Monsanto Papers : les médias et l’information en ligne, premières cibles du géant de l’agrochimie

 

Une livraison de février des Monsanto Papers révèle une campagne d’influence et de dénigrement, de corruption scientifique mondiale en faveur du Roundup pour éteindre les accusations à l’encontre du glyphosate, cancérigène probable selon l’agence de l’OMS.

 

De nouveaux documents internes de la firme Monsanto ont été dévoilés et démontrent qu’une campagne mondiale de propagande nommée « Let Nothing Go » est en cours depuis 2015. Des journalistes seraient impliqués dans la défense médiatique du géant de l’agrochimie et la plupart des plateformes Internet seraient infiltrées en Europe par une agence de relations publiques, Fleishman-Hillard, au service de Monsanto. Explications.

Pour mieux comprendre l’importance des documents des Monsanto Papers, dont le programme de propagande nommé « Let Nothing Go » est la clef de voûte, rien ne vaut la déclaration d’une journaliste qui a enquêté sur le géant de l’agrochimie racheté par Bayer : « Je travaille comme journaliste professionnelle à Chicago depuis plus de trente ans. J’ai découvert des activités douteuses dans des groupes gouvernementaux, des organisations à but non lucratif et des sociétés privées. Mais je ne pense jamais avoir vu un groupe aussi résolu à attaquer personnellement les journalistes qui couvrent un sujet [concernant défavorablement Monsanto] ».

Cette déclaration de Monica Eng, journaliste pour WBEZ à Chicago, reflète une réalité très dérangeante au sujet du pouvoir de Monsanto : sur la qualité de l’information, l’indépendance de la presse et… les possibilités d’influencer le Net.

A propos de Monsanto Papers

Les Monsanto Papers sont des documents internes de la multinationale Monsanto déclassifiés dans le cadre de procédures judiciaires intentées aux Etats-Unis par des victimes attribuant leur maladie à une exposition au glyphosate, le plus souvent un cancer. Le glyphosate est la molécule utilisée dans l’herbicide Roundup, vendu par Monsanto depuis 1974.

« Let Nothing Go est destiné à faire promouvoir dans le débat public, par des tiers sans liens apparents avec Monsanto, les éléments de langage de l’agrochimiste, propriété de l’Européen Bayer.» – « Glyphosate : comment Monsanto mène sa guerre médiatique », Le Monde

Ne rien laisser passer…

Le programme « Let Nothing Go » contient une somme d’actions pour procéder à des contre-offensives médiatiques afin de défendre les produits de la société sur les réseaux sociaux, les plateformes de partage, les forums en ligne et dans les médias. Le quotidien Le Monde affirme que « c’est la firme Fleishman-Hillard – l’une des plus grandes sociétés de relations publiques américaines – qui a été mandatée en France et en Europe pour mettre en œuvre ce programme. Celui-ci est destiné à faire promouvoir dans le débat public, par des tiers sans liens apparents avec Monsanto, les éléments de langage de l’agrochimiste, propriété de l’européen Bayer. »

« Monsanto emploie des individus qui n’apparaissent pas liés à l’industrie et qui postent des contenus positifs sur Facebook ou sous les articles de presse, pour défendre Monsanto, ses produits et ses OGM. » – Les avocats des victimes de Monsanto, à propos de Let Nothing Go

Ce programme apparaît pour la première fois en 2015, quelques semaines après le rapport du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) concluant que le glyphosate est un cancérigène probable pour l’homme. « Let Nothing Go » vise – selon les avocats des personnes ayant assigné Monsanto en justice –, « à ne rien laisser sans réponse, même pas des commentaires sur Facebook. » Les précisions sur les méthodes employées laissent songeur : « A travers des organisations tierces, Monsanto emploie des individus qui n’apparaissent pas liés à l’industrie et qui postent des contenus positifs sur Facebook ou sous les articles de presse, pour défendre Monsanto, ses produits et ses OGM. »

L’entreprise de relations publiques Fleishman-Hillard explique précisément comment elle opère pour le compte de ses clients, dont Monsanto : « Derrière une campagne de relations presse, un compte Twitter, un partenariat avec un blogueur ou une activation online, il y a d’abord une histoire à raconter et à adapter à chaque canal et à chaque audience. » Bayer a confirmé la mise en œuvre du programme Let Nothing Go par Fleishman-Hillard qui met à disposition de ses clients ses « capacités de storytelling, l’accès à un réseau de producteurs de contenus fidélisés permettant de décliner leur histoire dans tous les formats et sur n’importe quel canal : posts Twitter, Facebook ou Instagram, articles de blogs…» Relayer l’information pro-Monsanto, infirmer les attaques ou les critiques, mais surtout : « raconter une histoire ». La plus belle qui soit, bien entendu…

Guerre médiatique, corruption et influence sur le Net

Le responsable mondial des affaires extérieures pour Monsanto, Samuel Murphey, apparaît dans les échanges de mails contenus dans la dernière livraison des Monsanto Papers et implique directement une agence de presse mondialement connue : Reuters. Murphey échange avec une journaliste de l’agence prénommée « Kate » et lui donne en pièce jointe d’un courrier électronique d’avril 2017 un document de six pages qui laisse entendre que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a volontairement ignoré des données qui auraient pu changer sa décision de classifier le glyphosate « cancérigène probable » pour l’homme.

