Pourquoi l’Europe devient antisémite

 
par Dorian Furtună
 
„Tous les peuples peuvent être divisés en deux catégories : ceux qui chassent les juifs et ceux qui ne permettent pas aux juifs d’entrer dans leurs pays”. Cette citation pleine de sarcasme du premier président d’Israël, Chaim Weizmann, semblait refléter seulement le passé. Est-ce vrai ?
 
Deux incidents majeurs à caractère antisémite ont eu lieu au mois de mai de l’année 2014 en Belgique et en France : le meurtre de trois personnes et les injures graves envers une autre au Musée Juif de Belgique à Bruxelles, ainsi que l’agression contre deux hommes d’origine israëlienne à la sortie de la synagogue de la ville de Créteil en France [1]. On constate donc que l’antisémitisme virulent ne fait pas seulement parti du passé, mais est aussi une réalité du présent. En analysant attentivement les phénomènes sociaux des dernières années, on observe que parallèlement avec l’invocation du danger musulman, est réanimé un épouvantail plus vieux, typique pour le continent européen – les juifs et le sionisme, dans le milieu politique de l’Union européenne. Autrement dit, on assiste à la propagation de l’idée qu’un danger à l’adresse du bien-être de la population européenne viendrait aussi, ou surtout, de la part des juifs (implicitement d’Israël). Et il existe quelques fondements que cet abord antisémite est propulsé au niveau de la rhétorique politique. Premièrement, ce phénomène est soutenu par les influences de la diaspora arabe, pour laquelle les juifs sont des „ennemis traditionnels”. Deuxièmement, à un moment donné, certains leaders politiques européens ont considéré qu’il était moins risqué de projeter un „ennemi imaginaire”, le juif, qui est plus inoffensif qu’un „ennemi interne”, les musulmans, qui sont capables, devant un tel défi, de dynamiter (au sens propre) la vie paisible des européens. Autrement dit, pour l’Europe il est plus „convenable” d’être antisémite qu’anti-musulman.

Des indicateurs à cet égard existent déjà, si nous nous rappelons les résultats du sondage commandé par la Commission européenne et publié à l’automne 2003, où Israël est placé au top dans la catégorie des „états prédateurs”, étant cité par 59% des interrogés comme le danger n° 1 pour la paix mondiale ; puis suit l’Iran, la Corée de Nord, l’Irak et les Etats-Unis (53%), la Russie et la Chine ayant un pourcentage de „danger” bien plus réduit de l’ordre de 22% [Glucksmann, 2007, p. 73]. Un autre indicateur est le scandale public de 2004, lorsque certaines organisations juives internationales ont culpabilisé la Commission Européenne, l’accusant de regarder paisiblement comment de plus en plus de messages antisémites sont promus, simultanément avec le nombre toujours croissant de publications critiques à l’adresse d’Israël [2]. Selon un sondage réalisé en 2009 à la demande de l’organisation Anti-Defamation Leage (ADL), environ un tiers des Européens considéraient que les juifs portent la culpabilité pour le déclenchement de la crise financière mondiale [3].

 

Graffiti nazis sur les pierres tombales dans un cimetière juif de Paris

PHOTO timesofisrael.com

Dans le sens de la ressuscitation de l’antisémitisme, quelques mécanismes de psychologie sociale fonctionnent aussi : par exemple en Allemagne, le mécanisme de la frustration-agressivité est responsable de l’apparition de nos jours du soi-disant „antisémitisme secondaire”, une renaissance de la haine contre les juifs du fait que la présence de ceux-ci rappelle aux Allemands les péchés de la période de la Deuxième Guerre mondiale [4] [Imhoff, Banse, 2009]. Les effets des perceptions sont visibles, au moins au niveau des statistiques. Selon les données de 2003, environ 65% des allemands (et d’après certaines estimations, 80%) voient en Israël la plus grande menace à l’échelle mondiale [5]. Un autre sondage au même sujet effectué en mai 2012 par l’Institut Forsa, montre que 59% des Allemands considèrent Israël comme un Etat „agressif”; et environ 60% parmi les interrogés  ne ressentent plus de responsabilité envers les Juifs et Israël [6].

