Les rêveurs lucides et les recherches scientifiques sur les rêves conscients.
Est-il possible d’agir consciemment dans le rêve, en orientant comme on le veut le contenu de celui-ci ? Pouvons-nous être conscients du fait que nous rêvons dans le rêve ? Oui, répond ferment le physiologie américain Stephen LaBerge, celui qui a dédié sa carrière aux études des rêves lucide et dont les résultats ont mis un point d’interrogation sur la division traditionnelle des états de conscience (veille, sommeil, rêve).
Le rêve lucide de Paul Devereux
L’écrivain et chercheur britannique Paul Devereux raconte, dans son livre «Le chamanisme et les règles mystérieuses», comment il avait pénétré dans une autre réalité au cours d’un rêve, se jetant dans un tunnel, avec les bras allongés.
Une nuit quelconque, Paul Devereux a eu un rêve extraordinaire. Il se trouvait dans la crypte d’un temple égyptien, mais le paysage ressemblait plutôt à un parking souterrain. En courant aléatoirement, sans avoir de but, il a vu une porte ouverte qui menait sur un couloir obscur. Il s’est lancé à travers celui-ci et l’obscurité a immédiatement disparu, faisant place à un paysage ensoleillé. Devereux a remarqué une succession d’édifices alignés formant un tunnel. Il s’est rendu compte, dans l’état de rêve, que l’image du tunnel, du point de vue des interprétations du rêve, était très riche en significations. Il a sauté en l’air et il a commencé à voler avec les bras en avant, comme Superman. Volant de plus en plus vite, il est arrivé au bout du couloir, où il a découvert un ciel clair et bleu. Et à ce moment là, il s’est réveillé. Mais, contrairement à ses attentes, il a observé qu’il ne se trouvait pas dans son lit.
Conscient de l’immensité l’espace qui l’entourait, Devereux a expérimenté d’abord une sensation exaltante de liberté. Il a réalisé qu’il ne vivait pas un rêve ordinaire, parce qu’il pouvait contrôler ses gestes exactement comme dans l’état de veille. Il volait, planant au dessus d’arbres gigantesques. En tendant les mains il pouvait sentir la texture lisse des feuilles. Mais à ce moment là, l’exaltation initiale a commencé à être remplacée par une inquiétude croissante. Avec effroi, Devereux s’est demandé s’il avait pénétré sans le vouloir dans une autre réalité. Bouleversé, il a essayé de refaire le chemin inverse, en volant, et cherchant à retrouver le lieu par lequel il était entré dans ce monde mystérieux. L’esprit se focalisait sur une seul idée : rentrer chez lui … ou chez nous, dans « la vrai réalité ».
A la fin, il a reconnu une petite colline qui était proche du lieu par lequel il avait pénétré pour la première fois dans cette réalité. En prenant son courage à deux mains, il a plongé la tête en avant. Après une seconde d’obscurité complète, il a ouvert les yeux… et se retrouva dans son lit. Devereux considère qu’ainsi qu’il est passé avec succès d’une réalité à une autre. Ce rêve qu’il raconte est un exemple typique de ce que nous appelons “rêve lucide” : pendant l’état de sommeil, le rêveur garde la même prise de conscience qu’il a pendant l’état de veille.
Ce qu’est un rêve lucide ?
Bien que le terme d’“hallucination” désigne une façon selon laquelle nous vivons les rêves en général, il existe une situation d’exception qui met en cause plusieurs hypothèses sur la nature du sommeil et sur les capacités du cerveau. Cette exception significative consiste dans le fait que parfois, dans le rêve, nous devenons conscient des choses dont nous rêvons. Cette état mental à été dénommé « rêve lucide » par le psychologue hollandais Frederik Willems Van Eeden, en 1913.
Les rêveurs lucides sont en pleine possession de leurs facultés cognitives : ils peuvent raisonner, ils se souviennent de leur existence dans l’état de veille et peuvent agir à volonté, conformément aux décisions spontanées ou aux plan d’actions établis avant de s’endormir. Ils restent profondément endormis, vivant de façon intense dans un monde onirique qui paraît étonnamment réel.
Puisqu’ils sont parfaitement conscients que le monde onirique est le produit du mental, les rêveurs lucides contrôlent d’une façon remarquable le contenu de leurs rêves : ils peuvent les transformer (en faisant apparaître ou disparaître à volonté des personnages ou des objets oniriques, par exemple) et peuvent violer les lois de la physique (ils peuvent voler ou traverser la matière, par exemple), des capacités qui sont considérées comme paranormales, si non impossibles, dans le monde matériel.
Soit qu’ils se trouvent en état de veille, soit qu’ils se trouvent en état de sommeil, l’une des charges importantes de la conscience est de construire un modèle du monde environnant que nous expérimentons. Dans l’état de veille, ce modèle est basé sur les données sensorielles, la meilleure source d’informations sur le milieu. Dans la mesure où ce modèle nous aide à survivre, le processus de construction du monde suppose de considérer nos besoins actuels, nos émotions et nos buts. Au cours du sommeil, du fait que nous n’avons accès qu’à très peu d’informations sensorielles sur le milieu, notre représentation sur le monde est construite à partir de nos motivations et de nos attentes sur ce qui est “susceptible” de se produire, des informations accumulées suite aux expériences passées.