« France 2, n’avait jamais vu un documentaire se faire attaquer de cette manière sur les réseaux sociaux, y compris par des confrères, avant même d’être diffusé. » – Elsa Margout, directrice des magazines de l’information de France 2

Ce document est en réalité un « kit » à l’attention des journalistes ou décideurs qui souligne les seuls points en défaveur de la cible – le CIRC en l’occurrence –, et qui occulte les points qui pourraient nuire à Monsanto. Un document de contre propagande, en quelque sorte, qui mènera Reuters à peine deux mois plus tard à publier une enquête dévastatrice à l’encontre du rapport CIRC, basée sur les affirmations du kit envoyée par Samuel Murphey. Le CIRC a réagi et défendu l’un de ses scientifiques mis en cause (par le kit Monsanto et par l’enquête de Reuters), tandis que l’agence de presse a répondu au Monde, être « convaincue que l’article [de sa journaliste] constitue une représentation complète, juste et exacte des faits, y compris dans l’attribution des documents juridiques cités ».

Un documentaire récent consacré au glyphosate et diffusé sur France 2 dans l’émission « Envoyé spécial » a fait polémique, attaqué de toute part particulièrement sur les réseaux sociaux. La directrice des magazines de l’information, Elsa Margout s’est confiée au Monde et reste stupéfaite de cette campagne de dénigrement : « Ce qui s’est produit a atteint des proportions très inhabituelles. Personne, à France 2, n’avait jamais vu un documentaire se faire attaquer de cette manière sur les réseaux sociaux, y compris par des confrères, avant même d’être diffusé. Nous acceptons bien sûr la critique ou les jugements de valeur, mais nous n’avions jamais vu une telle véhémence, avec des accusations de “ fake news ” et de complotisme basées sur des contrevérités factuelles. » La responsable n’est pas dupe et affirme que c’est une campagne orchestrée qui a eu lieu : « Des centaines de comptes anonymes, récents et avec très peu d’abonnés, ont systématiquement répercuté sur Twitter les éléments de langage de certains lobbys, créant un effet de masse et un effet d’entraînement impressionnant ».

Monsanto : du côté de la science

La défense du glyphosate par Monsanto pour faire passer le Roundup comme un produit inoffensif pour l’Homme n’est pas seulement effectuée via des campagnes sur Internet de commentaires positifs ou de dénigrements, d’influence des journalistes. Les avocats des victimes de la firme affirment que « Monsanto finance discrètement des think tanks comme le Genetic Literacy Project (un projet d’“ alphabétisation ” en génétique et l’American Council on Science and Health (Conseil américain sur la science et la santé), des organisations qui visent à dénigrer des scientifiques et à mettre en lumière des éléments favorables à Monsanto et d’autres producteurs de produits chimiques. »

Les méthodes pour faire plier l’opinion comme les scientifiques vers une vérité que Monsanto estime bonne, ne sont pas récentes au sujet du glyphosate, mais datent de presque 40 ans :

« La première étude d’un laboratoire externe que Monsanto a soumis à l’EPA pour connaître la toxicité du glyphosate, date de 1983. 400 souris exposées à la molécule avaient alors développé des tumeurs. Monsanto a contesté durant 2 ans les résultats des toxicologues de l’EPA, qui réagissent alors contre la firme en expliquant que “ l’argumentation de Monsanto est inacceptable ”. Le glyphosate est donc classé par l’Agence américaine “ oncogène de catégorie C ”, soit “ cancérigène possible pour l’homme ”. »

La stratégie du leader des pesticides était parfaitement rodée déjà à l’époque. Lorsque les résultats scientifiques vont contre ses intérêts, Monsanto paye des scientifiques pour refaire les études et parvenir à des résultats qui lui conviennent :

