Le Mossad, James Angleton et l’assassinat de JFK (II)

Lisez la première partie de cet article

James Angleton

Quand Angleton est devenu chef du contre-espionnage en 1954, il occupait déjà à la CIA, depuis le début de 1951, le « Bureau israélien », créé pour lui après la visite du Premier ministre David Ben Gourion aux États-Unis en mai 1951, dans le but d’établir une collaboration entre les agences de renseignement américaine et israélienne. La population israélienne d’immigrants d’URSS et d’Europe de l’Est faisait d’Israël une source d’information privilégiée sur ce qu’il se passait derrière le rideau de fer. En échange de ce service, les Israéliens voulaient un soutien stratégique, économique et militaire contre leur ennemi Nasser, qu’ils s’efforçaient pour cela de pousser dans le camp soviétique. C’est Reuven Shiloah, fondateur du renseignement israélien, qui organisa cette coopération. Selon Morley :
« Shiloah est resté à Washington pour régler les arrangements avec Angleton. L’accord qui en a résulté a jeté les bases de l’échange secret d’informations entre les deux services et les a engagés à se tenir informés sur des sujets d’intérêt mutuel. Shiloah, selon son biographe [Haggai Eshed], a rapidement développé “une relation spéciale” avec Angleton, qui est devenu la liaison exclusive de la CIA avec le Mossad. Angleton a rendu la pareille en visitant Israël. Shiloah l’a présenté à Amos Manor, chef du contre-espionnage pour l’agence de renseignement intérieur d’Israël [1953-1963], connu sous le nom de Shabak ou Shin Bet. »

La liaison spéciale d’Angleton avec le Mossad, qui a duré 25 ans, n’a pas beaucoup profité aux États-Unis en termes de renseignement. Par exemple, en octobre 1956, aucun avertissement n’est venu d’Angleton concernant le plan israélien d’envahir le Sinaï égyptien. Alors que des rumeurs de guerre parvenaient au département d’État, Robert Amory, chef de la direction du renseignement de la CIA, convoqua une réunion d’urgence le 26 octobre. Lorsqu’il présenta à Allen Dulles les preuves qu’« Israël se mobilisait pour attaquer quelqu’un — l’Égypte », Angleton l’interrompit :
« Je conteste ce que dit Amory. J’ai passé la soirée dernière avec nos amis et ils m’ont assuré qu’ils ne faisaient que prendre des mesures de protection contre les Jordaniens. »

Amory s’adressa à Dulles :
« Le contribuable me donne 16.000 $ par an en tant que directeur adjoint pour que je vous fournisse les meilleurs renseignements disponibles. Soit vous me croyez, soit vous croyez cet agent israélien coopté [pointant Angleton du doigt]. »

En quelques jours, Israël avait envahi le Sinaï. Morley rapporte que James Jesus Angleton effectua sa première visite en Israël en octobre 1951.
« Il venait de temps en temps, pour rencontrer le chef du Mossad, pour avoir des briefings, se souvient Efraim Halevy, qui servait comme officier de liaison du Mossad à la station de la CIA à Tel-Aviv au début des années 1960. Halevy escortait Angleton dans ses tournées et tenait le registre de ses réunions avec des responsables israéliens.

Angleton avait l’habitude de rencontrer David Ben Gourion, qu’il connaissait depuis de nombreuses années, se souvient Halevy. Ben Gourion a finalement quitté ses fonctions [en 1963] et Angleton est descendu à Sde Boker [la maison de Ben Gourion dans le Néguev] pour le rencontrer. Je n’ai pas assisté à ces réunions. C’était juste eux deux. Il avait des affaires à traiter. »

