Le sucre est-il le nouveau tabac?

 

Pour échapper à des réglementations qui pourraient limiter la consommation de son produit, l’industrie du sucre recourt depuis 40 ans aux mêmes tactiques de relations publiques que celles qui ont fait le succès des fabricants de tabac, montre le documentaire Sugar Coated.

Depuis 40 ans, l’industrie du sucre recourt aux mêmes tactiques de relations publiques que celles qui ont fait le succès des fabricants de tabac, en vue d’échapper à des réglementations qui pourraient limiter la consommation de ce produit omniprésent dans l’alimentation.

Michèle Hozer en fait une démonstration très convaincante dans son documentaire Sugar Coated, qui a été présenté à Montréal, au Cinéma du Parc, le 10 août 2015, et diffusé en français à Canal D l’automne de 2015.

La réalisatrice canadienne, qui a remporté un Emmy pour son documentaire Shake Hands with the Devil : The Journey of Romeo Dallaire et qui a vu son documentaire The Inner Life of Glenn Gould être présélectionné aux Oscars, s’appuie sur des sources sérieuses, et le complot qu’elle dénonce est bien documenté.

Sugar Coated est un film à voir, tout autant que l’excellent Marchands de doute, qui mettait au jour des stratégies similaires exploitées par les lobbys climatosceptiques.

La menace sucrée

Déjà, dans les années 1960, des scientifiques s’inquiétaient que la consommation excessive de sucre puisse être une cause importante d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, en plus d’être à l’origine d’une véritable épidémie de caries dentaires.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a même un temps songé à retirer le sucre de sa liste des aliments généralement reconnus comme sécuritaires (generally recognized as safe).

Flairant la menace, l’industrie a alors entrepris de financer d’innombrables études – menées parfois dans des universités prestigieuses, comme Harvard –visant à semer systématiquement le doute sur tout nouveau résultat scientifique incriminant le sucre.

Le documentaire de Michèle Hozer s’appuie en partie sur des documents internes de l’industrie américaine datant de 1959 à 1971, découverts récemment dans une usine désaffectée par la dentiste Cristin Kearns.

En mars 2015, cette chercheure en a publié une analyse très éclairante dans la revue savante PLOS Medicine. Un texte qui montre comment l’industrie a soutenu des programmes de recherche « alternatifs » afin de contrecarrer les plans du gouvernement américain pour éradiquer la carie dentaire.

Pour expliquer l’épidémie d’obésité, l’industrie a aussi réussi à détourner l’attention sur un autre coupable potentiel : le gras.

Résultat : pendant que chercheurs et autorités se sont concentrés sur les effets du cholestérol alimentaire, ainsi que des gras saturés, insaturés ou trans – tentant ainsi de limiter la consommation de « mauvais gras » au profit de « bons gras » –, l’industrie sucrière a réussi à rester sous le radar en déclinant, sous une cinquantaine d’appellations de toutes sortes, des sucres ajoutés dans les produits sans que jamais le mot « sucre » ne figure sur les étiquettes nutritionnelles.

Conflits d’intérêts

Michèle Hozer révèle également l’étendue des conflits d’intérêts qui minent la recherche et la réglementation du sucre depuis 50 ans.

Nommé en 1970 par Richard Nixon à la tête du comité de la FDA chargé d’examiner les corrélations entre le sucre et les maladies, le biochimiste George Irving était président du conseil consultatif scientifique de l’International Sugar Research Foundation (mise sur pied par l’industrie pour défendre ses intérêts).

L’industrie continue d’avoir le bras long, prévient Michèle Hozer, qui rapporte notamment les commandites de plusieurs milliers de dollars qu’a reçues le Réseau canadien sur l’obésité d’entreprises comme Coca-Cola ou McDonald’s – des montants aussi dénoncés par le médecin Yoni Freedhov, de l’Université d’Ottawa, spécialiste des problèmes de poids.

Parlant de conflit d’intérêt, on doit vous signaler qu’on a accepté d’animer la première québécoise de Sugar Coated, à Québec, en juin 2015, non sans avoir vérifié au préalable qu’il ne s’agissait pas de l’un de ces innombrables pamphlets qui diabolise un aliment bien précis.

Le sucre, en soi, n’est pas un poison. Mais on a aujourd’hui des preuves largement solides pour pouvoir affirmer qu’en consommer en quantité excessive est risqué (même si l’industrie continue de nier l’évidence).

Comparées aux nouvelles lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé, les statistiques sur la consommation de sucre, au Canada comme dans d’autres pays, montrent très clairement qu’on en ingurgite beaucoup trop – notamment sous la forme de jus et de boissons gazeuses.

Les trois quarts des aliments transformés contiennent du sucre ajouté.

Les manigances de l’industrie et son habileté à échapper à tout contrôle en font un produit à surveiller de très près.

Des changements dans l’étiquetage

Après des décennies de laisser-aller, Santé Canada a entrepris de serrer un peu la vis.

Annoncé en juin 2015 par la ministre Rona Ambrose, le nouvel étiquetage nutritionnel prévoit notamment de regrouper, dans la liste des ingrédients, toutes les formes de sucres à l’intérieur d’une même parenthèse.

S’ils prennent la peine de lire les étiquettes, bien des parents vont découvrir que les céréales pour enfants devraient être rebaptisées « sucres pour enfants », puisque de nombreuses variétés très populaires contiennent plus de sucres que de céréales.

Malheureusement, comme le dénonce la Coalition québécoise sur la problématique du poids, toutes sortes de logos et d’allégations santé (du genre « bonne source de calcium » ou « riches en fibres ») pourront continuer de s’afficher en gros et en couleurs sur le devant des boîtes… et continuer d’attirer bien plus l’attention des consommateurs que le décorticage des sobres et discrètes étiquettes nutritionnelles.

 

yogaesoteric
11 décembre 2018

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