Shambhala est réel (XI)

Le messager porteur de la connaissance (II)

 

par Monica Dascălu

Lisez ici la partie antérieure de cet article.

Le chemin vers Shambhala est jalonné d’obstacles difficiles. Pour le yogi tantrique, l’osmose entre le monde intérieur et le monde extérieur fait que tout ce qui se manifeste à l’extérieur ait un correspondant intérieur. Ainsi, pour les initiés, les guides de voyage vers Shambhala sont traduits en termes de développement spirituel intérieur et les obstacles intérieurs posés par l’ego sont plus difficiles et plus dangereux que n’importe quel obstacle extérieur. Le Guide de Voyage vers Shambhala dont nous avons commencé la présentation dans l’article précédent nous enseigne comment aborder ces obstacles pour réussir à les surmonter.

« De l’autre côté de ce passage sombre et lugubre vous tombez sur une rivière sauvage et mousseuse qui est la rivière Sita. Ses eaux tumultueuses font un bruit qui ressemble au vent enragé qui souffle lors de la fin du monde. Toute chose arrosée de cette eau est immédiatement transformée en pierre.
Méfiez-vous. Prenez une branche d’arbre, tirez-la doucement en arrière comme si c’était la corde d’un arc. Elle va vous jeter en l’air de sorte que vous allez voler comme un oiseau au-dessus de la rivière. »

Après avoir traversé la « forêt » du subconscient, le yogi atteint la rivière Sita, turbulente, dangereuse et très froide. Pareil au regard de la Méduse de la mythologie grecque, l’eau de la rivière Sita transforme en pierre tout ce qu’elle touche. Cette métaphore exprime la forme la plus complète possible d’enchaînement, car il est la conséquence d’une « fixation » de notre mental sur une certaine image de lui-même.

Cet enchaînement provient du désir erroné de l’ego d’obtenir une sorte d’immortalité dans une forme matérielle, ce qui est d’une part impossible et d’autre part représente la mort de l’esprit même. Par conséquent, l’obstacle constitué par la rivière Sita symbolise l’essence de toutes les forces inconscientes qui s’opposent à la libération spirituelle, la turbulence de la rivière illustre la nature grossière et impure de la terrible énergie que ces forces possèdent. Le yogi parvient à surmonter cet obstacle difficile avec une branche d’arbre qui peut le faire voler sans être touché par aucune goutte tueuse. Les arbres symbolisent, entre autres, la source de la vitalité intérieure où le yogi trouve les ressources nécessaires pour vaincre les forces mortelles enchaînantes qu’il découvre en lui-même.

« De l’autre côté, vous découvrirez avec ravissement un parc tranquille où les éléphants jouent sous des arcades de végétation sauvage, vert claire comme le cou de paon. Des branches de bois de santal, humidifiées avec des gouttes de rosée bondissent comme des cobras, formant des voûtes d’ombre fraîche. Des fruits délicieux, jaune-or, suspendus dans les arbres, attendent d’être cueillis et mangés. Les biches ont mis du lait pour leurs bébés dans de petites soucoupes comme si les dieux eux-mêmes vous offraient à boire. Arrêtez-vous là et reposez-vous un peu. »

À la suite de son vol au-dessus de cet obstacle (vol qui représente en fait un saut dans la transcendance), le yogi entre soudain dans un état béni de paix intérieure et d’harmonie, symbolisée par le parc tranquille de l’autre côté de la rivière. Tout ce dont il a besoin se produit spontanément, apparemment sans effort : le lait des biches, les fruits nutritifs, l’ombre fraîche, tout cela vient combler tous les besoins du yogi. Ces états d’apparente réalisation spirituelle se produisent sur le chemin spirituel à chaque fois qu’on surmonte un obstacle difficile. Mais ils ne durent pas très longtemps : après le parc paisible suit la forêt terrible.

