« Je vis comme à l’âge de pierre » : partie chasser la simplicité de l’être (2)

Lisez la première partie de cet article

Une amie médecin regarnit régulièrement leur trousse à pharmacie. « En Europe, où nous rencontrons des gens tous les deux ou trois jours, nous sommes plus souvent enrhumés. Alors qu’en isolement complet au fin fond de la Nouvelle-Zélande, nous étions toujours en excellente santé », raconte-t-elle en riant. 

Différence d’âge, pas de motivation : 30 ans séparent Miriam et son mari, Peter. Elle porte 25 kilos, lui 15.

Je ne suis pas une hippie. Ma vie ressemble plus à celle d’une athlète de haut niveau.

Ce que Miriam a appris le plus vite au contact de la nature, c’est à prendre les choses telles qu’elles viennent et à faire corps avec elles. Bien que la fumée du feu de camp soit une source continuelle d’irritation pour les voies respiratoires, la moindre quinte de toux ne lui fait pas automatiquement redouter un cancer des poumons. Au contraire, elle se rassure dans un haussement d’épaules : l’homme endure cela depuis des millénaires. Quand elle ne retrouve plus sa cuillère, elle mange avec les doigts. Si la musique lui manque, elle se met à fredonner. Il n’y a qu’une seule chose avec laquelle elle fût longtemps aux prises : l’ennui. « La ville ne me manque pas. Mais être assise là à ne rien faire, être en état de contemplation, ça, je ne le pouvais pas. » Les livres emportés en État sauvage sont lus, relus et re-relus. Après que l’emplacement pour la nuit a été nettoyé, Miriam cherche désespérément une tâche à accomplir ; elle veut se rendre utile. « Dans la nature, il y a toujours quelque chose à faire – on ramasse du bois jusqu’à cinq fois par jour, on lave la vaisselle et les vêtements dans les cours d’eau, on foule la terre à mains nues pour préparer l’emplacement de la tente – et pourtant, l’ennui me pesait, je me morfondais. Mon problème était que, d’un point de vue normal, je n’avais pas de but et pas d’avenir. J’avais l’impression d’avancer dans un brouillard opaque, c’était terrifiant. » 

Le brouillard finit par se dissiper au fur et à mesure que ses sens s’aiguisaient. « Quand je contemple les montagnes maintenant, je ne trouve plus cela ennuyant. Je ne perçois plus seulement leur contour, mais aussi leurs couleurs et l’atmosphère. Je sens, littéralement, quand la pluie n’est pas loin, et aussi quand un animal sauvage m’observe ; j’entends le vent dans les feuillages. » Ça fait un peu hippie ; le mot lui déplaît. Les hippies lui semblent trop idéalistes et trop indisciplinés. « La vie de nomade ressemble à celle d’un athlète de haut niveau. Il est essentiel d’être en bonne forme physique. » Sans repos, les chances de survie sont elles aussi réduites à leur minimum. « Le sommeil est un remède universel sous-estimé », déclare Miriam, dont les grands yeux pétillent de vivacité. Elle-même refusait de le croire. Jusqu’à ce que, au bout de plusieurs semaines loin de la civilisation, elle réalise qu’en dormant 10 à 12 heures par nuit, elle gagnait en énergie. « Je m’étonne encore aujourd’hui des sommes que les gens peuvent dépenser en superfood. Ils dorment cinq heures par nuit, maquillent la fatigue avec de la caféine et s’imaginent suivre une bonne hygiène de vie grâce à une alimentation équilibrée. Mon conseil : allez-vous coucher tôt et voyez ce qu’il se passe. Vous allez être épaté. Une partie de nos problèmes est liée à un manque de sommeil chronique. » 

5 conseils de Miriam Lancewood pour aller à l’essentiel. Et l’aimer. 

La règle des douze mois :

1. débarrassez-vous de tout ce que vous n’avez pas utilisé au cours de l’année écoulée. Chaque possession en moins libère mentalement de la place, car on n’a plus besoin de penser à l’entretien ni au rangement. 
2. Ouvrez les yeux et les oreilles. Soyez sensible à la nature, prenez-la en compte chaque jour, pas que le week-end. 
3. Non aux selfies. Car on n’y cherche que les défauts. Débarrassez-vous aussi des miroirs. Vous verrez la différence. 
4. Embrassez l’ennui. Il développera vos sens. Quand avez-vous décelé pour la dernière fois le bruissement d’ailes d’un oiseau ? Vraiment. 
5. Faites de l’exercice. Quand on est en forme, on se sent moins sujet aux vertiges. Dormir est aussi un bon remède, le sommeil rend fort car c’est en dormant que le corps se régénère.

Cela fait des années que Miriam n’a pas eue besoin de faire de visite médicale. Elle assure que ses batteries sont rechargées à 100%. « Je vis comme une femme des cavernes, certes, mais je ne suis pas folle. Si nous tombions malades, nous irions chez le médecin, bien évidemment. Nous avons des économies pour cela, nous ne sommes pas démunis. » Une à deux fois par mois, Miriam et Peter descendent dans la vallée, pêchent leur carte de crédit au fond de leur sac, achètent des provisions, envoient un signe de vie virtuel à la famille depuis une bibliothèque ou un café Internet. Ils dépensent environ 3000 € par an en vivres, vêtements et équipement de rando. Les coûts de transport (bus ou train) leur incombent rarement, car Miriam est une autostoppeuse convaincue. À strictement parler, ces 3.000 € sont un jeu à somme nulle, car ils subviennent à leurs besoins en utilisant uniquement les intérêts que leur rapportent leurs économies. « En Nouvelle-Zélande, on peut investir avec un gain de capital de 3 à 4%. » Il y a des années de cela, Peter a vendu ses biens et s’est retrouvé avec environ 60.000 €. Cette somme, selon eux, est restée relativement constante. « Quand nous sommes en ville, nous jouons de la musique dans les rues ; une maison d’édition a même publié un livre sur notre expérience de vie. Nous entamons notre capital au minimum. » 

Toilette de chat. Sa dernière douche, Miriam l’a prise il y a six mois

Peter et Miriam ont randonné 5.000 km ensemble.

