubain à Mexico. Au téléphone, ce faux « Oswald » (car il ne s’agissait pas d’Oswald) évoquait un arrangement passé avec Vladimir Kostikov, qui était connu du FBI comme l’officier en charge des assassinats sur le territoire américain. Ces visites et ces appels étaient, bien sûr, surveillées par la cellule locale de la CIA, et constitueraient, après le 22 novembre, la preuve d’un complot castriste ou communiste.
Selon la thèse qui vient naturellement à l’esprit, et que défendent un grand nombre d’auteurs comme James Douglass (JFK et l’Indicible), la CIA avait ainsi planifié de faire accuser Cuba et l’Union soviétique de l’assassinat du président — un classique scénario d’attentat sous faux drapeau. En plus de se débarrasser de Kennedy, le motif était, selon cette thèse, de créer un prétexte pour envahir Cuba, chose que Kennedy avait interdite après la débâcle de la baie des Cochons et le limogeage d’Allen Dulles. Cette théorie est devenue si dominante dans la littérature sur l’assassinat de JFK que la plupart des personnes convaincues du complot la considèrent comme prouvée. Pourtant, elle présente un défaut rédhibitoire : il n’y a pas eu d’invasion de Cuba après l’assassinat de Kennedy. Comment expliquer cela ?
Et pourquoi Johnson, Hoover et la Commission Warren ont-ils promptement étouffé les « rumeurs » sur le profil d’Oswald comme agent communiste, et lui ont collé à la place un profil de « tueur solitaire » ? Pour répondre à cette question, James Douglass attribue à Johnson le mérite d’avoir déjoué le complot de la CIA visant à déclencher la Troisième Guerre mondiale :
« Au crédit de Johnson, il a refusé de laisser les Soviétiques endosser la responsabilité du meurtre de Kennedy ; à son discrédit, il a décidé de ne pas confronter la CIA sur ce qu’elle avait fait à Mexico. Ainsi, tandis que l’objectif secondaire du complot d’assassinat a été bloqué, son objectif principal a été atteint. »
Cette théorie souffre d’une contradiction interne, puisqu’elle affirme parallèlement que la raison pour laquelle Kennedy a été assassiné était qu’il refusait de déclencher la Troisième Guerre mondiale : par conséquent, déclencher la guerre était l’objectif principal – et non secondaire – de toute l’opération.
L’explication alternative est que le profil d’Oswald comme assassin communiste a été fabriqué par les conspirateurs, non pas dans le but de déclencher une guerre contre Cuba et l’URSS, mais pour permettre à Johnson d’intimider les administrations texanes et fédérales et les obliger à clore immédiatement l’enquête, invoquant le fait que si une enquête dévoilait la responsabilité de Cuba et de l’URSS, cela obligerait les États-Unis à déclencher une guerre nucléaire mondiale « qui tuerait 40 millions d’Américains en une heure », comme Johnson le répétait à tout le monde, de Dallas à Washington. Avec le même argument, Johnson donna très explicitement à la Commission Warren la mission suivante :
« 1. Le public doit être convaincu qu’Oswald était l’assassin ; qu’il n’avait pas de complices encore en fuite ; et que les preuves sont telles qu’il aurait été reconnu coupable dans un procès ; 2. Les spéculations sur la motivation d’Oswald devraient être stoppées, et nous devrions avoir une base pour réfuter l’idée qu’il s’agissait d’un complot communiste » (selon les termes du mémo produit par Nicholas Katzenbach, que Johnson allait nommer ministre de la Justice à la place de Robert Kennedy).
Il y avait donc un double mensonge : d’un côté la conspiration cubano-soviétique, et de l’autre l’assassin solitaire. Les deux mensonges devaient être maintenus en antagonisme, la conspiration soviétique restant toujours à l’arrière-plan afin de maintenir, sinon la crédibilité de la conclusion de la Commission Warren, du moins sa raison d’être.
Cette thèse a été avancée par John Newman, un officier retraité de l’armée américaine et professeur de sciences politiques, dans un épilogue de 2008 ajouté à son livre Oswald and the CIA. Newman explique que le véritable objectif de la « légende » de l’Oswald communiste n’était pas de déclencher la Troisième Guerre mondiale, mais de créer un « virus de Troisième Guerre mondiale », utilisé par Johnson pour faire obstruction à toute enquête sous un prétexte de sécurité nationale.
« Il est maintenant évident que le prétexte d’un risque de Troisième Guerre mondiale pour un cover-up de sécurité nationale faisait partie de la trame du complot visant à assassiner le président Kennedy. »
Peter Dale Scott a également évoqué cette hypothèse d’un « dialectical cover-up » dans Deep Politics and the Death of JFK (1993).