« Reposes-toi parce que s’annoncent beaucoup de journées de voyage fatigantes à travers une forêt sombre et effrayante. Des troupeaux d’animaux meurtriers, gorgés de la graisse et du sang de leurs victimes, aux yeux comme des étincelles de feu et des crinières épineuses de fourrure emmêlée et salie de sang errent dans la forêt touffue. Tout autour, comme vous avancez, vous entendez leurs grognements menaçants et leur manière de croquer les os avec un bruit horrible de haches coupant du bois. Les morceaux de viande et d’os encore chauds des victimes récentes sont éparpillés le long du chemin. Des bosquets sombres bordant le chemin, des yeux démoniaques, rouges comme le cuivre, vous espionnent lorsque vous passez par là.

Des sorcières apparaîtront au cours de la journée sous forme humaine, tandis que  la nuit, elles prendront la forme de lions ou de tigres. Comme des messagers du Seigneur de la mort, des hordes de voyageurs nocturnes fantomatiques carnivores essayeront de se nourrir de votre chair. En orientant envers tous ces monstres effrayants un état de compassion profonde et inépuisable, vous pouvez soumettre leur colère de tuer et vous serez à même de passer en toute sécurité à travers la forêt. »

Le voyage semble être formé d’une série démoralisante d’obstacles : au moment même où vous pensez avoir atteint un état de paix permanente déborde des profondeurs du subconscient des vagues de chaos intérieur, souvent plus inquiétantes que tout ce que vous avez connu auparavant. Les choses se passent ainsi précisément parce que ces états éclairants d’harmonie sont accompagnés par une clarification au niveau de la conscience, qui met à son tour en évidence le contenu refoulé du subconscient à des niveaux toujours plus profonds, jusque-là cachés, et qui restent à harmoniser. D’un certain point de vue, la manifestation de ces obstacles indique le progrès sur le chemin spirituel.

Les créatures effrayantes de la forêt d’au-delà du parc symbolisent le contenu « féroce » du subconscient que Rinpungpa doit affronter maintenant. Les pulsions destructrices de la colère refoulée, de la convoitise et de l’envie remontent sous forme d’animaux meurtriers, de démons et d’autres « mangeurs de viande ». Le massacre qui se déroule dans la forêt représente le carnage causé par ces impulsions guerrières – les conflits intérieurs épuisent le yogi et souvent le font perdre le niveau de conscience atteint auparavant. Les sorcières qui se manifestent dans la journée sous une forme humaine et dans la nuit sous forme de lions ou de tigres indiquent la nature illusoire et changeante des forces subconscientes.

Chercher à éliminer ces forces ou lutter contre elles avec agressivité mène au maximum à leur répression, ce qui finit par leur accorder un plus grand pouvoir sur nous. Donc Rinpungpa reconnaît et accepte les forces auxquelles il est confronté comme étant ses propres impulsions et non pas la manifestation d’ennemis extérieurs. N’étant plus agitées par une suppression, ni cachées dans des recoins où elles pourraient continuer leur action, elles perdent leur nature féroce et cessent de déchaîner leur vengeance sur lui. Regardant avec compassion les êtres qui le menacent, le yogi dissipe leur haine et leur désir de tuer.

« Ensuite, tu arriveras à une vaste étendue d’eau qui semble aussi vaste et sans fin comme le ciel. En raison de l’accumulation de tes mérites, une barque t’attend au bord pour te porter au-delà de cette étendue d’eau. Toujours dû aux actions antérieures, un bon vent se déclenchera et, si tu gères soigneusement la barque, le vent te portera vers le rivage lointain où tu veux aller. »

En sortant de la forêt, le yogi arrive à une étendue d’eau gigantesque qui semble sans fin. Maintenant qu’il n’est plus limité par la crainte des impulsions sauvages provenant de l’intérieur, Rinpungpa expérimente soudain l’immensité du subconscient, et au premier moment il en est comblé. L’aide qui vient maintenant sous la forme de la barque et de la brise qui le porte sur les eaux provient de ses bonnes et vertueuses actions du passé.

Selon une métaphore bouddhiste, l’image d’une barque et du vent qui la pousse symbolise le corps et la force du Karma. Leur utilisation de manière habile et sage fait en sorte que le voyageur puisse traverser l’océan de l’illusion – les vastes et les trompeurs domaines du subconscient qui séparent encore Rinpungpa de l’état de conscience pure du supramental.

