Triomphe et tragédie en Grèce : L’une des pages les plus sombres de l’impérialisme britannique
La Grèce, située au carrefour de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, a toujours eu une importance stratégique pour les puissances mondiales. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays a subi une occupation brutale par les forces de l’Axe. L’Italie fasciste a envahi la Grèce en octobre 1940, mais a été repoussée avec succès par l’armée grecque. Cependant, l’intervention de l’Allemagne nazie en avril 1941 a conduit à l’occupation du pays. La Grèce a été divisée entre l’Italie, l’Allemagne et la Bulgarie, et une résistance armée a rapidement vu le jour. Parmi les principales forces de résistance se trouvait l’EAM (Front de Libération Nationale), soutenu par le Parti Communiste Grec (KKE), et son bras armé, l’ELAS.
Contexte historique : La Grèce pendant et après la Seconde Guerre mondiale
La population grecque a énormément souffert pendant l’occupation. Des millions de personnes sont mortes de faim, en particulier durant l’hiver 1941-1942, tandis que les forces de l’Axe s’appropriaient les ressources alimentaires. Parallèlement, la Résistance a organisé des sabotages, des grèves et des insurrections locales contre les occupants, gagnant un large soutien populaire. Après le retrait des troupes nazies en octobre 1944, la Grèce a dû faire face à une nouvelle crise : la lutte pour le pouvoir entre la Résistance communiste et les forces monarchiques soutenues par la Grande-Bretagne.
Les stratégies britanniques et l’obsession de Churchill
Pour Winston Churchill, le contrôle de la Grèce était une priorité absolue, car sa position géographique garantissait l’accès aux routes maritimes de la Méditerranée orientale. Comme l’a expliqué Eyre Crowe en 1907, la politique étrangère britannique était guidée par la nécessité de maintenir une puissance navale prépondérante. Pour Churchill, la Méditerranée représentait le « ventre mou » de l’Europe, et la Grèce en était un nœud stratégique crucial.
Bien que la Grande-Bretagne ait proclamé vouloir libérer le pays des nazis, son objectif politique était clair : empêcher qu’un gouvernement communiste ne prenne le pouvoir. Churchill était prêt à soutenir la droite monarchique, même au prix de collaborer avec des éléments ayant soutenu l’occupation nazie. Cela a conduit à une intervention militaire directe en Grèce en 1944, avec l’ordre de neutraliser l’ELAS, qualifié de « bande rebelle ».
Les instructions de Churchill au général Ronald Scobie étaient sans équivoque : « Traitez Athènes comme une ville coloniale et écrasez toute opposition communiste ». La stratégie prévoyait l’utilisation de troupes britanniques pour consolider le pouvoir de la monarchie grecque, exilée pendant l’occupation, et désarmer la Résistance.
La Résistance grecque : Un mouvement révolutionnaire sans leader indépendant
L’EAM/ELAS n’était pas seulement une armée de guérilla : c’était un mouvement social qui avait transformé la société grecque pendant l’occupation. Dans les villages libérés, des assemblées populaires démocratiques ont été instituées où, pour la première fois, les femmes pouvaient voter et participer aux décisions politiques. La Résistance a organisé des écoles, des hôpitaux et des tribunaux, créant une sorte de gouvernement alternatif.
Militairement, l’ELAS a mené des opérations de sabotage et de guérilla qui ont infligé de lourdes pertes aux forces de l’Axe. En 1943, le général allemand Speidel a tenté de mobiliser les hommes grecs pour des travaux forcés, mais l’EAM a répondu par une grève générale et un soulèvement populaire, contraignant les nazis à retirer l’ordre.
Cependant, la Résistance grecque manquait d’un leader indépendant comme Tito en Yougoslavie. Ses décisions étaient fortement influencées par Moscou, qui préférait éviter une confrontation directe avec les Alliés en Grèce. Ce manque d’autonomie politique s’est avéré fatal : l’ELAS a accepté de ne pas occuper Athènes et de permettre le débarquement britannique, une décision que Churchill a exploitée pour consolider le contrôle britannique.
