La psychopathie et les origines du totalitarisme (2)

Par James Lindsay

Lisez la première partie de cet article

Pseudo-réalisme et utopisme des sectes

Si l’objet principal de cet article porte sur les pseudo-réalités idéologiques, l’exemple le plus tangible de pseudo-réalité n’est peut-être pas de nature idéologique ; c’est celui de la personne qui accepte le monde tragique qui est le sien comme étant le seul qui soit « vrai ». « Sa réalité » et « sa vérité » n’appartiennent à personne d’autre parce qu’il ne s’agit pas d’une personne normale, et il n’y a aucun doute à avoir là-dessus. Tout individu normal pourra immédiatement reconnaître la manifestation d’une psychopathologie et, si tout va bien, cette personne recevra un traitement plutôt que des encouragements à continuer. Si l’on pousse cet exemple un cran plus haut sur l’échelle sociale, on peut imaginer que notre personne délirante soit suffisamment charismatique et maligne d’un point de vue linguistique pour fonder une secte d’adeptes de sa pseudo-réalité. Si un culte n’est pas en soi forcément idéologique, il peut, sur la base d’un culte de la personnalité, par exemple, gravir sans efforts tous les échelons qui mènent à un mouvement sociopolitique mondial pseudo-réel qui perdurera pendant des décennies, voire des siècles (Hegel, par exemple, a écrit en 1807, Phénoménologie de l’esprit).

Seules deux propositions sont requises pour comprendre que le parcours d’une telle secte repose au départ sur une seule personne délirante entourée d’adeptes jusqu’à devenir un mouvement politique massif et dévastateur. La première est plus simple : des personnes par ailleurs saines d’un point de vue psychique, émotionnel et intellectuel peuvent être manipulées au point de développer des pathologies qui toucheront ces trois états. Autrement dit, un tel parcours n’est possible qu’en raison de la capacité des pseudo-réalistes à persuader les autres personnes que les présomptions qui sous-tendent leur construction pseudo-réelle offrent une lecture de la réalité qui est de qualité supérieure à celles des autres, ce qui de toute évidence se produit tout le temps. De nouvelles sectes voient régulièrement le jour et leur portée peut devenir considérable.

La seconde proposition porte sur le fait que les sectes peuvent non seulement devenir idéologiques, mais aussi et surtout utopiques. En outre, il s’agit d’une tendance dont la réitération est attestée, en particulier dans les situations où l’ensemble de l’ordre social dans lequel nous vivons tous est organisé selon une certaine simplification excessive qui revêt une vision glorieuse axée sur une finalité utopique — littéralement, « nulle part », dans le grec original (les utopies n’existent pas, il n’y a que des dystopies). Il est possible d’observer de façon fiable la manifestation de ce processus en examinant une très longue période de temps (souvent un millénaire), après laquelle tous les fléaux sociaux auront disparus, ce qui nécessite néanmoins qu’une révolution ait eu lieu avant. Ces pseudo-réalités sectaires sont extrêmement dangereuses et nous menacent, nous et nos civilisations, même [surtout – NdT] aujourd’hui.

La vision utopique dissimulée au cœur de toutes les idéologies (sectaires) permet de justifier les fondements et les moyens par lesquels une pseudo-réalité idéologique est conçue. Comparée à une utopie [qui par définition est] imaginée, une pseudo-réalité est une construction [artificielle] qui dénature la réalité concrète et elle réside à l’autre bout du spectre idéologique de la première. Elle est conçue pour forcer le plus grand nombre possible de personnes à vivre dans le rêve utopique des quelques-unes pour qui la réalité est moins supportable qu’une alternative fictive, qui sans une conformité quasi universelle ne peut être considérée comme vraie. En d’autres termes, une pseudo-réalité érigée au service d’une idéologie constitue une vision improbable de la société qui sera façonnée pour parfaitement convenir à quelques inadaptés intolérants, laquelle société s’en retrouvera ensuite complètement désorganisée. Ce qui signifie, comme nous le verrons plus loin, que les idéologies utopiques sont psychopathiques et procèdent d’une incapacité à habiter la réalité (à moins qu’elle ne subisse une cure radicale).