Angleton connaissait au moins six des hommes qui étaient dans les secrets de Ben Gourion. Il s’est lié d’amitié avec Efraim Halevy, ainsi qu’avec Isser Harel, fondateur du Shin Bet et chef du Mossad à partir de 1951 (« Jim avait une énorme admiration pour Isser », selon Halevy). Angleton a également bénéficié jusqu’à la fin de sa vie de l’amitié d’Amos Manor, directeur du Shin Bet de 1953 à 1963, de Teddy Kollek, devenu plus tard maire de Jérusalem, et de Meir Amit, chef du Mossad de 1963 à 1968. Quand Halevy accompagna Yitzhak Rabin, nommé ambassadeur à Washington (1968-1973), Angleton le rencontrait jusqu’à cinq fois par semaine et déjeunait tous les mois avec Rabin. Les amis israéliens d’Angleton étaient les créateurs de l’État sioniste, et Angleton était le seul Américain autorisé à leur parler.

Efraim Halevy et James Angleton

Cette position unique, couplée à son engouement pour le sionisme, a donné à Angleton une grande influence sur la politique israélienne de Washington. Selon Morley, « il fut l’un des principaux architectes de la relation stratégique de l’Amérique avec Israël, qui perdure et domine la région à ce jour ».

« L’influence d’Angleton sur les relations américano-israéliennes entre 1951 et 1974 dépasse celle de n’importe quel secrétaire d’État, à l’exception peut-être d’Henry Kissinger. Son influence était largement invisible pour le Congrès, la presse, d’autres institutions démocratiques et une grande partie de la CIA elle-même. »

Naturellement, l’influence d’Angleton sur les relations américano-israéliennes n’était pas sans rapport avec l’ambition nucléaire militaire d’Israël.

« À Washington, lui et Cicely [l’épouse d’Angleton] avaient passé de nombreuses soirées avec Memi De-Shalit, un officier du renseignement militaire d’origine lituanienne en poste à l’ambassade d’Israël. Angleton “ adorait ” De-Shalit et sa femme, Ada, a déclaré Efraim Halevy. Les De-Shalit sont retournés en Israël dans les années 1950, mais l’amitié s’est poursuivie et elle a fait entrer Angleton dans le cercle des autres Israéliens bien informés. Amos De-Shalit, le frère de Memi, était professeur de physique nucléaire à l’Institut des sciences Weizmann de Tel-Aviv. Il fut un contributeur majeur au programme nucléaire israélien. »

Selon Seymour Hersh, « les liens personnels étroits d’Angleton avec la famille De-Shalit et d’autres en Israël rendait inévitable qu’il apprenne la construction de Dimona dans le Néguev. » Pourtant, Angleton n’a jamais informé ses supérieurs des efforts des Israéliens pour construire un réacteur nucléaire à des fins militaires.

En 1960, Angleton ignora une demande de l’U.S. Intelligent Board (chargé d’examiner les opérations de la CIA au nom de la Maison-Blanche) que toutes les informations concernant Dimona soient transmises « au plus vite ».

Angleton n’a pas non plus remarqué, ou signalé, le vol d’uranium enrichi de qualité militaire dans une usine de la Nuclear Materials and Equipment Corporation (NUMEC) à Apollo, en Pennsylvanie.
« Angleton avait des contacts professionnels et personnels réguliers avec au moins six hommes au courant du plan secret d’Israël pour construire une bombe : Asher Ben-Natan, Amos De-Shalit, Isser Harel, Meir Amit, Moshe Dayan, Yval Ne’eman. Ses amis étaient impliqués dans la construction de l’arsenal nucléaire d’Israël. S’il a appris quoi que ce soit du programme secret de Dimona, il en rapporta très peu. […] L’échec de la politique américaine de non-prolifération visant à empêcher l’introduction d’armes nucléaires au Moyen-Orient dans les années 1960 fait partie de l’héritage d’Angleton, et ses effets se feront sentir pendant des décennies, voire des siècles. »

Par ailleurs, selon Andrew et Leslie Cockburn, « il existe un consensus d’opinions au sein de la communauté du renseignement américain selon lequel Angleton a joué un rôle de premier plan dans l’orchestration des événements qui ont conduit à la guerre de juin 1967. »