« De là, tu dois aller vers le nord, traversant un désert aride qui s’étend devant toi comme les chemins désespérés de la souffrance qui envahit ce monde d’illusion. Reflétée par le sable, l’éblouissante chaleur interminable du soleil va te frire comme le feu d’un four qui fait fondre l’argent et le transforme en gouttelettes liquides.

Si tu essayes de te refroidir à l’aide d’éventails faits de feuilles sèches, tu ne réussiras qu’à brûler ta peau avec de l’air chaud. Le sifflement languissant du vent dans l’herbe sèche te fera soupirer de tristesse et de désespoir.

Rappelles-toi les connaissances mystiques que tu détiens et utilises-les. Frotte ta gorge (les amygdales) pour qu’un nectar refroidissant coule de la lune secrète à l’intérieur de ton être. Si tu sais comment savourer ce liquide apaisant, la soif et la faim disparaîtront, tout comme la vieillesse et la mort. »

La traversée du désert qui suit alors symbolise un stade commun à toutes les recherches mystiques: le sentiment insupportable de « soif » spirituelle et de désolation qui apparaît lorsque le chercheur spirituel doit abandonner certaines idées et sentiments inspirateurs qui, bien qu’ils l’ont pris en charge jusqu’à présent, ne sont plus utiles. Il faut les abandonner avant qu’ils ne deviennent des obstacles sur le chemin spirituel. Les illusions apaisantes ne fournissent plus une protection extérieure au yogi, il doit alors rechercher à l’intérieur les ressources nécessaires pour résister à cette étape douloureuse.

Le centre secret de la lune se réfère sans doute au centre de force Soma Chakra, qui est la source de Soma, le nectar de l’immortalité, et le procédé par lequel le yogi fait déclencher en lui l’écoulement de SOMA est probablement une référence au célèbre Kechari Mudra des Hatha et Tantra Yoga.

« Après le désert, à la fin duquel tu arriveras après plusieurs jours et plusieurs nuits de suite, tu devras passer une chaîne de montagnes très hautes. Comme tu monteras, un vent terrible jettera sur toi un sable âpre, des feuilles et des morceaux de branches qui frapperont ton visage, grattant ta peau et te causant une grande douleur. Encore une fois tu devras utiliser tes connaissances pour préparer une pommade secrète qui va protéger ta peau contre le vent. Ce médicament est très fort, il purifiera ta vision et rendra tes yeux plus lumineux. »

Mais à ce stade du voyage les forces subconscientes qui s’opposent au voyage intérieur vers le Soi Suprême éclatent à nouveau comme une haute montagne et comme un vent jetant du sable au visage du yogi, des feuilles sèches et des brindilles – la terrible résistance des liens qui s’opposent au progrès spirituel par le maintien d’une certaine image que l’ego a de lui-même.

Pour répondre à cette attaque sauvage du « vent » qui jette en face les débris de son image de lui-même et du monde, le yogi doit faire un onguent protecteur qui sera également destiné à clarifier sa vue spirituelle : comme précédemment, affronter un certain niveau subconscient peut conduire à une vision spirituelle plus profonde, à un état de conscience plus pure et plus profonde. Et encore une fois, en nous encourageant à développer notre force intérieure afin de pouvoir les surmonter, les obstacles peuvent jouer un rôle positif dans notre voyage intérieur à Shambhala. Dûment abordés et surmontés avec succès, les obstacles sur le chemin spirituel peuvent être alchimisés en opportunités qui nous aident à réveiller des aspects de plus en plus profonds de l’âme et du mental.

« Dans les montagnes, la route descend vers l’effrayante Forêt de Cuivre où habitent des serpents géants dont les mâchoires sont grosses comme des maisons. Ils ont des yeux rouges comme le cuivre et des corps grands et noirs, qui à distance ressemblent à des montagnes. Ces serpents dorment six mois par an, mais ensuite ils se réveillent et tuent pour se nourrir. Leur respiration est telle une vapeur toxique envoyant à une distance d’un kilomètre un souffle qui transforme en poussière tout ce qui s’oppose à lui. Mais si tu prépares l’antidote approprié, il va refaire ton corps et t’aidera à passer par la respiration des serpents venimeux sans être nui.

