Le piège fatal de la civilisation de la machine (2)

par Louis D’Alencourt

« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » ~ Georges Bernanos

Lisez la première partie de cet article

Nous commençons maintenant à comprendre le cheminement de la pensée visionnaire de Virgil Gheorghiu, car on est en droit de se demander en quoi le progrès technique est-il nuisible pour l’être humain. C’est là où la dimension surnaturelle, c’est à dire la présence du démon derrière ce progrès, explique beaucoup de chose. Parce qu’il faut bien se dire une chose : si Gheorghiu est si amer et si pessimiste sur la nature réelle du progrès technique, c’est qu’il en avait observé les effets sur le comportement humain, et constaté les dégâts sur la mentalité chrétienne (même s’il ne fait pas un rapprochement explicite), et il avait bien compris que ceux-ci dépassaient largement ceux de la Seconde Guerre mondiale.

« Les hommes, afin de pouvoir les avoir à leur service, sont forcés de connaître et d’imiter leurs habitudes et leurs lois.

Nous apprenons les lois et la manière de parler de nos esclaves pour mieux les diriger. Et ainsi, peu à peu, sans même nous en rendre compte, nous renonçons à nos qualités humaines, à nos lois propres. Nous nous déshumanisons, nous adoptons le style de vie de nos esclaves techniques. Le premier symptôme de cette déshumanisation c’est le mépris de l’être humain*. L’homme moderne sait que ses semblables, et lui-même d’ailleurs, sont des éléments qu’on peut remplacer. La société contemporaine qui compte un homme pour deux ou trois douzaines d’esclaves techniques doit être organisée et fonctionner d’après des lois techniques. C’est une société créée selon des nécessités mécaniques et non humaines. Et c’est là que commence le drame. »

* Oui mais là encore, il aurait été judicieux qu’il fasse le lien avec la mentalité chrétienne, car le mépris de l’être humain est bien une des caractéristiques de l’Antiquité, que seule la chrétienté va annihiler. Quand on quitte la chrétienté on retourne dans le camp du démon, ce qui est insupportable. C’est bien la preuve que la cité du mal a repris le dessus sur la cité du bien, et que ceci était déjà palpable en 1949 (ce qui n’écarte pas l’aspect visionnaire de cette œuvre). Ensuite il montre bien le processus :
« Les êtres humains sont obligés de vivre et de se comporter selon des lois techniques étrangères aux lois humaines. Ceux qui ne respectent pas les lois de la machine, promues au rang de lois sociales, sont punis. L’être humain qui vit en minorité devient, le temps aidant, une minorité prolétaire. Il est exclu de la société à laquelle il appartient, mais dans laquelle il ne peut s’intégrer désormais sans renoncer à sa condition humaine. Il en résulte pour lui un sentiment d’infériorité, le désir d’imiter la machine et d’abandonner ses caractères spécifiquement humains, qui le tiennent éloignés des centres d’activité sociale*. »

* Ce paragraphe résume à lui seul toute l’ambiguïté du concile Vatican II : c’est bien à cause d’un décalage devenu insupportable entre la mentalité chrétienne et cette nouvelle société technique que les chrétiens ont tenté de rendre compatible la foi et le matérialisme, sinon ils ne pouvaient pas s’intégrer dans cette nouvelle civilisation… si prometteuse… en apparence.

Et là son observation tombe juste, on voit où il voulait en venir après ce long développement :
« — Et cette lente désintégration transforme l’être humain en le faisant renoncer à ses sentiments, à ses relations sociales jusqu’à les réduire à quelque chose de catégorique, précis et automatique, les mêmes relations qui relient une pièce de la machine à une autre. Le rythme et le langage de l’esclave technique sont imités dans les relations sociales, dans l’administration, dans la peinture, dans la littérature, dans la danse. Les êtres humains deviennent les perroquets des esclaves techniques. »

« — Ce qui veut dire que nous nous transformons en hommes-machines ? »

« — C’est justement là qu’éclate le drame. Nous ne pouvons pas nous transformer en machines. Le choc entre les deux réalités — technique et humaine — s’est produit. Les esclaves techniques gagneront la guerre. Ils s’émanciperont et deviendront les citoyens techniques de notre société. Et nous, les êtres humains, nous deviendrons les prolétaires d’une société organisée selon les besoins et la culture de la majorité des citoyens, c’est à dire des citoyens-techniques.

Pour finir les hommes ne pourront plus vivre en société en gardant leurs caractères humains. Ils seront considérés comme égaux, uniformes et traités suivant les mêmes lois applicables aux esclaves techniques, sans concession possible à leur nature humaine. »

Ce dernier paragraphe est remarquable d’anticipation : égalitarisme, uniformité… Il aurait mieux valu qu’il remplace « caractère humain » par « caractère chrétien », cela aurait été plus juste. Il faut aussi se rappeler qu’il fait un lien, on l’a vu dans la synthèse de la préface, avec le communisme, qui procède de la même mentalité (et qu’il associe à l’Occident), car toute cette description ne gêne pas le communisme. Voir en Chine.