Ainsi, la construction d’une pseudo-réalité idéologique tend à se développer selon un processus inverse, en partant d’une société impossible à parfaire — aux yeux des quelques personnes atteintes de psychopathologies — et en inventant ensuite une vision alternative du monde dans lequel, de fait, nous vivons, comme une sorte de mythologie qui contient une explication pseudo-réelle des raisons pour lesquelles nous n’avons pas encore atteint Utopia, et de la manière dont nous pourrions y parvenir. Les détails sont minimes — notamment parce qu’aucun plan ne peut remplacer la réalité par la pseudo-réalité — et les idéologues insinueront qu’ils seront fournis au fur et à mesure. L’utopie pseudo-réelle sera donc produite à partir de la réalité par un processus que l’on décrit à juste titre comme étant en essence alchimique — chercher à fabriquer une chose à partir de ce qui ne peut pas la produire — ce qui implique presque toujours la création de changements fondamentaux. Il convient ici de mentionner que toute injustice dans le présent et dans un avenir proche peut être justifiée sur la seule vision de perfection imaginée pour des personnes hypothétiques dans un millier d’années.

Les pseudo-réalités en tant que jeux de langage

Comme le laisse entendre Pieper, et comme on peut le voir même dans le titre de son essai dont nous tirons le terme « pseudo-réalité » (Abus de langage, abus de pouvoir), ces constructions tendent à naître d’abus de langage qui permettent des abus de pouvoir. Ces manipulations sont donc attrayantes pour les personnes particulièrement enclines à en contrôler d’autres ou à prendre le pouvoir, lorsqu’elles sont au préalable dotées d’une intelligence modérément élevée, relativement aisées et linguistiquement malignes — tout en manquant peut-être d’autres compétences plus concrètement utiles. En d’autres termes, les pseudo-réalités sont construites par des manipulateurs possédant des compétences linguistiques qui souhaitent contrôler d’autres personnes, et il est raisonnable de supposer qu’une pseudo-réalité suffisamment convaincante (et contraignante) attirera alors davantage de personnes capables de développer le pseudo-monde et ses fictions, puis de convaincre toutes les autres qu’il correspond en tous points à la réalité alors que ce n’est pas le cas. Le processus par lequel ils y parviennent pourrait être appelé ingénierie du discours, avec la même connotation que celle que nous attachons généralement au projet plus vaste qu’il facilite, l’ingénierie sociale. Certains types spécifiques de ces jeux de langage, pour reprendre une expression de Wittgenstein, ont été brièvement mentionnés ci-dessus.

Ces comportements, même lorsqu’ils sont le fait d’une personne sincère qui a confondu la réalité avec une pseudo-réalité, doivent tous être considérés comme des manipulations et des abus, bien qu’il soit toujours important de reconnaître que l’intention de chaque individu qui y participe entre en ligne de compte dans les ramifications morales qui en découlent. Les bâtisseurs de mondes pseudo-réels ont tendance à manipuler les populations en fonction de leurs vulnérabilités, une technique de recrutement notoirement mise en œuvre par les sectes. Les personnes qui présentent déjà des tendances aux maladies psychologique, émotionnelle ou spirituelle, et notamment celles qui sont en perte de liens avec le monde réel et les réalités sociales qui y règnent, y sont tout particulièrement sensibles. Ces manœuvres abusives sont donc souvent conçues pour cibler les personnes psychologiquement, émotionnellement et spirituellement réceptives, mais aussi celles qui sont naïves, mécontentes ou qui se sentent ou sont lésées. Les manipulations pseudo-réalistes sont typiquement efficaces au sein de ces esprits-là et peuvent générer un socle substantiel de sympathisants parmi des personnes par ailleurs normales, dont certaines seront entraînées dans les psychopathologies qui sous-tendent l’ensemble du projet. Telle est la véritable alchimie du projet idéologique pseudo-réaliste : transformer des personnes normales, pour la plupart en bonne santé, en vecteurs psychologiquement, émotionnellement et spirituellement brisés qui ne peuvent plus faire face de manière adéquate aux caractéristiques de la réalité, et sont, par conséquent, tenues de privilégier la pseudo-réalité délibérément conçue pour les recevoir — et, plus important encore, pour les exploiter de manière stratégique.