D’après une étude sociologique commandée par le Parlement fédéral de Berlin et publié en janvier 2012, environ 20% des Allemands auraient des convictions antisémites latentes, et 90% des crimes antisémites seraient commis par des organisations d’extrême droite qui réuniraient pas moins de 26 000 membres [7]. Les statistiques officielles montrent qu’en Allemagne sont enregistrées annuellement plus de mille infractions à caractère antisémite commis par les néo-nazis (dans la plupart des cas) et par des musulmans [8]. En outre, il a été constaté que plus de 20% parmi les jeunes allemands entre 18 et 29 ans ne connaissent rien sur Auschwitz et les camps de concentration [9]. Ce dernier tableau sociologique parle seul – une fois avec l’apparition des nouvelles générations allemandes  non affectées directement par le complexe de la culpabilité vis à vis des actions nazies du milieu du siècle passé, celles-ci sont plus disposées à développer des convictions xénophobes et néo-nazies, implicitement sur la ligne des discriminations et de la haine antisémite.

En Europe en général, l’antisémitisme enregistre une croissance alarmante. D’après l’ex-président du Congrès juif de Russie, Veaceslav Kantor, qui renvoie à la croissance explosive des manifestations antisémites de 2009, „cette croissance rappelle la situation antérieure à la Deuxième Guerre mondiale” [10]. En Autriche, en 2012, deux fois plus d’incidents antisémites ont été enregistrés par rapport à  2011 [11].

En Italie, 44% des italiens ont des préjugés et signalent de l’hostilité envers les Juifs, selon une étude publiée par le parlement italien en octobre 2011. L’étude montre qu’il existe des pactes entre les groupements d’activistes musulmans et les organisations d’extrême droite au sujet de l’organisation de raids communs contre les communautés juives, les synagogues, les écoles et les cimetières [12].

En Danemark, l’Ambassade d’Israël et une organisation juive danoise ont recommandé en 2012 aux Juifs de ce pays de ne pas afficher publiquement de signes distinctifs afin de se protéger contre de possibles actes antisémites. Les Juifs ont été conseillés de ne porter la kipa qu’après être entré dans la synagogue, de ne pas porter à la vue de tous des bijoux avec l’étoile de David et de ne pas parler hébreu en public [13].

En France, selon un sondage effectué par Anti-Defamation Leage (ADL), un tiers de la population manifeste en 2012 des sentiments antisémites, en comparaison avec un cinquième en 2009. Il s’agit d’une croissance considérable en une période de seulement trois ans. Dans ce pays habite la plus importante communauté juive de l’Europe d’Ouest, formée d’environ un demi-million d’individus, un peu moins de 1% du total de la population [14]. La situation concernant l’attitude envers les Juifs en France a obtenu de sérieuses résonances au plan international après le massacre antisémite de mars 2012 à Toulouse, lorsque trois enfants et un enseignant rabbin ont été tués dans la cour d’un collège juif par un extrémiste musulman. Les sondages effectués immédiatement après l’incident tant en France que dans neufs autres pays européens ont confirmé la croissance constante des sentiments antisémites en Europe en général [15]. Il est vrai que l’incident du massacre des juifs par un musulman a conduit aussi à l’escalade des sentiments raciaux et anti-musulmans [16].

Le football ne manque pas d’être instrumenté par les ultranationalistes dans les confrontations identitaires dans l’espace européen. En septembre 2011, un scandale aux nuances antisémites a été déclenché suite à un match de foot en ligue Europa disputé en Pologne entre l’équipe polonaise Legia Varsovia et l’équipe israélienne Hapoel Tel-Aviv. Pendant le match, les supporters polonais ont réalisé une chorégraphie, bien préparée à l’avance, dont la pièce centrale était un banner long de couleur verte (couleur du club, mais aussi de l’islam), sur lequel était écrit en lettres stylisées „Jihad Legia”.

