« Personne n’entre au Mc Do pour acheter une salade ! » – Interview de Morgan Spurlock, réalisateur de « Super Size Me »

 

Le film « Super Size Me » est une attaque en règle contre la malbouffe, les fast-foods et Mc Donald’s en particulier. Au travers de son film, Morgan Spurlock les désigne comme responsables des problèmes de surpoids et d’obésité. Lors de son passage en France, Doctissimo a rencontré ce réalisateur hors normes.

Doctissimo :
Dans votre film, vous vous attaquez directement à Mc Donald et aux fast-foods. Mais ne pensez-vous pas que d’autres facteurs sont responsables de l’épidémie d’obésité qui sévit aux USA ?

Morgan Spurlock : Aux Etats-Unis, on a toujours l’habitude de montrer du doigt les fast-foods dans l’épidémie d’obésité. Mais il est vrai que le problème est beaucoup plus complexe, de nombreux paramètres interviennent : problèmes économiques, implication de l’école (qui est tout de même abordé dans le film), rôle des parents, mode de vie sédentaire… Pour prendre en compte l’ensemble de ces facteurs, il m’aurait fallu faire un documentaire de 4 heures.

J’ai choisi de me concentrer sur les fast-foods, car ces établissements constituent un véritable mode de vie Outre-Atlantique. Dès que les Américains mangent à l’extérieur, c’est une fois sur deux dans un fast-food ! Elément incontournable de l’éducation nutritionnelle, les dîners de famille ont disparu !

Doctissimo :
C’est un phénomène qui n’est pas uniquement américain…

Morgan Spurlock : Notre mode de vie, notre alimentation est effectivement en train de s’étendre au-delà des Etats-Unis. Nous avons « franchisé » cette malbouffe, pour la revendre à d’autres pays ! Ce film est un moyen d’aborder le sujet.

De nombreuses personnes ne manquent pas de critiquer le côté irréaliste de ce documentaire (en soulignant que personne ne mange de cette façon), mais en Amérique nous faisons quotidiennement de mauvais choix nutritionnels ! Nous « sur-consommons » et « sous-bougeons » chaque jour ! Ces deux paramètres vont de pair. Il est d’ailleurs intéressant de constater que deux tiers de la population américaine est obèse et que la même proportion ne pratique pas assez d’exercice physique.

Doctissimo :
Qu’espérez-vous provoquer comme réaction avec « Super Size Me »?

Morgan Spurlock : J’espère que « Super Size Me » va inciter les gens à revoir la manière dont ils vivent et mangent. Aux Etats-Unis, le film semble avoir eu un réel impact sur les spectateurs. La plupart jurent de faire plus attention à leur alimentation et à leur activité physique. Les parents qui sortent du film disent qu’ils doivent être plus vigilants avec leurs enfants, essayer de leur préparer plus de plats à la maison, au lieu de manger aussi souvent à l’extérieur… Ce film provoque une prise de conscience chez les gens… et les chaînes de fast-food !

Doctissimo :
Vous soulignez notamment le pouvoir séduction des fast-foods sur les enfants. Ne pensez-vous pas que les parents peuvent lutter contre cette influence et leur apprendre les bases d’une alimentation équilibrée ?

Morgan Spurlock : Bien entendu, les parents peuvent apprendre beaucoup à leurs enfants. Malheureusement, dans de nombreux foyers, ils ont baissé les bras. Car ils sont pris dans un cercle vicieux : je n’ai pas assez de temps, je suis tellement occupé, je dois travailler encore une heure ou deux pour gagner quelques dollars de plus… Ils n’ont plus le temps d’accorder suffisamment d’attention à leurs enfants.

Ces personnes devraient réellement établir des ordres de priorité : le plus important est-il le temps supplémentaire passé au boulot ou la santé de leurs enfants ? Ou est-il plus important de continuer à manger de la junk-food, des fast-foods ? Est-il important de leur donner l’occasion de vivre longtemps et en bonne santé, sans problèmes cardiovasculaires, ni cholestérol ou diabète… Si la réponse est affirmative alors la prévention passe par de bonnes habitudes alimentaires dès le plus jeune âge.

Parents, si vous mangez dehors trois, quatre, cinq fois par semaine, et que vous ne pratiquez pas d’exercice physique. Vos enfants suivront votre exemple et reproduiront ces mauvaises habitudes…

Doctissimo :
Mais face à l’influence de la télévision et des médias, les parents sont-ils de taille à lutter ?

Morgan Spurlock : Il faut mener une bataille constante. La télévision et les publicités ont pris une place incroyable dans notre vie. La publicité pour les fast-foods et la junk-food est absolument partout et pas uniquement sur le petit écran. J’ai un ami américain qui n’a jamais fait manger à son enfant de menu Mc Donald. Et il ne les laisse pas regarder la télévision. Ils regardent de temps en temps des dessins animés enregistrés sur cassettes vidéos, sans pub. Mais dès la maternelle, la bibliothèque est estampillée Ronald Mc Donald : un énorme meuble en forme de Clown semble dire « Regarde, je veux que tu lises. Je m’occupe de toi, viens lire un livre, on va bien s’amuser ». Dès leur plus jeune âge, on habitue les enfants à reconnaître le clown joyeux avec qui ils veulent continuer à s’amuser en allant au fast-food ! Ce type de marketing a envahi insidieusement notre vie quotidienne.

Viser les très jeunes enfants est assez terrible. D’ailleurs, plusieurs pays comme la Suède, le Danemark ou la Norvège ont interdit la publicité destinée aux enfants de moins de 12 ans. Selon eux, ces enfants ne peuvent faire la différence entre publicité et divertissement. Et je pense que c’est une excellente chose.