Les pseudo-réalités académiques

Étant donné qu’elles sont amenées à devenir les outils d’individus manipulateurs faisant montre d’une soif de pouvoir considérable et d’un grand savoir-faire linguistique, les pseudo-réalistes ont tendance à cibler la classe moyenne supérieure (la bourgeoisie) dont les moyens de subsistance sont éminemment dépendants des accréditation et acceptation dispensées par un groupe de pairs, et c’est encore plus vrai pour les plus instruits, mais pas les plus brillants, d’entre eux. Une proportion anormalement élevée de ces personnes sont employées dans l’éducation, les médias, la politique et surtout dans le milieu universitaire — les pseudo-réalités idéologiques les plus puissantes et les plus dangereuses relèvent d’aberrations que seuls des universitaires pourraient vraiment croire. Puisque la pseudo-réalité est une construction linguistique et sociale, ses caractéristiques permettent, entre autres, un cheminement de carrière et une accréditation au sein de ces secteurs professionnels bien plus que dans la plupart des autres, ce qui génère une structure incitative propre à favoriser les ambitions des pseudo-réalistes.

Outre le carriérisme de base que certaines, par ailleurs, n’accomplissent même pas, ces personnes sont aussi particulièrement réceptives aux artifices rhétoriques laissant entendre qu’elles ne sont pas assez intelligentes, sensibles ou spirituellement épanouies ; la pseudo-réalité leur sera alors présentée comme le « cadre interprétatif » approprié et donc à même de résoudre ces défauts. Il leur sera donc peut-être suggéré que le pseudo-réaliste dispose d’une compréhension plus complète ou plus sophistiquée de la réalité qui n’est pas ou ne peut pas être appréhender par ceux-là mêmes à qui elle est destinée — souvent en faisant appel à la « nature systémique » infiniment compliquée de problèmes qui sont par ailleurs assez simples. On lancera contre eux une éventuelle offensive morale ou spirituelle qui les rendra méprisables aux yeux des autres ou d’eux-mêmes — souvent par des accusations de complicité morale et de pensée criminelle. Le fait que la pseudo-réalité ne se conforme pas correctement à la réalité concrète entraînera une dissonance cognitive qui, au vu des circonstances, servira efficacement à renforcer l’endoctrinement des principes fondamentaux de la pseudo-réalité. Il s’agit là, bien entendu, d’une manifestation spécifique au processus d’endoctrinement et de reprogrammation des sectes.

Cette caractéristique de la secte pseudo-réaliste se renforce à mesure que la victime accepte de plus en plus les prémisses de la pseudo-réalité et s’éloigne par conséquent toujours un peu plus de la réalité et des personnes normales qui y vivent. Ce processus piège lentement les adeptes, et même lorsque des portes de sortie idéologiques sont mises à leur disposition, ils n’ont pratiquement plus aucun moyen de fuir. Sans même mentionner qu’ils savent comment, de qui et pour quoi ils obtiennent leur gagne-pain, parce que ceux qui ont accepté la pseudo-réalité ont déformé leur compréhension du monde (leur épistémologie) au profit de la « logique » interne (fictive) d’une pseudo-réalité, et ont subverti leur éthique (leur moralité) au système « moral » (malfaisant et pervers) employé par cette même pseudo-réalité dont l’idéologie les a bel et bien piégés. Animés d’une logique déformée qui ne peut plus percevoir la réalité que comme une contrefaçon, ces adeptes ne disposent pas des ressources épistémiques nécessaires à une remise en cause de l’idéologie, y compris au sein d’eux-mêmes. Inféodés à une morale subvertie qui, conformément à la morale esclave de la pseudo-réalité, perçoit le mal comme étant le bien et le bien comme étant le mal, tout leur environnement social est configuré de manière à les maintenir dans un Enfer dont les portes sont fermées de l’intérieur. Par conséquent, pour comprendre les pseudo-réalités idéologiques et pour tenter de découvrir un moyen d’y remédier, il est nécessaire d’examiner plus en détail leur logique interne et leur système moral.