Au cours de cette période, selon Joan Mellen, auteur de Blood in the Water : How the US and Israel Conspired to Ambush the USS Liberty (2018), « Meir Amit était le principal allié d’Angleton en Israël, mais aux États-Unis, Angleton dépendait d’un autre agent du Mossad, Ephraim “ Eppy ” Evron, qui en 1967 […] jouissait d’une plus grande importance à l’ambassade d’Israël que l’ambassadeur, Avraham Harman. C’était Evron qui avait organisé des rencontres entre Angleton et Moshe Dayan […] pour discuter de la faisabilité d’une attaque contre l’Égypte dans le but de renverser Nasser. Lyndon Johnson avait autorisé Angleton à informer Evron que les États-Unis n’interviendraient pas pour arrêter une attaque contre l’Égypte. »

Le 30 mai 1967, Meir Amit, alors chef des opérations globales du Mossad, s’envola pour Washington et rencontra Angleton le lendemain. Tom Segev donne les détails de cette réunion dans son livre 1967 : Israel, the War, and the Year that Transformed the Middle East (2007) :
« Le voyage d’Amit à Washington avait été organisé par Aharon Yariv, et son objectif principal était de découvrir, à travers les canaux de renseignement, ce que les Américains feraient vraiment si Israël attaquait l’Égypte. »

Meir Amit

La première personne qu’Amit rencontra fut James Jesus Angleton, qui le présenta au directeur de la CIA Richard Helms, lequel organisa une rencontre avec le secrétaire à la Défense Robert McNamara. Amit exposa le plan israélien d’attaquer l’Égypte, que McNamara, après consultation par téléphone avec Johnson, approuva. « Jim Angleton était enthousiaste », écrit Segev. Et lorsqu’Amit informa Tel-Aviv du résultat de la rencontre, il précisa : « Angleton a été pour nous un atout extraordinaire. Nous n’aurions pas pu nous trouver un meilleur avocat. » Il était « le plus sioniste du lot ».

Le « côté Mossad » d’Angleton est une partie de la vérité interdite sur les Kennedy. Ce n’est pas une petite partie. Comme l’écrit Jefferson Morley, « l’influence formative et parfois décisive d’Angleton sur la politique américaine envers Israël peut être constatée dans de nombreux domaines — de l’impuissance de la politique américaine de non-prolifération nucléaire dans la région, au triomphe d’Israël lors de la guerre des Six Jours de 1967, à la réponse faible des États-Unis à l’attaque du Liberty, à l’échec du renseignement démontré par la guerre de Yom Kippour de 1973. »

On se souvient d’Angleton aux États-Unis comme d’un homme à moitié fou qui a causé des dommages irréparables à l’efficacité et à la réputation de la CIA. Mais on se souvient du même homme en Israël comme d’un grand bienfaiteur d’Israël. Voici un extrait du compte-rendu du Washington Post sur une cérémonie organisée en son honneur à Jérusalem après sa mort. Bien qu’elle fût prétendument secrète, quelques journalistes israéliens, dont Andy Court du Jerusalem Post, ont assisté à la cérémonie :

« Le chef de l’agence d’espionnage pathologiquement secrète, le Mossad, était là, tout comme son homologue du Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien. Cinq anciens chefs de ces agences et trois anciens chefs du renseignement militaire étaient également présents. Leur mission : rendre un dernier hommage à un membre bien-aimé de leur fraternité secrète – le regretté chef du contre-espionnage de la CIA, James Jesus Angleton.

[…] Après la plantation [d’un arbre], le groupe s’est à nouveau réuni à Jérusalem derrière l’hôtel King David dans un endroit pittoresque non loin des murs de la vieille ville qu’Angleton a souvent visitée lors de ses voyages ici. Là, ils ont consacré une pierre commémorative qui disait, en anglais, en hébreu et en arabe : “ À la mémoire d’un cher ami, James (Jim) Angleton. 

[…] Les cérémonies symbolisaient le respect et l’affection que la communauté du renseignement israélien porte à Angleton.