Doctissimo :
Donc vous pensez que les gouvernements doivent aller vers une interdiction des publicités, et pourquoi pas une taxation des aliments gras ou sucrés, bref, une nouvelle « prohibition » ?

Morgan Spurlock : Si les gouvernements ne doivent pas forcément interdire les publicités, ils doivent au moins équilibrer les choses. Quand Mc Donald’s dépense 1,2 milliard de dollars chaque année en promotion et publicité, le gouvernement devrait dépenser 1,2 milliards de dollars pour promouvoir la marche, les fruits et légumes, etc. Comme je le dis dans le film, pourquoi n’avons-nous pas Britney Spears, à la télévision annonçant fièrement « J’adore les brocolis, et vous devriez en manger vous aussi » !

On devrait faire plus de publicité pour les bonnes habitudes ! Si vous regarder les publicités au milieu des programmes pour enfant, que voyez-vous ? Des bonbons, des sodas, des fast-foods, des glaces… Alors si nous n’interdisons pas ces publicités, pourquoi effectivement ne pas taxer les industriels de l’agroalimentaire, afin de financer des publicités pour des habitudes plus saines. Ce serait une réelle avancée.

Doctissimo :
Mais justement, Mc Donald’s offre des salades, change la composition de ses menus pour enfants… Les professionnels prennent-ils finalement conscience de leurs responsabilités ?

Morgan Spurlock : Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Proposer des menus plus équilibrés est une bonne chose. Mais croyez-vous que les gens vont aller chez Mc Donald’s pour manger des salades ? Je ne crois pas. Si l’on va au fast-food, c’est pour les hamburgers, le coca, les frites… Vous savez, moins de 1 % des personnes qui vont chez Mc Donald’s achètent des salades. Proposer des alternatives équilibrées c’est bien, mais il faut que les informations nutritionnelles soient disponibles, afin de pouvoir faire les bons choix.

Doctissimo :
Justement, des compagnies telles que Mc Donald’s ont décidé de proposer plus de transparence, en délivrant quelques informations nutritionnelles.

Morgan Spurlock : J’aime beaucoup ce que dit Mc Donald’s : toutes ces informations sont disponibles en ligne, sur Internet. Mais vous savez quoi ? Je ne me réveille pas le matin en me disant « Wahou, aujourd’hui je vais aller chez Mc Donald’s ! Vite, j’allume mon ordinateur pour composer mon menu ». Personne ne fait ça ! 75 % des repas pris au fast-food sont dus à des impulsions. Vous conduisez sur une nationale, et vous avez un petit creux : Hop ! Vous apercevez une enseigne Mc Donald et vous tournez le volant pour entrer et commander.

Donc pour fournir une information accessible aux consommateurs, il faut la placer là où ils peuvent la voir : sur le lieu de vente ! Mieux, il faudrait qu’elles soient affichées sur le tableau : Un Big Mac, tant de matières grasses, tant de sucre, tant de calories, tel prix ! Ainsi lorsque je rentre dans un restaurant, je n’ai pas besoin de chercher les informations partout ou de vérifier avant sur mon ordinateur.

Doctissimo :
Selon vous, pourquoi les compagnies de fast-food n’affichent pas ces informations, alors qu’elles pourraient ainsi couper court à la critique ?

Morgan Spurlock : Si vous affichez qu’un Big Mac équivaut à 580 kcalories, un double cheeseburger fait 690 kcalories et qu’un grand coca fait 300 ou 400 kcalories…. Alors quand vous allez acheter votre menu, vous risquez de réaliser que ce repas représente souvent les deux tiers de vos besoins caloriques pour toute la journée…. Et dans ce cas, les clients risquent de moins consommer et l’entreprise de perdre de l’argent. Car si réellement vous éduquez vos consommateurs, et vous leur expliquez comment faire des choix de manière intelligente, vous allez mathématiquement diminuer vos bénéfices.

Doctissimo :
Donc, selon vous, un problème essentiel est l’information et l’éducation du public ?

Morgan Spurlock : Exactement ! Comme je le souligne dans mon film, aux Etats-Unis personne n’a idée de ce qu’est une calorie ! Qui a une idée des proportions de matières grasses ou de sucre qu’il peut consommer ? Personne ! Il faut donc de toute façon une initiative à l’échelon national, qui apprendrait aux gens à mieux manger. Malheureusement, on entend aujourd’hui les autorités américaines dire que ce n’est pas à eux de le faire, mais à l’école. Mais c’est paradoxal : dans les établissements scolaires américains, on est en train de supprimer les cours d’éducation physique ! Les enfants ne bougent plus ! Et la plupart des écoles aux Etats Unis diminuent la durée des cours sur la santé et la nutrition. Les enfants ne savent plus aujourd’hui ce qu’ils doivent manger !

Le discours ambiant continue encore d’évoluer : l’éducation nutritionnelle ne serait plus le travail de l’école mais uniquement celui des parents ! Tout le monde se renvoie la patate chaude. Mais si vous êtes parents aujourd’hui, que vous travaillez dur mais que vous essayez néanmoins de cuisiner pour vos enfants, vous faites déjà une partie de travail.

Et l’école devrait compléter cet enseignement en donnant quelques clés nécessaires à une vie plus saine. Nos enfants passent au minimum 12 ans de leur vie (de 5 à 18 ans) sur les bancs de l’école. Et ce temps doit aussi être mis à profit pour leur apprendre des notions tels que bien manger et bien bouger !

 

yogaesoteric
23 octobre 2018

 

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