La stimulation transcrânienne fera-t-elle de nous des surhommes ?

 

Quatre études indépendantes montrent que l’on peut augmenter les aptitudes physiques, cognitives, intellectuelles et émotionnelles à l’aide d’un casque de stimulation transcrânienne. De quoi se transformer en « surhommes » ?

Courir plus longtemps et plus vite, être plus intelligent, apprécier davantage l’art ou la musique… Qui ne rêve pas de pouvoir améliorer ses capacités ? Ce n’est peut-être plus une utopie : en contrôlant l’activité de différentes zones du cerveau grâce à des techniques de stimulation transcrânienne, différentes équipes de recherche viennent de montrer que l’on peut modifier ses comportements, ses pensées et ses émotions.

La stimulation transcrânienne est une technique non invasive qui permet, à l’aide d’électrodes posées sur le crâne, d’envoyer de faibles courants électriques ou champs magnétiques dans certaines régions assez précises du cerveau, et ainsi de moduler leur activité. Elle est déjà utilisée dans le cadre de certaines pathologies neurologiques et psychiatriques, mais rarement chez des personnes saines. Pourtant, elle modifie aussi l’activité du cerveau quand tout va bien et c’est un bon outil pour identifier les mécanismes et réseaux cérébraux de diverses fonctions et aptitudes.

L’équipe de Lex Mauger, de l’université du Kent en Angleterre, a ainsi stimulé le cortex moteur de 4 femmes et 8 hommes, âgés en moyenne de 18 ans, à l’aide d’un courant continu appliqué pendant 10 minutes. Cette zone du cerveau contrôle la contraction des muscles. Puis les sujets ont dû pédaler en laboratoire selon un protocole particulier qui permet de mesurer la contraction musculaire et l’endurance, pendant que divers paramètres physiologiques étaient enregistrés : rythme cardiaque, effort perçu, douleur dans les jambes et accumulation de lactate dans les muscles (un marqueur de l’activité des muscles). Résultat : après la stimulation transcrânienne, les participants pédalaient 23 % plus longtemps en moyenne, avec une plus grande accumulation de lactate musculaire, et une perception de l’effort moindre (les autres paramètres n’étant pas modifiés). Une  simple augmentation de l’activité de leur cortex moteur a rendu ces hommes et ces femmes plus performants physiquement et plus endurants.

Dans un registre semblable, Robert Reinhart, de l’université de Boston aux États-Unis, a excité ou inhibé, par stimulation transcrânienne à courant alternatif, deux régions cérébrales, le cortex frontal médian et le cortex préfrontal latéral, chez 90 sujets qui effectuaient différentes tâches d’apprentissage et de maîtrise de soi. Dans l’une d’elle, le sujet devait estimer rapidement un intervalle de temps, puis il découvrait s’il avait vu juste ou pas et devait le cas échéant essayer de se corriger à l’essai suivant. Quant aux aires stimulées (pendant 20 minutes environ), le cortex frontal médian, qualifié de « sonnette d’alarme » du cerveau, permet de corriger les erreurs, tandis que le cortex préfrontal latéral joue un rôle clé dans les décisions et actions (des fonctions dites exécutives).

Les participants stimulés électriquement voyaient leurs performances améliorées : ils apprenaient plus vite, commettaient moins d’erreurs, et quand ils en faisaient, se corrigeaient mieux. Et ce grâce à une meilleure synchronisation des deux régions cérébrales après la stimulation, l’effet perdurant jusqu’à 40 minutes. Et lorsque ces aires cérébrales étaient désynchronisées par stimulation, les sujets retrouvaient leurs aptitudes d’avant. Certains participants de l’étude en ont même redemandé : avec la stimulation transcrânienne, ils se sentaient plus alertes, voire plus intelligents.

Endurance, intelligence… un simple casque posé sur la tête pourrait bien changer le cerveau, le corps et le comportement. Voire se rendre mélomanes. Car même les émotions sont concernées ! Dans une troisième étude, l’équipe de Robert Zatorre, de l’université McGill au Canada, a excité ou inhibé, par stimulation magnétique transcrânienne, le cortex préfrontal dorsolatéral de 17 personnes pendant qu’elles écoutaient de la musique, qu’elles avaient choisie ou que les chercheurs leur imposaient. On estimait le plaisir ressenti par les participants, soit en les interrogeant, soit en mesurant la conductivité de leur peau, un bon indicateur émotionnel. On leur demandait même s’ils étaient prêts à payer pour réécouter certains titres que les expérimentateurs leur avaient proposés. La région du cortex stimulée, où se trouve notamment le cortex auditif, est directement connectée au circuit de la récompense et du plaisir, comprenant le striatum. Cette voie serait celle qui explique le plaisir et la motivation que nous avons à écouter de la musique. Encore fallait-il le prouver.

Ainsi, sous stimulation transcrânienne excitatrice, tous les sujets de l’expérience ont davantage apprécié les morceaux de musique, que ce soit les leurs ou ceux imposés. La conductivité de leur peau augmentait, et les participants déclaraient plus souvent être prêts à payer pour réécouter un titre. L’effet inverse était vrai : quand on diminuait l’activité de cette voie frontostriatale, les sujets étaient moins sensibles à la musique et leur plaisir s’évanouissait.

Comment expliquer ces effets des champs magnétiques ou des courants électriques sur les neurones et les performances ? Une quatrième étude apporte un élément de réponse, via une expérimentation sur des macaques. Christopher Pack, de l’université McGill, et ses collègues ont excité, par stimulation électrique transcrânienne, le cortex préfrontal de deux singes adultes pendant qu’ils réalisaient une tâche de mémorisation : ils devaient apprendre des associations aléatoires entre une image et un endroit de l’écran. Résultat : les animaux stimulés apprenaient 40 % plus vite l’exercice. Il fallait aux singes sous stimulation 12 essais pour y arriver, contre 22 sans. En revanche, l’activité électrique même des neurones du cortex préfrontal ne changeait pas : seule une oscillation à une fréquence voisine de différentes aires cérébrales améliorait leur performance, ce qui correspond à une meilleure connectivité entre des régions éloignées du cerveau. C’est peut-être aussi ce qui se passe chez l’homme : l’étude de Reinhart met en avant une amélioration des fonctions exécutives par synchronisation, et donc oscillation synchrone, de deux régions cérébrales éloignées.

Demain, les gens ne porteront peut-être pas tous des casques de stimulation pour améliorer leurs performances dans différents domaines de « confort », comme ceux utiles aux activités quotidiennes. Ces études sont encore préliminaires, leur objectif étant de comprendre les mécanismes cérébraux mis en jeu dans diverses fonctions, notamment pour aider des patients. Mais certains professionnels utilisent déjà ces casques : par exemple, l’armée américaine améliore ainsi les aptitudes et réflexes de ses soldats à l’entraînement par stimulation transcrânienne.

Le « surhomme » pointe le bout de son nez… Le cerveau supportera-t-il d’être boosté en temps réel et en permanence ? Est-ce que ces stimulations ont des effets à long terme, par exemple en modifiant la « plasticité » cérébrale et la force des connexions entre neurones ? Bien d’autres questions restent en suspens avant de se voir dotés d’un casque de stimulation.

 

yogaesoteric
7 décembre 2018

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