En résumé, la mise en scène de l’Oswald communiste associé à un assassin du KGB peut être interprétée de deux manières opposées. Pour Douglass et d’autres partisans de la piste de la CIA, c’est la preuve que les conspirateurs ont fabriqué un prétexte pour déclencher la Troisième Guerre mondiale (mais Johnson a ruiné leur plan), alors que pour John Newman et pour moi, le risque de déclencher une guerre mondiale était lui-même le prétexte prévu pour clore l’enquête, une sorte de disjoncteur intégré au système.
Après avoir passé en revue les étapes suivies pour concevoir ce complot et les compétences pour le faire, Newman conclut :
« À mon avis, il n’y a qu’une seule personne dont les mains rentrent dans ces gants : James Jesus Angleton, chef du personnel de contre-espionnage de la CIA.
Personne d’autre dans l’Agence n’avait l’accès, l’autorité et l’esprit diaboliquement ingénieux pour gérer ce complot sophistiqué. Personne d’autre n’avait les moyens nécessaires pour planter le virus de la Troisième Guerre mondiale dans les dossiers d’Oswald et le maintenir en sommeil pendant six semaines jusqu’à l’assassinat du président. Ainsi, ceux qui ont décidé de tuer Kennedy, quels qu’ils soient, avaient suffisamment de contrôle sur l’appareil du renseignement national pour pouvoir faire appel à une personne connaissant parfaitement ses secrets intérieurs et son fonctionnement, au point d’être capable de concevoir un mécanisme de sécurité intégré dans la structure du complot. La seule personne qui pouvait élaborer une telle dissimulation (cover-up) sous prétexte de sécurité nationale, […] c’était le chef du contre-espionnage. »
Le département du contre-espionnage (Counterintelligence Staff) que dirigeait Angleton à la CIA depuis 1954, était une sorte de « CIA à l’intérieur de la CIA », préservée de tout contrôle extérieur, mais soutenue par un budget presque illimité.
Même Richard Helms, le supérieur d’Angleton qui deviendra directeur de la CIA sous Johnson, laissait Angleton faire ce qu’il voulait, sans poser de questions. La composante la plus secrète de l’empire d’Angleton était le Special Investigation Group (SIG), chargé d’explorer la possibilité que la CIA elle-même soit infiltrée par le KGB.
Selon Tom Mangold, biographe d’Angleton, « le SIG était si secret que de nombreux membres du contre-espionnage ne savaient même pas qu’il existait, et presque personne n’y avait accès. […] Des unités secrètes au sein d’unités secrètes, c’était une caractéristique d’Angleton, du SIG et du contre-espionnage. »
La « chasse aux taupes » d’Angleton prit un tournant désastreux lorsqu’un transfuge du KGB mégalomane, Anatoly Golitsyn, pour satisfaire la paranoïa d’Angleton, le persuada que le KGB avait infiltré la CIA par le biais d’une source de haut niveau répondant au nom de code de « Sacha », et que tous les autres transfuges après lui seraient des agents doubles. La traque de « Sacha » durera sept ans et ne produira aucun résultat autre que de profonds dommages à l’Agence. Au moins 22 véritables transfuges furent refoulés, pour parfois finir entre les mains du KGB ; 40 officiers supérieurs de l’Agence furent mis sur la liste des suspects et beaucoup virent leur carrière ruinée. Tous ont été exonérés et indemnisés plus tard. Aucun véritable espion du KGB n’a jamais été attrapé par Angleton. L’ironie de tout cela est qu’un agent de contre-espionnage chargé de trouver « Sacha », Clare Edward Petty, a fini par croire que c’était Angleton lui-même.
Ce fiasco ne constitue que la moitié de l’histoire d’Angleton. L’autre moitié est moins connue. Tom Mangold, biographe d’Angleton, n’y fait référence que dans une note, comme pour se prémunir de l’accusation d’autocensure :
« Je voudrais cependant souligner que les amis professionnels d’Angleton à l’étranger, à l’époque et par la suite, venaient du Mossad (le service de renseignement israélien) et qu’il était tenu en immense estime par ses collègues israéliens et par l’État d’Israël, qui lui décernera de profonds honneurs après sa mort. »
Pour être juste, Mangold écrit également :
« Les liens d’Angleton avec les Israéliens lui ont conféré un prestige considérable au sein de la CIA et ont ensuite significativement accru son empire de contre-espionnage en expansion », tout en attisant « la fureur des “bureaux arabes” séparés de la division ».
Mais c’est tout ce que nous apprendrons de Mangold sur la face Mossad d’Angleton. Pour en savoir plus, il faut se tourner vers l’enquête approfondie de Jefferson Morley publiée en 2017, The Ghost : The Secret Life of CIA Spymaster James Jesus Angleton. Nous y apprenons qu’Angleton était moins « hors de contrôle » qu’il n’y paraît ; simplement, les personnes qui le contrôlaient n’étaient pas celles qui étaient censées le faire.
Lisez la deuxième partie de cet article
yogaesoteric
22 juillet 2022