[…] Angleton “était un ami à qui vous pouviez faire confiance à titre personnel”, a déclaré le ministre de la Défense Yitzhak Rabin, qui s’est exprimé lors de la cérémonie de plantation d’arbres. Rabin connaissait Angleton depuis l’époque où il était chef d’état-major de l’armée israélienne au milieu des années 1960 et plus tard comme ambassadeur aux États-Unis. Le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, qui a quitté son lit malgré sa maladie pour assister aux cérémonies, a déclaré aux personnes assemblées : “ Nous commémorons un grand ami, qui a contribué aux relations Israël-États-Unis dans leur période la plus difficile au cours des 40 années d’existence d’Israël. 

[…] Les personnes présentes, selon Court, comprenaient : les chefs actuels du Mossad et du Shin Bet, dont aucun ne peut être nommé en vertu des lois gouvernementales sur la sécurité ; les anciens chefs du Mossad Meir Amit, Zvi Zamir et Yitzhak Hofi ; les anciens chefs du Shin Bet Avraham Ahituv et Amos Manor, et les anciens chefs du renseignement militaire Aharon Yariv, Shlomo Gazit et Binyamin Gibli. »

Il plane toujours un mystère sur la relation d’Angleton avec Israël, un mystère qu’Angleton lui-même n’aurait peut-être pas pu éclaircir. Il est très probable que la plupart des amis israéliens d’Angleton avaient conscience de ses troubles de la personnalité et de sa vision paranoïaque du monde, et qu’ils les ont exploités au maximum ; ils ont convaincu Angleton, par exemple, qu’ils étaient ses alliés indispensables contre le communisme. Un ancien chef du Mossad a déclaré aux Cockburn :

« Bien sûr, Jim avait des idées assez étranges, comme celle sur la scission sino-soviétique [Angleton croyait que c’était une ruse]. Mais je pense qu’il s’est trouvé un peu plus apprécié ici en Israël qu’à Washington. Nous l’écoutions respectueusement [ici un sourire narquois], lui et ses opinions. »

Les Israéliens, estiment les Cockburn, « ont pris grand soin de le flatter et de prêter une oreille respectueuse à son interprétation des événements dans le monde obscur de l’intelligence et de la tromperie ». Mais en examinant de plus près le mémorial d’Angleton dans la forêt de Jérusalem, les Cockburn font remarquer que, contrairement aux autres plaques commémoratives, « l’inscription ici n’est pas gravée dans la pierre, mais est écrite sur une feuille de plastique vissée sur la pierre. Moins d’un an après l’inauguration du site, la plupart des arbres, de minuscules pousses, étaient morts ou mourants. Le sol tout autour était couvert d’ordures : des bidons, des chiffons et, ici et là, des os. »

Quel genre de mémorial est-ce là ? Un mémorial pour un idiot utile dont on n’a pas besoin de se souvenir bien longtemps ?

Quelle était la position d’Angleton dans l’organigramme de l’assassinat de John Kennedy ? Si, comme John Newman et beaucoup d’autres le croient, Angleton fut le gestionnaire en chef d’Oswald et l’ingénieur de sa fausse apparition au Mexique, que savait-il vraiment de la fonction ultime d’Oswald dans l’intrigue ? Rien n’indique qu’Angleton ait soupçonné avoir été utilisé par ses amis israéliens, et il est donc plus que probable qu’il fut un participant délibéré du complot visant à tuer Kennedy. Ce qui a été démontré au-delà de tout doute raisonnable, en tout cas, c’est qu’Angleton, l’acteur central de la CIA dans le complot, était en réalité plus contrôlé par le Mossad que par la CIA elle-même, et prêt à toutes les trahisons contre son président pour aider Israël.

 

yogaesoteric
26 juillet 2022

 

Leave A Reply

Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

This website uses cookies to improve your experience. We'll assume you're ok with this, but you can opt-out if you wish. Accept Read More