 

Banner vert avec l’inscription „Jihad Legia”, affiché en tant que message antisémite par les supporters polonais durant un match de football entre des équipes polonaise et israélienne, 29 septembre 2011, Varsovie
PHOTO: asiaone.com

Les réactions d’indignation de la part des organisations juives n’ont pas tardé à apparaître. Dans l’un des messages transmis par l’Anti-Defamation Leage, on lit : „Le mot « DJihad » (Guerre sainte) est une référence claire au langage utilisé par les organisations terroristes qui menacent Israël et son utilisation durant un événement sportif auquel participe aussi une équipe juive est un geste scandaleux et offensant.” [17]. Malgré les pénalisations auxquelles sont soumis les organisateurs des matchs de football et leurs supporters, les messages xénophobes, antimusulmans ou antisémites ne peuvent pas être étouffés dans une Europe où les revendications ethno-raciales risquent de se déclencher avec une furie jamais rencontrée depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Ce qui se passe dans les tribunes est une réflexion plus audacieuse de la perception plus ou moins tacite parmi les larges masses. Au siècle des revendications identitaires où nous sommes entrés, qui pourrait garantir que ce qui s’est passé il y a un siècle ne se répétera plus ? Qu’apparaîtra-t-il une fois le confort socio-économique européen abaissé, quels sont les changements qui se produiront dans la nouvelle Europe, en grande mesure nationaliste ? Pour paraphraser une assertion connue, la haine ne disparaît jamais, elle se repose. [18]
 
Sources bibliographiques :
1. Franţa: antisemitismul face victime// de Bianca Andrieş. Adevarul.ro. 25 mai 2014
2. Конец формы Чернов М. Европа ищет «образ врага»
3.Опять евреи виноваты? // Татьяна Терновская. Известия. 12 февраля 2009
4. Антисемитизм в Германии — это психологическая защита от чувства вины // Елена Наймарк. Элементы. 27.10.09
5. Study reveals 20% of Germans are anti-Semitic // By Benjamin Weinthal. Jerusalem Post. 01/25/2012
6. Germanii cred că Israelul este o ţară agresivă // 24 mai 2012
7. Anti-Semitism still common in Germany, study finds. A study by a government-appointed committee has found that 20 percent of Germans still harbor latent anti-Semitism // by Talia Ralph. Global Post. January 23, 2012
8. Mulţi tineri musulmani îi urăsc pe evrei, dar nici măcar ei nu ştiu de ce… // Scris de dw-world.de. 30 Martie 2009
9. Study reveals 20% of Germans are anti-Semitic // By Benjamin Weinthal. Jerusalem Post. 01/25/2012
10. Антиантисемит. Вячеслав Кантор покидает Российский еврейский конгресс ради борьбы с антисемитизмом по всей Европе // Газета Коммерсантъ». № 22(4077) от 07.02.2009
11. Vienna Jewish leader claims anti-Semitic incidents doubled in Austria in 2012 as part of wider EU problem // by Shari Ryness. European Jewish Press. 07/Jan/2013
12. Europe’s Inexorable March Towards Islam // by Soeren Kern. Stonegate Institute. December 29, 2011
13. Evreii din Danemarca, sfatuiti de autoritati sa nu iasa in evidentă // FrontPress. 15.12.2012
14. 3 adevăruri crude după atacul de la Toulouse // Semnele Timpului. 23 mar 2012 /
15. Poll: ‘Anti-Semitic notions’ on rise among French, other Europeans // by Emily Alpert. Los Angeles Times, 21 Mar. 2012
16. France is a deeply racist country, and Toulouse will only make that worse. The French have transferred their resentments from Jews to Arabs // by Adrian Hamilton. The Independent. Friday, 23 March 2012
17. „Jihad Legia”: Suporterii polonezi acuzati de antisemitism! // FrontPress. 06.10.2011
18. Glucksmann A. Discursul urii. Bucureşti. Humanitas. 2007. 230 p.Imhoff R., Banse R. Ongoing Victim Suffering Increases Prejudice: The Case of Secondary Anti-Semitism // Psychological Science, 21 October 2009, online publication
 

Source: adevarul.ro

yogaesoteric
2016


 

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