Le sommeil : faire la lumière sur notre activité nocturne (2)

 

Lisez la première partie de cet article


Sommeil et métabolisme

La privation de sommeil augmente l’appétit en modulant les hormones qui le régulent (leptine, ghréline, orexine). L’augmentation des apports, combinée à la fatigue et la somnolence diurne, se traduit par une baisse des dépenses énergétiques durant les phases d’éveil, d’où un risque de prise de poids. D’ailleurs, les données épidémiologiques montrent une corrélation entre la durée de sommeil moyenne d’une population et son indice de masse corporelle définit la corpulence d’une personne. Il correspond au poids (en kg) divisé par le carré de la taille (en cm). (IMC définit la corpulence d’une personne. Il correspond au poids (en kg) divisé par le carré de la taille (en cm)).

Parallèlement, la diminution de la durée de sommeil perturbe le rythme circadien qui régule la synthèse de certaines hormones comme le cortisol ou l’hormone de croissance, impliquées dans le métabolisme du glucose. Ce phénomène favoriserait l’apparition d’une intolérance au glucose et l’évolution progressive vers le diabète de type 2, indépendamment de la prise de poids proprement dite. L’implication du sommeil dans d’autres aspects de la santé cardiovasculaire reste, elle, à mieux décrire et comprendre.

Sommeil et métabolisme – interview – 3 min 59 – vidéo extraite de la série POM Bio à croquer (2013)

Sommeil et immunité

Dans les années 1970, des travaux ont suggéré qu’un facteur S, issu de la paroi bactérienne, avait la capacité de réguler le sommeil. Cette hypothèse a depuis été battue en brèche, mais elle a donné lieu à une intensification de la recherche dédiée aux relations entre sommeil, infection et immunité. Et si les connaissances sont encore incomplètes, de nombreuses données expérimentales permettent de tisser de premiers liens : la production de certains médiateurs de l’immunité aurait ainsi un rythme circadien. La nature ou le nombre de cellules immunitaires comme les leucocytes aussi appelés globules blancs, ce sont des cellules du système immunitaire. Ou les lymphocytes NK cellules immunitaires capables de tuer des cellules tumorales ou infectées seraient altérés par la privation de sommeil. Enfin, en activant des médiateurs de l’immunité pro-inflammatoire (interleukine 1, TNF alpha…), certains épisodes infectieux viraux ou bactériens favoriseraient l’allongement de la durée de sommeil.

Le rêve, un phénomène encore mystérieux

A la célèbre théorie psychanalytique de Sigmund Freud, qui voit dans le rêve l’expression inconsciente de désirs et de sentiments refoulés, de nombreuses hypothèses se sont ajoutées depuis.

Les unes estiment que les rêves permettent de mémoriser des évènements, des sentiments ou des apprentissages. En témoigne l’implication de plusieurs zones corticales (dont la région frontale) qui ont un rôle dans la parole, la mémoire, la prise de décision ou les mouvements. D’autres jugent que les rêves permettent d’intégrer ou réviser des comportements innés ou acquis par leur répétition inconsciente au cours du rêve.

A l’inverse, certaines hypothèses soutiennent que le rêve n’est qu’une activité liée au réveil : il serait en réalité l’expression d’une réactivation brutale de la conscience au cours de laquelle cette dernière percevrait de manière désorganisée l’activité cérébrale inconsciente qui a eu lieu au cours de la nuit. A moins qu’il ne s’agisse finalement que d’une activité cérébrale aléatoire, sans organisation ni objets particuliers ? Pour l’heure, les neurosciences permettent davantage de formuler ces hypothèses que de les vérifier.

Pourquoi le cerveau se souvient-il de nos rêves ? – communiqué de presse vidéo – 3 min 31 – 2014

Les troubles du sommeil, fléau des sociétés modernes…

Les pathologies liées au sommeil rassemblent à la fois des troubles spécifiques du rythme du sommeil et des affections d’origines diverses qui se manifestent lors du sommeil :

Les insomnies

Il n’existe pas une, mais des insomnies : certaines sont ponctuelles, d’autres chroniques. Certaines sont caractérisées par des difficultés d’endormissement, d’autres par des réveils nocturnes ou par une sensation de sommeil non récupérateur. Elles se distinguent également par la nature de leurs facteurs déclenchants : facteurs cognitifs ou somatiques internes, ou facteurs extérieurs perturbant le déclenchement ou le maintien du sommeil (hygiène de vie, lumière, utilisation tardive d’écrans ou pratique tardive du sport, prise de certains médicaments…).

Les hypersomnies et narcolepsie

L’hypersomnie se caractérise par un besoin excessif de sommeil et des épisodes de somnolence excessive durant la journée, malgré une durée de sommeil normale ou élevée. C’est un symptôme qui touche plus de 5% de la population adulte. Parmi les différents types d’hypersomnie, la narcolepsie, encore appelée maladie de Gélineau, est un trouble de l’éveil rare qui touche 0,026 % de la population et se déclenche essentiellement chez les adolescents et les jeunes adultes. Cette maladie sévère, d’origine auto-immune probable, se manifeste par des accès brutaux et irrépressibles de sommeil au cours de la journée. S’y ajoutent des hallucinations (rêves éveillés) et des attaques de cataplexie au cours desquelles un relâchement musculaire brusque survient.