Il ajoute quelques détails :
« Les critères sont purement scientifiques. C’est la loi de notre sombre barbarie technique. Nous y arriverons après la victoire totale des esclaves techniques. »

C’est exactement ça !

Et on comprend très bien pourquoi le covid a été géré de cette façon : parce que les dirigeants, et même l’homme moderne tout court, raisonnent selon des critères exclusivement techniques où l’humain est ravalé au rang d’une machine, d’où des décisions qui révèlent l’aspect inhumain autant que totalitaire de cette mentalité, quand un principe de précaution applicable à une infime minorité (les « malades ») est imposé indifféremment à l’ensemble de la population.

Mais la population accepte ce principe puisqu’elle procède de la même mentalité, d’où sa soumission à de telles pertes de libertés : cela ne relève ni de la bêtise ni de l’habitude mais d’un état d’esprit identique à celui des dirigeants, façonné par la civilisation de la machine.

Et d’ailleurs l’affaire du covid me fait penser à cette situation décrite dans le livre. Un des personnages, prêtre, formule une prière où il invoque « la tyrannie impersonnelle de l’Etat » : « prions pour qu’ils n’en viennent pas à considérer la lettre et le chiffre comme plus réels et plus vivants que la chair et le sang. »

N’est-ce pas exactement ce qui se passe dans la gestion du covid ?

« Du moment où l’homme a été réduit à la seule dimension de valeur technico-sociale, il peut lui arriver n’importe quoi. Sur toute la surface du globe, aucun homme ne demeurera libre. »

Prophétique !

« L’homme se trouvera enchaîné par la société technique pendant de longues années. Mais il ne périra pas dans les chaînes. La société technique peut créer du confort. Mais elle ne peut pas créer de l’Esprit. Et sans Esprit il n’y a pas de génie. Une société dépourvue d’hommes de génie est vouée à la disparition. La société technique, qui prend la place de la société occidentale et qui va conquérir toute la surface de la terre, périra aussi. »

Il a oublié que le pain et les jeux peuvent avoir une influence considérable et que le démon peut remplacer le génie chrétien par le génie païen : il n’avait pas imaginé la puissance (et le génie !) de l’informatique et d’internet. Mais effectivement, c’est l’absence de lien spirituel qui va détruire l’humanité parce que la technique comme valeur absolue finit par générer un autoritarisme et un totalitarisme qui deviennent inhumains et rendent les gens fous.

En définitive, c’est l’absence d’Amour avec un grand A qui mènera les hommes à s’autodétruire.

« Nous vivons un temps où l’homme se prosterne devant le soleil électrique comme un barbare. »

Un des fondements-clés du progrès technique : l’ultra cupidité

Le lien entre le système et sa motivation première — l’argent, L’or-Dieu de Bernanos — est peu traité par Gheorghiu, où je n’ai relevé que cette phrase significative :
« La société technique travaille exclusivement d’après des lois techniques — en maniant seulement des abstractions, des plans — et ayant une seule morale : la production. »

Par contre, Bernanos avait parfaitement vu les proportions immenses (et primordiales !) de la cupidité dans la société des machines. Nous allons donc faire un petit aparté sur le livre de Gheorghiu au profit de celui de Bernanos.

Entendons-nous bien : personne ici, ni Bernanos, ni Gheorghiu ni moi-même ne nous opposons au progrès technique en tant que tel ; c’est CE progrès, ce type bien particulier de progrès, son esprit et ses motivations, que nous dénonçons parce que nous y voyons l’immense danger qu’il recèle : se détourner de Dieu au profit du démon et de ses séductions.

Georges Bernanos résume très correctement en quoi consiste ce type de progrès :
« Qu’il s’intitule capitaliste ou socialiste, ce monde s’est fondé sur une certaine conception de l’homme, commune aux économistes anglais du XVIIIe siècle comme à Marx ou à Lénine. On a dit parfois de l’homme qu’il était un animal religieux. Le système l’a défini une fois pour toutes comme un animal économique, non seulement l’esclave mais l’objet, la matière presque inerte, irresponsable, du déterminisme économique, et sans espoir de s’en affranchir, puisqu’il ne connaît d’autre mobile certain que l’intérêt, le profit. 

Rivé à lui-même par l’égoïsme, l’individu n’apparaît plus que comme une quantité négligeable, soumise à la loi des grands nombres ; on ne saurait prétendre l’employer que par masses, grâce à la connaissance des lois qui le régissent. Ainsi, le progrès n’est plus dans l’homme, il est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain.

Cette conception, je le répète, est à la base de tout le système, et elle a énormément facilité l’établissement du régime en justifiant les hideux profits de ses premiers bénéficiaires ».

Lisez la troisième partie de cet article

 

yogaesoteric
14 juin 2022

 

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