La nuit en forêt. Ni livre ni portable, rien qu’une lampe torche solaire

Car pour Miriam, l’argent représente surtout du temps de vie. « Si je m’offre une voiture au prix fort, je dois avoir à l’esprit que pour la rembourser, je devrais trimer les cinq ou dix prochaines années de ma vie. Alors que si je ne dépense pas cet argent, il m’en restera plus pour d’autres choses. Pour vivre notamment. » C’est pourquoi elle se passe volontiers du confort d’une douche ou de WC propres. C’est là le cœur du sujet qui préoccupe réellement Miriam et Peter. « Pas besoin d’être millionnaire pour arrêter de travailler. Le sentiment de sécurité peut aussi avoir l’effet inverse. Je vois souvent de sublimes maisons quand je me promène. La plupart sont abandonnées car les propriétaires sont au travail pour pouvoir la payer. Si je devais rembourser un crédit, j’aurais constamment les nerfs à vifs, à me demander si j’arriverais à tenir les mensualités. » 

Pour eux, la liberté, c’est avoir tout le temps du monde et être en communion avec la nature.

En cessant de chercher à assouvir son besoin de sécurité, on obtient au moins la possibilité d’effleurer un sentiment de liberté. Dans leur cas, cela signifie avoir tout le temps du monde à disposition et être en communion avec la nature. La forêt est, pour eux, un logis coiffé d’un toit de verdure, avec les ruisseaux pour eau courante. Rien à voir avec le décor des contes de Grimm. « Cette vie est possible uniquement parce que nous avons décidé de ne pas avoir d’enfant. Avec des enfants, nous serions obligés de retourner à la civilisation. Ma progéniture n’est pas responsable du mode de vie que je me suis choisi. » 

Si Peter devait être alité ou s’il sentait l’âge peser plus lourd sur ses articulations, il serait temps de mettre un terme à cette vie de bohème. Mais Miriam n’imagine pas du tout son mari se faire soigner dans la chambre stérile d’un hôpital. « Nous chercherions un endroit où nous pourrions nous installer un ou deux ans. Et bien entendu, ce serait quelque part en pleine nature. » Peter approuve de la tête. Et nous explique qu’il pense en premier lieu à faire l’acquisition d’un âne, afin de ne plus avoir à porter son sac sur de longues distances. Pas de place pour l’inquiétude. Il faut se concentrer sur le problème seulement lorsqu’il se présente, pas avant. C’est la devise de Miriam. « La peur est contagieuse. Tout le monde peut faire le test : si quelqu’un dans votre entourage proche est nerveux, la nervosité va vous gagner. » Certains même prennent place sur le divan d’un psy pour parler d’angoisses qui ne sont pas les leurs, mais qui leur ont été transmises par des tiers. « Naturellement ça m’arrive d’avoir peur moi-même, notamment s’il fait gros temps et qu’à tout moment un éclair pourrait frapper tout près. J’ai fini par réaliser que la peur disparaît aussi vite qu’elle est apparue, à condition de ne pas la nourrir avec de mauvaises pensées. » 

« Vous vivez bien, ou vous survivez ? », interrogent de temps à autre les randonneurs qui croisent leur route. « Les deux. » Arriver au bout de la journée peut être un challenge. Parfois, il s’agit de plus. « Quand on a survécu à une violente tempête, on se sent incroyablement vivant le jour d’après. » Le vertige issu de la sensation d’être livré aux éléments gomme un certain sentiment de puissance après avoir « réussi » l’épreuve. 

Miriam ne croit pas en l’apocalypse. Elle n’est pas non plus d’avis que son projet de vie soit le meilleur. Elle a un pied dans l’âge de pierre, l’autre dans le présent. On peut discuter avec elle aussi bien d’Elon Musk ou d’Intelligence Artificielle. Ce n’est pas en vue d’une catastrophe qu’elle exerce ses techniques de survie. « Ce serait une bien triste existence. » Pourtant, la certitude de savoir qu’elle peut prendre son sac-à-dos à tout moment et se mettre en route s’il devait se passer quelque chose est pour elle une source de sérénité. « Il y a plusieurs années, je croyais que toute chose et toute personne avait sa place, sauf moi. Maintenant, j’ai trouvé ma place, ici, dans la nature. Comme si de longues racines avaient poussé sous la plante de mes pieds. » 

Puis elle repart, presque sans bruit, l’arc en bandoulière. En quelques secondes, elle a disparu, s’est évanouie dans la forêt, engloutie par les géants verts. Le balancement d’une branche témoigne qu’il y a un instant encore, elle était là. 

Mais peut-être n’était-ce que le vent… 



yogaesoteric

8 octobre 2019 

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