La paralogie idéologique

La pseudo-réalité n’étant pas réelle et ne correspondant pas de manière fidèle à la réalité objective, elle ne peut être décrite en termes logiques. Pour que le monde se conforme à la vision qu’elle s’en fait, une pseudo-réalité utilisera une logique alternative — une paralogie, une fausse logique illogique qui fonctionne en parallèle de la logique — dotée de règles et d’une structure intérieurement compréhensibles mais qui ne produit pas de résultats logiques. En effet, elle doit nécessairement, d’une part, correspondre non pas à la réalité mais à la pseudo-réalité, et d’autre part, enfreindre le principe de non-contradiction. En d’autres termes, une paralogie pseudo-réelle sera en essence toujours incohérente et contradictoire (et souvent de manière impérieuse). Cet aspect peut être considéré comme le signe symptomatique de la présence d’une paralogie au service d’une pseudo-réalité, comme peut l’être toute attaque persistante contre les principes d’objectivité et de raison.

Note du traducteur : Le principe de non-contradiction stipule qu’une chose ou une idée ne peut être à la fois ce qu’elle est et autre chose (voire son contraire) lorsqu’elle est considérée selon le même point de vue ; elle ne peut être à la fois vraie et fausse. Enfreindre le principe de non-contradiction — dire tout et son contraire dans le même temps — constitue pour une pseudo-réalité un enjeu essentiel de manipulation perverse, mais aussi une de ses plus grandes faiblesses en ce qu’elle devient de plus en plus visible à mesure que la pseudo-réalité perd de son pouvoir et cherche donc à l’exercer de manière plus brutale et désespérée.

Dans les pseudo-réalités idéologiques réussies, la paralogie utilisée manipule inévitablement les personnes normales qui échappent à sa sphère d’influence afin de les inciter à se fier à leur propre hypothèse (erronée), selon laquelle la paralogie doit être logique (pourquoi ne le serait-elle pas ?). Par conséquent, les personnes normales supposeront (à tort) que le portrait de la pseudo-réalité qui leur est fait doit, dans une certaine mesure, comporter une description raisonnable (réelle) qui sera compréhensible en attribuant (indûment) une logique concrète aux affirmations du pseudo-réaliste. Les personnes (très) intelligentes chercheront instinctivement cette réinterprétation « logique » de ce qui est absurde et se convertiront ainsi en idiots (très intelligents) utiles.

Parce qu’elle est parallèle à la logique mais au service d’une fausse réalité, la paralogie joue un rôle qu’il est crucial de comprendre. Des personnes (très) intelligentes et avisées qui rejettent totalement la pseudo-réalité — et qui pourtant restent pour la plupart ignorantes de sa structure paralogique — sont amenées en la normalisant à se soumettre à ses idéologues tout en dépeignant ceux qui se conforment à la réalité comme des cinglés et de mauvais acteurs. En fait, ces personnes (très intelligentes) dressent pour le grand public normal un écran de fumée qui fait paraître la pseudo-réalité bien plus rationnelle et ancrée dans la réalité qu’elle ne l’est dans les faits. Cette manipulation intellectuelle des personnes (très intelligentes) constitue un facteur crucial dans l’établissement de toute pseudo-réalité à grande échelle réussie, laquelle ne pourra maintenir qu’une proportion relativement faible de vrais adeptes. Il est à noter qu’à ce titre, personne ne peut rivaliser avec un libéral instruit ou diplômé susceptible de perdre beaucoup en se faisant traiter de cinglé ou de mauvais acteur par d’autres idiots utiles.

Il est essentiel de comprendre la nature intrinsèquement alchimique — pas chimique, pas scientifique, c’est-à-dire non logique — de la structure paralogique utilisée par la pseudo-réalité. En d’autres termes, elle ambitionne de créer une chose à partir de rien, et ne crée donc rien du tout. Plus précisément, elle vise à remplacer par un autre le substrat d’une « réalité » existante grâce à une magie qui en réalité n’existe pas. L’objectif de la structure paralogique est en effet de transmuter la substance de la réalité existante en une pseudo-réalité imaginée qui, somme toute, se base sur une utopie. Aucune forme légitime de désaccord ne peut donc exister au sein d’une paralogie pseudo-réelle, et aucune contradiction ne peut être opposée à la pseudo-réalité à laquelle elle prétend donner un sens. D’apparence faussement logique, la paralogie les rejette toutes. Il nous est dit, par exemple, que le vrai communisme n’a, selon toutes apparences, jamais été vraiment expérimenté, parce que les personnes qui l’ont mis en œuvre, disons par le biais du modèle soviétique léniniste dans une conception ou une autre, ne l’ont pas bien compris, pas plus que n’ont été compris ses aspects fondamentaux. La paralogie idéologique est par conséquent incapable de produire une quelconque philosophie et n’engendre que des sophismes. Produire de l’or à partir du plomb lui est impossible, mais elle peut amener ses sorciers à boire du mercure et à sombrer dans la folie.