Les troubles du rythme circadien

Ces troubles surviennent suite au dérèglement de notre horloge biologique. Ceux qui n’ont pas sommeil avant une heure avancée de la nuit présentent un retard de phase, tandis que ceux qui souffrent d’un syndrome d’avance de phase ont des difficultés à rester éveillées au-delà de 19h. Il peut exister des troubles épisodiques, liés par exemple à un décalage horaire. Mais d’autres sont spécifiques, comme le syndrome hyper-nycthéméral, touchant les personnes aveugles qui ne perçoivent pas l’alternance veille-sommeil. Généralement, ces personnes ont un rythme circadien voisin de 25 heures, au lieu des 24 heures habituelles. Dans tous les cas, ces troubles sont liés à la perturbation de la chronobiologie et peuvent, en conséquence, engendrer des répercussions somatiques diverses.

L’apnée obstructive du sommeil

L’apnée du sommeil est un trouble respiratoire dont la fréquence augmente avec l’âge, le surpoids et, a fortiori, l’obésité. Durant la nuit, de courtes apnées (de quelques millisecondes à quelques secondes) surviennent en raison de l’obstruction de la gorge par la langue et par le relâchement des muscles du pharynx. Elles aggravent à terme le risque cardiovasculaire et favorisent, de par les micro-éveils qu’elles induisent, une fatigue et une somnolence diurne.

Les parasomnies

Les parasomnies correspondent à un ensemble de phénomènes anormaux se produisant lors de la phase de sommeil lent profond ou lors du sommeil paradoxal.

Au cours du sommeil lent profond, les parasomnies les plus fréquentes sont le somnambulisme, le bruxisme (grincement des dents), la somniloquie (paroles), les terreurs nocturnes (fréquentes chez les enfants, à cheval entre le somnambulisme et la somniloquie) ou l’énurésie (pipi au lit). Au cours du sommeil paradoxal, il s’agit de mouvements violents (Trouble du comportement en sommeil paradoxal, TCSP), de bruits non articulés produits par le dormeur (catathrénie) ou de comportements sexuels inconscients (sexsomnies).

Les parasomnies ont parfois une composante génétique, mais elles sont le plus souvent favorisées par des éléments extérieurs qui perturbent l’organisation normale du sommeil (intensité, durée et articulation des phases de sommeil) : maladie neurodégénérative, stress, fièvre, certains médicaments… Les sexsomnies seraient par exemple favorisées par le traitement dopaminergique relatif à la dopamine ou aux cellules sécrétant cette hormone.

Le syndrome des jambes sans repos

Le syndrome des jambes sans repos (SJRS ou maladie de Willis-Ekbom) est caractérisé par un besoin irrépressible de bouger les jambes, associé à (ou provoqué) par des sensations désagréables au niveau des membres inférieurs : on parle parfois d’« impatiences ». Ces symptômes, qui se manifestent habituellement pendant les périodes de repos ou d’inactivité, s’intensifient en soirée et au cours de la nuit. Ils perturbent l’endormissement et, dans les cas les plus sévères, entraînent des perturbations marquées du sommeil (désorganisation et fragmentation du sommeil).

Le mécanisme de la maladie n’est pas encore élucidé, mais il implique vraisemblablement une dysfonction du système dopaminergique. Certaines formes de SJSR seraient secondaires à une insuffisance rénale chronique terminale, une grossesse, une carence en fer ou à la prise de certains médicaments (antihistaminiques, neuroleptiques, médicaments utilisés pour combattre les troubles mentaux, antidépresseurs…). Plusieurs gènes de prédisposition, dont l’expression modifie la transmission dopaminergique, ont également été identifiés.

Les enjeux de la recherche

Poursuivre le développement des techniques d’investigation du sommeil

Avec les nouvelles techniques d’imagerie et d’imagerie fonctionnelle, les connaissances sur le sommeil ont beaucoup progressé ces dernières années. Mais de nouvelles approches permettent aujourd’hui de passer de l’analyse de l’activité cérébrale globale (ou par régions anatomiques), à celle des mécanismes à l’échelle du neurone ou du réseau de neurones :

Grâce à des électrodes implantées dans le cerveau d’animaux, il est en effet désormais possible de suivre l’activité des réseaux neuronaux actifs au cours des différentes phases de sommeil. Ce type de données peut aussi être obtenue chez des patients souffrant d’épilepsie sévère et ayant bénéficié d’une implantation d’électrodes cérébrales à visée thérapeutique. L’enregistrement de leur activité cérébrale permet de récupérer des informations précieuses concernant l’humain, et d’identifier la nature des neurotransmetteurs, petite molécule qui assure la transmission des messages d’un neurone à l’autre, au niveau des synapses impliqués.

