Reconnaissance faciale : souriez, vous êtes filmés

 

2018 bienvenue à Shanghai : vous êtes en retard pour votre rendez-vous et vous traversez la rue au feu rouge. Pas de chance, vous avez été repéré par une caméra de vidéo-surveillance intégrant un logiciel de reconnaissance faciale utilisant l’intelligence artificielle. Votre nom apparaît instantanément sur l’écran géant situé de l’autre côté de la rue désigné à l’opprobre de la foule. Il y restera jusqu’à ce que vous vous ayez payé une amende.

Reconnaissance faciale : de multiples usages pratiques dans la vie quotidienne

Aéroport Charles de Gaulle, dernière ligne droite avant le retour à la maison après un long voyage. Il y a près d’1 heure de queue pour passer le contrôle de police. En bon français, on s’associe aux autres passagers pour râler contre le vieux pays incapable d’organiser correctement l’accueil des voyageurs. Cette scène appartient au passé. Depuis l’été de 2018, une vingtaine de portails de reconnaissance faciale ont été installés dans l’aérogare. Le fonctionnement est rapide et efficace : avant un sas, un lecteur scanne la photo de votre passeport. Vous avancez ensuite dans le sas équipé d’un système de reconnaissance faciale. Il scanne votre visage et le compare en 15 secondes à celui du passeport. Ouf, les deux correspondent. Vous pouvez y aller.

De nombreuses tâches quotidiennes pourront de la même façon être facilitée par la reconnaissance faciale. Fini la carte bleue pour retirer du cash au distributeur. Il saura reconnaître votre visage. Plus de code PIN pour mettre en marche votre smartphone, il a votre visage en mémoire et vous reconnaîtra … Dites au revoir au précieux badge pour l’entrée dans votre entreprise que vous avez encore égaré… Et puis en vous reconnaissant, on peut vous proposer instantanément des publicités sur mesure. En Chine, toutes ces utilisations concrètes de la reconnaissance faciale existent déjà.

Les applications de la reconnaissance faciale ne s’arrêtent pas là. Les logiciels de reconnaissance faciale permettent également de détecter les émotions sur les visages. Tout un champ d’applications s’ouvre alors. Dans la salle de classe équipée des caméras de la start-up chinoise SenseTime, le professeur pourra savoir les élèves dissipés, les élèves concentrés, les élèves en forme, les élèves malheureux… Adieu les « pions », bonjour les caméras. On pourrait enfin savoir si ses collaborateurs sont vraiment attentifs lors des réunions et réceptifs à ses propos.

Reconnaissance faciale : l’intelligence artificielle change la donne

Les technologies de reconnaissance faciale sont déjà entrées dans les vies des gens depuis quelques années. Vous souvenez-vous du logiciel de photos Picasa ? Il repérait les visages qui apparaissaient fréquemment dans vos photos et permettait un tri facile des photos suivant les personnes présentes. Ça c’était il y a bien longtemps !!!! (Google entre-temps a racheté Picasa qui s’appelle désormais Google Photos)

C’était avant l’essor de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond (deep learning). Si vous lisez régulièrement Étonnante Époque, vous savez que ces technologies permettent facilement de changer les visages sur une vidéo pour faire des vidéos deep fake, de cloner n’importe quelle voix avec les applications deep voice. De la même manière, elles permettent une avancée massive des technologies de reconnaissance faciale.

Ce sont les Chinois qui sont les plus avancés dans ce domaine. La start-up chinoise SenseTime fondée il y a seulement 4 ans annonçait ainsi en avril 2018 une levée de fonds de 600 millions de dollars soutenue notamment par Alibaba. Elle est ainsi devenue l’entreprise d’intelligence artificielle à la plus forte valorisation au monde. Elle a recommencé cet été avec l’annonce de l’injection de 1 milliard de dollars par le Japonais Softbank. Vous le voyez SenseTime dispose des moyens financiers de ses ambitions.

Jusqu’à peu de temps, la reconnaissance faciale marchait bien sur des visages immobiles (comme à l’aéroport Charles de Gaulle). SenseTime travaille sur l’amélioration des technologies de reconnaissance faciale pour qu’elles fonctionnent aussi sur des individus en mouvement en train de marcher ou en train de conduire leur voiture. La reconnaissance faciale se limitait aux photos. Elle s’applique désormais aussi aux vidéos. L’entreprise vise pour ses applications un taux d’erreur extrêmement faible, inférieur à 0.01%.