Les atrocités britanniques et le soutien aux collaborateurs
L’intervention britannique en Grèce a été marquée par une brutalité sans précédent. Les troupes britanniques et les forces monarchiques grecques, souvent composées d’anciens collaborateurs nazis, ont mené une répression féroce contre l’ELAS et ses partisans. Dans plusieurs villes, des têtes décapitées de partisans ont été exposées sur les places publiques comme avertissement à la population. L’ambassade britannique a justifié ces pratiques en les qualifiant de « traditions locales », mais elles constituaient des violations flagrantes des droits humains.
À Athènes, les troupes britanniques ont attaqué des manifestants désarmés, causant des centaines de morts. La violence a atteint son paroxysme pendant les 33 jours de combats entre l’ELAS et les forces britanniques, transformant Athènes en champ de bataille. L’ELAS a été contraint de se retirer, mais la guerre civile qui a suivi a dévasté davantage le pays.
Réactions internationales et indifférence de Staline

L’intervention britannique a été facilitée par les accords de Yalta, qui assignaient la Grèce à la sphère d’influence occidentale. Staline, respectant ces accords, n’a pas soutenu activement l’ELAS, préférant se concentrer sur les Balkans et l’Europe de l’Est. Les États-Unis, bien qu’informés des atrocités britanniques, ont tacitement soutenu Churchill, considérant la Grèce comme un front stratégique contre le communisme.
Malgré quelques critiques de la part de fonctionnaires britanniques et de journaux comme The Times, le discours officiel présentait l’intervention comme une lutte pour la démocratie contre le communisme. Cette propagande a obscurci la réalité : l’imposition d’un régime autoritaire en Grèce, soutenu par la force militaire britannique.
L’héritage politique et culturel de la tragédie grecque
L’intervention britannique en Grèce a marqué le début d’une longue période de violence. La guerre civile grecque (1946-1949) a été l’un des premiers conflits de la Guerre froide, avec les États-Unis remplaçant la Grande-Bretagne dans le soutien aux forces monarchiques. La victoire de la droite a conduit à des décennies de répression contre les partisans de la Résistance, culminant avec le coup d’État des colonels en 1967.
Culturellement, la tragédie grecque reste une blessure ouverte. Des documentaires comme The Hidden War et des témoignages d’anciens partisans ont révélé le rôle britannique dans la répression, suscitant des controverses des décennies plus tard. La mémoire de ces événements continue de diviser la société grecque et constitue un avertissement contre les ingérences étrangères.
Citations, sources et témoignages
Les témoignages d’officiers britanniques, comme C.M. Woodhouse, révèlent l’ambiguïté morale de l’intervention en Grèce. Woodhouse a admis que « l’ELAS aurait pu gagner, mais les instructions de Moscou l’ont arrêté ». Des partisans grecs interrogés dans les années 1980 ont décrit l’intervention britannique comme une « trahison », tandis que des documents déclassifiés montrent que Churchill considérait la Grèce comme une « propriété impériale ». Les récits de civils grecs décrivent la brutalité des violences, avec des épisodes comme le siège d’Athènes gravés dans la mémoire collective.
Conclusion : Une leçon oubliée
La tragédie grecque de 1944-1945 est l’une des pages les plus sombres de l’histoire européenne. L’intervention britannique, guidée par le cynisme géopolitique, a sacrifié un mouvement de libération populaire pour préserver l’hégémonie impériale. Cet événement n’a pas seulement dévasté la Grèce, mais a marqué le début de la Guerre froide, démontrant comment la rhétorique de la liberté peut être utilisée pour justifier la répression. La mémoire de ces événements reste vivante, un avertissement contre l’arrogance du pouvoir et les conséquences de l’impérialisme.
yogaesoteric
3 février 2025