Tu arriveras alors à une haute montagne se terminant en trois pics acérés. Ses pentes sont couvertes de pierres aux arêtes vives afin que personne ne puisse la parcourir avec des chaussures ordinaires. En utilisant une fois de plus tes connaissances secrètes, tu peux rendre la plante de tes pieds dure et résistante comme une plaque de métal. Ainsi, tu seras en mesure de franchir cet obstacle douloureux. »

Le même processus est illustré dans le cas des deux obstacles suivants : d’abord, le souffle venimeux des serpents géants symbolise les forces destructrices de l’ego qui font croire à l’aspirant spirituel que l’évolution spirituelle par la transcendance de l’ego va détruire son existence même.

Sachant que l’évolution et la connaissance spirituelle détruiront toutes ses illusions sur lui-même et non pas sa nature réelle, Rinpungpa a l’antidote nécessaire pour surmonter cet obstacle. Cette connaissance spirituelle lui donne le courage de passer par le processus de la mort de l’ego et de la renaissance spirituelle, qui le libère de l’identification avec l’ego.

Et encore une fois, l’obstacle suivant, la montagne recouverte de cailloux pointus et tranchants nous montre comment la renonciation à certaines illusions entraîne d’abord la conscientisation, douloureuse et désagréable, de certains aspects plus profondément refoulés de la conscience superficielle. Et ici, la connaissance secrète que Rinpungpa utilise pour protéger la plante de ses pieds symbolise une compréhension plus approfondie qui lui permet de faire face à ces parties cachées de son ego, sans être submergé par des réactions telles que le dégoût et la honte, symbolisés par les pierres pointues.

« A quelques kilomètres au nord se trouve un autre pic, appelé Mont de l’encens. Ses prairies verdoyantes et son feuillage luxuriant donnent à cette montagne l’aspect d’un amas d’émeraudes brillants. Des herbes médicinales et des arbres parfumés poussent sur ses pentes douces, remplissant l’air d’un parfum délicieux. Beaucoup de sages et des yogis doués de pouvoirs occultes vivent sur cette montagne, dans des grottes avec des pierres précieuses dont les parois sont emplis de pierres précieuses. Droits, immobiles, toujours plongés dans la méditation, ils regardent droit devant eux et leurs yeux profonds et bleus ne clignotent jamais.

Leur peau est dorée et un léger sourire courbe leurs lèvres. Quand tu les vois, prosterne-toi devant eux pour leur rendre hommage et offre-leur des offrandes de fleurs. Puis demande leur aide et leur conseil pour arriver à Shambhala. Parce qu’ils sont en mesure d’accomplir tout ce qu’ils veulent, ils peuvent te protéger contre les dangers du voyage et peuvent t’aider à surmonter tous les obstacles que tu rencontras. »

Après des efforts considérables déployés pour surmonter ces obstacles, le yogi finit par atteindre une nouvelle escale paisible et reposante : la merveilleuse Montagne d’Encens, habitée par des saints et des sages. Les yogis qui méditent là-bas, dans une atmosphère de sainteté sublime, symbolisent un niveau très profond et pur de la conscience individuelle.

En fait, ce niveau reflète la lumière même de la nature ultime du yogi, le Soi Suprême Atman, qui n’est pas encore vécu directement. A ce stade de son évolution, il peut percevoir la « réflexion » de cette vérité ultime et peut avoir l’intuition de celle-ci en regardant les sages de la Montagne d’Encens. La prosternation devant les sages symbolise la soumission des caprices et des désirs inférieurs de l’ego devant les aspects supérieurs de l’être. De cette façon, le yogi a de plus en plus accès à la sagesse du supramental qui lui donne la force de continuer son voyage initiatique.

Lisez ici la suivante partie de cet article.


yogaesoteric
2015

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