La paramoralité idéologique

Parallèlement à la structure paralogique utilisée pour tromper les idiots utiles et les amener à défendre le projet idéologique de la pseudo-réalité, il existe un puissant outil d’application sociale qui fait appel à une dimension ostensiblement morale. Un relativiste pourrait la qualifier de « cadre moral » qui serait éthique « selon la perspective de l’idéologie », mais comme il s’agit d’une moralité subordonnée non pas aux faits de l’existence humaine tels qu’ils existent concrètement mais plutôt à ceux qui dans la pseudo-réalité artificielle sont déformés, il serait plus approprié de la qualifier de paramoralité, une fausse moralité immorale placée à côté — et en dehors — de tout ce qui est digne d’être qualifié de « moral ». L’objectif de la paramoralité consiste à faire accepter à la société la croyance selon laquelle les gens de bien acceptent la paramoralité et la pseudo-réalité qui l’accompagne et que tous les autres sont moralement déficients et mauvais. Il s’agit autrement dit d’une inversion de la moralité, la moralité de l’esclave telle que décrite par Nietzsche dans sa Généalogie de la morale.

La paramoralité étant intrinsèquement immorale, son idéologie sera appliquée de façon vigoureuse, et généralement totalitaire, à tous les membres adeptes de la pseudo-réalité. C’est par ce processus qu’est créée la pression sociale nécessaire au maintien du mensonge et de son système immoral. En suivant le cycle de la violence, les adeptes utiliseront à leur tour les mêmes doctrines et tactiques pour (para)-moraliser les personnes normales situées en dehors du système, et le feront d’une manière finalement bien plus véhémente. La tendance au piétisme de style puritain, à l’autoritarisme, et par suite au totalitarisme qui caractérise cette paramoralité, garantit de manière quasiment inéluctable qu’une pseudo-réalité idéologique sera acceptée, et ces violences seront non seulement infligées à tous les participants adeptes de la fausse réalité mais aussi à quiconque est situé dans ou atteint par son ombre — ce qui peut aller jusqu’à inclure des nations ou des populations entières ou, en réalité, tout le monde, y compris ceux qui la rejettent. Là encore, il s’agit de la véritable alchimie du programme pseudo-réaliste ; il transforme des personnes normales et dotées d’une morale en autant d’émissaires corrompus qui, pour se sentir bien et percevoir comme mauvais ceux qui font le bien, doivent perpétrer le mal.

Une paramoralité idéologique est encore moins ouverte au désaccord que la paralogie d’une pseudo-réalité idéologique, car elle mise tout sur l’utopie, un rêve de perfection absolue — y compris au détriment de la réalité elle-même et du bien-être de chaque individu qui la compose. La paramoralité ne distingue donc que deux types de personnes : celles qui acceptent la pseudo-réalité et remplacent par leur paramoralité la morale existante, et qui s’en font les champions contre celles qui de toute évidence refusent l’utopie (et qui sont par conséquent coupables d’aspirer à un monde meilleur qui ne serait que souffrance insupportable pour les architectes de ladite utopie). À cet égard, aucune neutralité n’existe dans un système paramoral, et toutes les nuances de gris sont, de manière alchimique, transformées en noir réel et en blanc pseudo-réel. La paramoralité d’un pseudo-réaliste exige donc soit un soutien jusqu’au-boutiste, soit un désir abscons (selon le système paralogique) et dépravé (à travers la paramoralité) de voir perdurer indéfiniment des maux amenés à disparaître une fois l’utopie réalisée (ce qui est intrinsèquement impossible). Il s’agit d’une morale vicieuse vouée en définitive à justifier la violence, y compris à grande échelle, qui constitue une garantie ultime que de telles exigences seront satisfaites, si elles sont mises en œuvre avec assez de force pour transférer ce pouvoir aux idéologues.