Depuis quelques années, la recherche en neurosciences a en outre connu un réel bouleversement : des techniques expérimentales développées chez l’animal permettent désormais de manipuler précisément un type particulier de neurones ou une petite zone du cerveau. Avec l’optogénétique, les neurones/zone d’intérêt en question sont transfectés par un gène codant pour une protéine photo-activable. La lumière émise par une fibre optique permet ensuite d’activer ou d’inhiber spécifiquement ces neurones, et ainsi d’en étudier leur rôle ou leur fonctionnement. La chémogénétique repose sur le même principe, mais en utilisant une molécule chimique capable de moduler l’activité des neurones exprimant les récepteurs de cette molécule.

Mieux comprendre les relations entre sommeil et santé

Le sommeil n’a pas encore livré tous les secrets : En matière de mémorisation, les données expérimentales ont pour l’heure des difficultés à distinguer le rôle spécifique de chacune des phases de sommeil sur ce processus. Si le sommeil lent semble bien impliqué dans les processus de mémorisation, le sommeil paradoxal ne serait pas en reste : en effet, il constitue la majeure partie du temps de sommeil des nouveau-nés et des enfants en bas âge. Et le perturber ou le supprimer engendre des troubles de l’architecture cérébrale chez le rat. De plus en plus de données permettent donc aujourd’hui de lui attribuer un rôle grandissant dans certains processus de mémorisation, et notamment ceux de la mémoire déclarative ou consciente.

Parallèlement, des études ont pointé un lien entre troubles du sommeil et altération des capacités cognitives, via une présence accrue de plaques séniles anormaux de bêta-amyloïdes dans le cerveau ces agrégats de peptides sont un signe caractéristique de la maladie d’Alzheimer à l’imagerie. Le lien entre le sommeil et la capacité à évacuer les toxines du tissu cérébral a été ainsi démontré. Toutefois, une meilleure compréhension des mécanismes impliqués est nécessaire. Elle permettra notamment de déterminer si les troubles cognitifs sont liés aux troubles du sommeil, ou si ce sont ces derniers qui favorisent à terme le déclin cognitif. Un problème d’œuf et de poule en somme, qui n’est d’ailleurs pas unique : les données épidémiologiques suggèrent aussi un lien entre sommeil et dépression : les troubles du sommeil rendent-ils les personnes vulnérables au risque de dépression ou bien la dépression influence-t-elle la qualité du sommeil ? De même, des observations épidémiologiques montrent un risque accru d’hypertension artérielle, d’hypercholestérolémie, ou d’évènements cardiovasculaires (AVC, coronaropathies) chez les personnes présentant une mauvaise qualité de sommeil. Ces observations font l’objet de recherches qui permettront de mieux en comprendre les mécanismes.

De la même façon, les liens entre sommeil et immunité devront être mieux décrits. Au-delà de la compréhension du rôle du sommeil dans notre vulnérabilité aux infections, les mécanismes qui seront identifiés pourront probablement aider à comprendre l’augmentation de la fréquence des cancers chez les travailleurs de nuit : le sur-risque de cancers du sein, de la prostate ou du côlon pourraient non seulement être liés à une immunité moins performante, mais aussi à une désynchronisation du rythme circadien, qui influence certaines voies de signalisation moléculaires.

Mieux décrire les troubles du sommeil et de la vigilance

Quelle est la fréquence des troubles du sommeil ? Comment et pourquoi évolue-t-elle ? Quelle est son impact en termes épidémiologiques ou individuels ? Toutes ces questions font l’objet de nombreux travaux scientifiques qui passent au crible tous les facteurs de vie quotidienne déterminants pour la qualité du sommeil : rythmes de vie personnelle, scolaire ou professionnelle, l’influence de l’alimentation, usage des nouvelles technologies dont la lumière désorganise nos nuits… Ces travaux peuvent apporter des informations utiles en termes de santé publique et de santé individuelle, mais aussi des informations permettant d’améliorer les connaissances et la prévention en accidentologie (route, domestique…) ou en médecine du travail. Dans ce dernier domaine, les questions relatives au travail de nuit ou au travail posté – qui modifie les horaires de travail et de sommeil – doivent encore être approfondies.

Somnolence au volant : des mesures pour lutter – documentaire – 4 min 15 – 2011

Les déterminants non modifiables impliqués dans le sommeil font également partie des axes les plus prometteurs : les études de criblage technique qui consiste à tester des milliers de molécules pour identifier celles susceptibles d’interagir avec une cible précise génétique permettent d’identifier des déterminants génétiques impliqués dans la diversité des profils de dormeurs. L’étude précise de troubles du sommeil particuliers, comme la narcolepsie, ou associés à certaines maladies, comme Parkinson, peut apporter des enseignements intéressants pour la compréhension de certaines voies neuro-hormonales ou métaboliques constituant les pivots essentiels d’une bonne qualité et quantité de sommeil.

 

yogaesoteric
23 décembre 2018

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