« Monsanto paye un expert, le docteur Marvin Kuschner, en 1985, qui réexamine les échantillons de reins des souris et trouve une tumeur passée — d’après lui – inaperçue dans la première étude, dans le rein de l’une des souris contrôle et qui n’aurait pas été exposée au glyphosate. C’est ainsi que Monsanto remonte un nouveau dossier auprès de l’EPA et parvient à annuler la classification de “ cancérigène probable ” en arguant que les souris étaient atteintes d’une “ maladie chronique spontanée des reins ”. Le procédé est exactement le même qu’en 2015 avec les lymphomes et l’infection virale lancée par Jess Rowland qui annule alors la mise en cause du glyphosate. »

Cette nouvelle salve de Monsanto Papers démontre que le groupe agrochimique est très fortement actif en termes d’influence de l’opinion et de capacité à nuire à tous ceux qui vont contre ses intérêts. Particulièrement au sujet de la nocivité du glyphosate qui continue à être autorisé et défendu comme n’étant pas cancérigène, par des scientifiques ou même des… journalistes. La question reste donc aujourd’hui de savoir comment empêcher l’intoxication de l’information par la multinationale… pour parvenir à obtenir le niveau de danger réel du glyphosate, en toute indépendance.

OGM : ce que les Monsanto Papers révèlent du lobbying en France

Du maïs transgénique, au Mexique, en 2009 (photo d’illustration).

Un nouveau document que nous révélons suggère qu’un scientifique aurait intercédé pour Monsanto auprès d’agences françaises en 2012. Objectif : peser sur le maintien de la vente de son maïs transgénique NK 603.

A l’époque, ces photos de rats difformes (voir ci-dessous) n’avaient pas seulement fait le tour du monde, elles avaient provoqué l’une des plus spectaculaires controverses scientifiques de cette décennie. Controverse dans laquelle Monsanto, fabricant du Roundup et d’OGM racheté l’an dernier par Bayer, a alors joué de son influence, y compris en France, ce que prouve aujourd’hui un nouveau document révélé par Le Parisien.

Tout démarre le 19 septembre 2012, lorsqu’une étude du professeur Gilles-Eric Séralini publiée dans la revue américaine Food and Chemical Toxicology affirme, images à l’appui, que les rats ayant ingéré du maïs transgénique résistant au glyphosate et du Roundup développent plus facilement des tumeurs. Dans l’Hexagone comme ailleurs, la communauté scientifique se divise : le protocole est rapidement décrié par les uns, comme le mathématicien Cédric Villani, aujourd’hui député LREM, quand d’autres s’alarment du danger que représenteraient ces produits Monsanto commercialisés en Europe.

Les photos de rats accompagnant l’étude de l’équipe de Gilles-Eric Séralini, en 2012, avaient fait réagir partisans et détracteurs des OGM.

Devant le tollé suscité par ces travaux, quatre ministres, – Benoît Hamon, Stéphane Le Foll, Marisol Touraine et Delphine Batho –, demandent le 24 septembre 2012 à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) et au Haut Conseil des biotechnologies (HCB) de rendre un avis sur cet article. Les deux organismes vont devoir consulter des experts.

Organismes secrètement influencés

Toujours soucieuse de convaincre les autorités de la prétendue innocuité de ses produits, Monsanto va recevoir, le même jour, un soutien inespéré. Au petit matin, David Stark, alors vice-président de la société, trouve dans sa boîte e-mail une offre alléchante : « J’aurai à apporter ma contribution à une réunion très importante prévue avec des organismes gouvernementaux de très haut niveau (en France). Il me serait très utile d’avoir plus d’informations en provenance de Monsanto. » Une proposition de lobbying qui doit rester secrète : « Je ne retracerai pas la source, nous devrons être très informatifs, sinon une très mauvaise décision pourrait être prise. »

Monsanto reçoit l’aide d’un scientifique français pour décrier Séralini publié par Le Parisien

Ce document est l’une des très nombreuses pièces transmises par Monsanto à ses adversaires dans le cadre des procédures judiciaires enclenchées aux Etats-Unis, les fameux Monsanto Papers. Toutes n’ont pas été versées aux dossiers, mais elles sont néanmoins toutes partiellement anonymisées.

On a identifié l’auteur de ces messages, un membre de longue date de l’International Life Science Institute (Ilsi), une organisation de lobbying qui réunit de nombreux groupes industriels, dont Monsanto, et qui a une partie de ses bureaux à Bruxelles. Cette personne ne pouvant s’expliquer puisqu’elle est aujourd’hui décédée, on ne donnera pas son identité complète. Biologiste de formation, F.G. a fait ses armes dans une entreprise leader dans le domaine de la levure avant de passer dix ans chez Danone, où il a mené, de 1999 à 2003, des programmes conjoints notamment avec Monsanto. Quand il fait sa proposition, F.G. est conseiller au sein du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), un organisme de recherche public.