Reconnaissance faciale : Big Brother is watching you

Les rues chinoises sont équipées de 170 millions de caméras de vidéo-surveillance. Il est prévu de tripler ce chiffre d’ici 5 ans. Lors de l’attribution des documents d’identité, l’état chinois constitue une base de données complète des photos des citoyens chinois. Il ne restait plus qu’à connecter cette base de données et les images issues des caméras de vidéo-surveillance. C’est ce chaînon manquant sur lequel travaille SenseTime avec son projet Viper : des logiciels qui rendent les caméras intelligentes, des solutions de traitement big data pour analyser la masse des images générées par les caméras.

Il est notable à l’instar des systèmes de notation sociale que ces systèmes de surveillance de masse par la reconnaissance faciale se mettent en place par une étroite collaboration entre l’état communiste et des entreprises privées qui apportent la technologie : en l’occurrence SenseTime une start-up qui se finance exactement comme les jeunes pousses de la Silicon Valley y compris avec des capitaux américains. Bienvenue dans le monde de SenseTime. On vous invite à regarder cette vidéo complètement hallucinante qui présente les produits de SenseTime. La musique rock de fond contraste avec le caractère glaçant de ce film.

Reconnaissance faciale : impossible en occident ? Pas si sûr

La reconnaissance faciale n’appartient donc plus aux seuls livres de science-fiction. Mais direz-vous : l’Europe n’est pas la Chine et ça n’est pas prêt d’arriver chez vous. On pense au contraire que c’est tout à fait possible et plus vite qu’on ne le croit. Les caméras de surveillance sont déjà en place dans de nombreuses villes et sont aujourd’hui un outil incontournable des politiques de sécurité. Quand la technologie de reconnaissance faciale sera vraiment au point, se posera la question de leur utilisation ou non notamment dans la lutte contre le terrorisme. Des débats ont déjà eu lieu à l’assemblée pour l’autorisation de ces technologies pour détecter les fichés S grâce aux caméras de surveillance.

Aux Etats Unis, les GAFA travaillent elles aussi sur la reconnaissance faciale. Facebook propose d’ores et déjà à ses utilisateurs qui le souhaitent d’être informés des photos d’eux publiés sur le réseau social.

Amazon propose dans son offre Amazon Rekognition un logiciel de reconnaissance faciale s’appuyant sur l’AI, facturé 0.10$ / minute de vidéo analysée. Ses fonctionnalités sont comparables à celles des logiciels de SenseTime. De nombreuses villes américaines ont équipé leurs polices de ce produit suscitant la controverse. La puissante association ACLU (American Civil Liberties Union) de défense des libertés est partie en guerre contre les utilisations abusives d’Amazon Rekognition par les polices locales. Elle reproche au logiciel son manque de fiabilité mais aussi le risque de stigmatisation de certaines communautés.

Au mois de juillet 2018, Brad Smith le Président et Directeur des Affaires juridiques de Microsoft a publié un long article sur le sujet. Il y constate les progrès rapides des technologies de reconnaissance faciale avec l’AI et les risques de dérive qu’elles engendrent. Il met notamment en garde sur les énormes questions qu’elles posent en termes de liberté individuelle. Il appelle l’Etat américain à légiférer rapidement sur le sujet. Cette alerte doit être prise très au sérieux tant les souvent libertariennes GAFAM vous ont peu habitués à réclamer la régulation de leurs activités par l’état.

Le garde-fou viendra de l’encadrement par la loi de la création de bases de données de visages et l’utilisation des données collectées. En France, l’utilisation de la reconnaissance faciale pour le compte de l’État nécessite d’être autorisée par un décret pris en Conseil d’État, après avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et libertés (CNIL). Les autorisations ne sont pour l’instant données qu’au compte-goutte. Le contrôle de l’utilisation des données sera ensuite le point clé. On voit bien avec l’utilisation intensive que font les GAFA de vos données personnelles et les dérives révélées par l’affaire Snowden sur la surveillance téléphonique que le sujet est plus qu’épineux.

Avec les technologies de reconnaissance faciale, vous allez devoir faire rapidement un choix de société. On a déjà accepté sans broncher que les smartphones tracent les mouvements comme un fil à la patte. Abandonneront-ils les gens un nouveau pan complet de leur liberté individuelle contre un supplément de confort au quotidien et plus de sécurité collective? Ce choix rappelle celui d’Esaü vendant son âme pour un plat de lentilles… Malheureusement la maîtrise technologique de ces sujets semble aujourd’hui largement échapper à l’Europe. Il est donc probable que le vieux continent soit condamné à subir. Nul doute qu’on aura des débats animés à ce sujet.

 

yogaesoteric
22 mars 2019

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