La paramoralité d’une pseudo-réalité idéologique sera de ce fait toujours répressive et totalitaire. La dissidence et le doute ne peuvent être tolérés, et le désaccord doit être circonscrit à un capharnaüm moral duquel les adeptes n’osent pas approcher. En outre, la paramoralité imposera des concepts dont le sens a bifurqué [double sens des mots – NdT] comme la tolérance (qui doit être répressive), l’acceptation, la compassion, l’empathie, l’équité (qui doivent toutes être conditionnelles et sélectives), le mérite (en régurgitant les doctrines de la pseudo-réalité) et le compromis (pour en permanence favoriser les revendications pseudo-réelles), tous concepts qui subviennent aux besoins absurdes de la pseudo-réalité, le tout étayé par les jeux linguistiques au cœur du projet idéologique pseudo-réel. En d’autres termes, la bifurcation rend ces concepts tout à fait pertinents selon des modalités qui favorisent la partialité de ses idées, mais qui sont strictement interdites à toutes les autres. Ces constructions fallacieuses sont destinées à transférer de façon unilatérale le pouvoir aux idéologues afin de maintenir le dynamisme de leur pseudo-réalité.

Il faut ici insister sur le fait que la paramoralité en jeu est toujours une inversion de la morale existante qui lui est également parasitaire — à savoir la « morale d’esclave » de Nietzsche. En d’autres termes, il s’agit d’un type particulier de perversion de la moralité qui peut sembler plus morale que morale mais qui est de facto malfaisante. En effet, la paramoralité agit au service d’une pseudo-réalité, et non de la réalité, et en tant que telle, elle relève du domaine de la psychopathie, laquelle, lorsqu’elle est infligée aux masses normales, est fatidique. Le but de la paramoralité sera toujours de favoriser les personnes souffrant de psychopathologies particulières incapables de faire face aux désagréments de la réalité. Ceci implique que le meilleur moyen pour une pseudo-réalité idéologique de prospérer consiste à faire appel à la perception de victimisation de ces masses normales et à attiser les griefs de celles qui ont subi avec plus de dignité des injustices similaires. Lorsqu’il devient largement répandu, ce procédé devrait être traité comme un autre symptôme d’une calamité civilisationnelle imminente, tout comme l’identification et le rejet de la pseudo-réalité qui manipule ces mêmes perceptions devraient être perçus comme une nécessité.

Les maillons qui maintiennent en place les pseudo-réalités

On ne saurait trop insister sur le fait que la pseudo-réalité ne peut être maintenue sans l’application et l’exécution rigoureuses des nécessaires paralogie et paramoralité qui viennent d’être décrites. En termes classiques [dans le sens appliqué aux langues grecque et latine – NdT], la paralogie est le pathos qui subvertit le logos, et la paramoralité est le pathos qui domine l’ethos. Dans une telle situation, aucune société ne peut être saine — ou survivre longtemps. Si nous voulons échapper aux calamités des pseudo-réalités idéologiques, les maillons que constituent la paralogie et la paramoralité doivent être identifiés et sectionnés. Par conséquent, la non-contradiction et la véritable autorité morale sont fatales aux pseudo-réalités idéologiques.

Ces deux éléments — une fausse paralogie et une paramoralité diabolique — sont essentiels à la création, au maintien et à la propagation de toutes les pseudo-réalités qui ne se limitent pas à un malheureux individu délirant. Elles constituent les maillons de la chaîne qui permettent de maintenir debout la totalité de la distorsion et d’accroître ses activités criminelles. Si ces maillons sont sectionnés de manière efficace, c’est toute la pseudo-réalité qui s’effondrera de façon inévitable sous son propre poids, faute d’être capable — parce qu’irréelle — de se supporter elle-même. Cette manœuvre aura bien sûr des conséquences. Elle emportera avec elle une grande partie de la société qu’elle a infectée, mais elle libérera également les personnes qu’elle a prises au piège ou en otage, tant sur le plan paralogique que paramoral. Apprendre et enseigner aux autres à identifier ces deux maillons, la paralogie et la paramoralité qui soutiennent la pseudo-réalité — et donc les considérer comme fondamentalement illogiques et immorales — constitue la clé et le seul moyen possible de résister et finalement de détruire un mouvement fondé sur la construction et l’application sociales d’une pseudo-réalité idéologique.

Lisez la troisième partie de cet article

yogaesoteric
16 juin 2021

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