A ses collègues qu’il invite dans l’échange d’e-mails, David Stark présente F.G. comme un « ami » du temps où le Français travaillait pour le groupe agroalimentaire. Afin de répondre à sa demande, un salarié de Monsanto lui envoie un lien vers une synthèse de la firme sur l’article de Gilles-Eric Séralini. Mais le biologiste insiste : « Il ne suffit pas de convaincre les organismes gouvernementaux, ils auront besoin de plus d’informations sur le test de toxicité et l’expérience qui ont été réalisés par ou pour Monsanto. Je vais devoir apporter des données expérimentales. » Au lieu de quoi, « l’opinion publique pensera que Monsanto n’a pas de données scientifiques à montrer, ce qui donne plus de crédit aux trucs de Séralini ».

Aucune mention officielle

En moins de 24 heures, pas moins de trois salariés de Monsanto s’activent pour lui trouver des études contredisant les recherches sur les rats. Des références que l’on retrouvera plus tard dans l’argumentaire que le fabricant du Roundup s’est résolu à faire parvenir à l’Anses… F.G., lui, n’apparaîtra nulle part dans les listes officielles des personnes auditionnées.

Responsable de l’examen de l’article pour l’Anses, le toxicologue Jean-Pierre Cravedi a fouillé dans ses archives, en vain : « Je n’ai pas trouvé trace d’audition de Monsieur G. dans le cadre du groupe d’expertise que j’ai présidé ni de participation de Monsieur G. à cette expertise. Je ne peux en revanche pas exclure qu’il y ait eu des échanges entre l’Anses et cet expert à propos de l’étude. »

Même son de cloche du côté Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du HCB : « Nous avons fait appel à quatre experts extérieurs. Pour ma part, je n’ai vu personne d’autre dans ce cadre-là. Est-ce que Monsieur G. a vu d’autres membres du comité ? En tout cas, ça n’a pas servi à construire notre analyse de l’article. » Interrogé, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture à l’époque, n’a aucun souvenir d’une rencontre avec F.G., un nom qui ne lui évoque rien.

Le Roundup toujours suspect

Le 19 octobre 2012, l’Anses rend son avis. Selon elle, l’étude de Séralini ne permet pas « de remettre en cause les évaluations précédentes du maïs OGM NK603 et du Roundup ». Dans la foulée, le HCB pointe des « lacunes et faiblesses méthodologiques rédhibitoires ». « Il n’y a donc pas lieu de revenir sur les autorisations accordées » aux produits Monsanto, conclut le ministère de l’Agriculture. Entre-temps, les commentaires à charge se sont multipliés dans les médias. En novembre 2013, l’article scientifique est même retiré de la revue Food and Chemical Toxicology. On apprendra plus tard que l’éditeur, Wally Hayes, était au moment de la polémique consultant pour Monsanto pour 400 dollars (325 euros) de l’heure…

Quant à F.G., il travaillait ces dernières années pour l’ambassade de France aux Etats-Unis. Laquelle, on le sait grâce aux Monsanto Papers, a envoyé l’année suivante une délégation en visite chez Monsanto.

Contacté par Le Parisien, le céréalier se défend : « Les récentes études indépendantes menées après la polémique liée à l’étude de monsieur Séralini ont toutes conclu de façon indubitable au manque total de fondement scientifique des travaux de monsieur Séralini ».

A ce jour, au moins quatre études réclamées depuis l’affaire Séralini affirment que les rats ne développent pas plus de maladies avec du maïs résistant au Roundup qu’avec un autre type d’alimentation. Mais les rongeurs ont été exposés moins longtemps que ceux de Séralini et ils sont d’espèces différentes. De plus, le doute persiste pour le Roundup lui-même, dont la substance active est le glyphosate. Conduite en France par le toxicologue Bernard Salles et publiée en décembre 2018, « GMO90 + » ne tire pas de conclusions sur ce produit, qui n’était pas le sujet d’étude. Les croquettes données à ses différents groupes de cobayes, nourris ou non aux OGM, contenaient toutes du glyphosate, rendant impossibles les comparaisons.

Un « détail » qui n’a pas échappé à Gilles-Eric Séralini : « Nous, nous avions nourri nos contrôles (rats témoins) avec de la nourriture qui n’était pas traitée aux pesticides, c’est pour ça que nous avions beaucoup moins de tumeurs chez eux. » Le chercheur de l’université de Caen, qui dénonce une campagne de dénigrement permanente, peut néanmoins revendiquer une victoire : saisie par son comité de recherche, le Criigen, la justice a annulé l’autorisation de mise sur le marché d’un produit à base de glyphosate, le Pro Roundup 360.

 

yogaesoteric
5 juin 2019

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