En conséquence, ce qui survient dans le rêve, qu’il soit lucide ou non, est en grande mesure déterminée par nos attentes. Dans les rêves communs nous sommes limités par nos suppositions sur les faits possibles provenant de notre expérience passée dans le monde matériel. Par contre, les rêveurs lucides savent que la loi de la gravitation n’est pas valable dans les rêves, pour cette raison rien ne les empêche de voler; et ils volent même avec un grand plaisir.
Recherches scientifiques sur les rêves lucides
La plupart des gens expérimentent occasionnellement le rêve lucide. Dans le scénario le plus souvent rencontré, c’est à la fin d’un cauchemar, le rêveur réalise que “ce n’était qu’un rêve” et se réveille soulagé quelques secondes plus tard. Mais le rêveur qui s’éveil pour échapper à un cauchemar n’est que partiellement lucide. Le rêveur complètement lucide regarde le cauchemar comme un film d’épouvante auquel il assiste en tant que témoin détaché et peut continuer de rêver, en affrontant la peur et en parvenant à la dépasser. Par conséquent, il se réveille avec une plus grande confiance en soi et avec une peur moindre. Cette démarche semble prometteur et pourrait être utilisée comme méthode d’échappatoire aux cauchemars. Elle a été décrite pour la première fois par le marquis d’Hervey de Saint-Denys dans son livre « Les Rêves et les moyens de les diriger », publié en 1867.
Le plus souvent, les rêveurs deviennent lucides lorsqu’ils se interrogent sur les bizarreries des contenus oniriques et ils arrivent à une conclusion explicative que c’est un rêve. Bien que pour la plupart des gens le rêve lucide reste une expérience d’exception, selon l’affirmation de Léon d’Hervey d’il y a plus d’un siècle, elle a une capacité qui peut être acquise par la pratique.
Malgré les témoignages de certaines personnalités renommées comme Aristote, Descartes, Van Eeden et d’Hervey de Saint-Denys, le sujet des rêves lucides a été longtemps regardé avec scepticisme. A la fin des années 70, l’étude des rêves lucides a pris un nouvel essor, grâce à la découverte d’une nouvelle technique, basée sur les signaux transmis par des mouvements oculaires, qui permettait la communication avec des personnes se trouvant en état de sommeil conscient. Cette méthode a été découverte indépendamment des chercheurs américains, de Stanford (Stephen LaBerge) et anglais (Keith Hearne). Ils ont commencé à partir des recherches antérieures réalisées par William Dement et H. P. Roffwarg, qui avaient démontré que les directions des mouvements oculaires enregistrés pendant le sommeil paradoxale coïncidaient parfois aux orientations du regard dans le rêve, décrites antérieurement par les sujets.
A partir de ses expériences personnelles en matière de rêve lucide, Stephen LaBerge a supposé que les rêveurs lucides sont capables d’agir à volonté et qu’ils pourraient prouver cela en envoyant un signal sous forme de mouvement oculaires établi auparavant, pour indiquer le moment exact d’accès à l’état de lucidité dans le rêve. En utilisant cette méthode, LaBerge et ses collègues ont rapporté que les rêves supposés lucides de cinq sujets avaient été effectivement annoncés par des mouvements oculaires établis auparavant. Tous les signaux, et donc tous les rêves lucides, se sont produits au cours d’une période continue de sommeil paradoxale.
Une technique presque identique de signalisation à l’aide des mouvements oculaires, a été développée, indépendamment, par Keith Hearne et Alan Worsley en Angleterre. D’autres recherches se déroulant dans plusieurs autres laboratoires ont conduit aux mêmes résultats, en montrant clairement que si le rêve lucide est apparemment paradoxal, son existence est démontrée.
Pendant toute une série de recherches ultérieures, les chercheurs de Stanford ont mis en évidence le fait, qu’en général, les rêveurs deviennent lucides soit immédiatement après avoir entrer dans le sommeil paradoxale, soit après un court éveil, ou soit pendant les périodes d’activation suffisamment intense pendant le sommeil paradoxale “phasique”. De même, ils ont aussi constaté que les rêves lucides se produisaient plus fréquemment pendant les dernières périodes du sommeil paradoxal. Il résulte que le rêve lucide dérive de la conjugaison des facteurs psychologiques à ceux physiologiques : une activation cérébrale suffisamment intense et une attitude mentale correspondante. Le niveau sollicité d’activation cérébrale ne peut pas être normalement atteint que pendant le sommeil paradoxal phasique, ce qui explique pourquoi le rêve lucide est rarement enregistré en d’autres stades du sommeil. Le fait que les rêveurs lucides sont capables de se souvenir de certaines actions préétablies et de les signaler en laboratoires, s’est trouvé à l’origine d’une nouvelle forme de recherche onirique : les rêveurs lucides peuvent exécuter dans le rêve certaines expériences, en signalant le moment précis du début des événements oniriques spécifiques, ce qui permet d’établir des corrélations psychophysiologiques précises et de vérifier les hypothèses. Le groupe de Stanford a utilisé cette stratégie et il a prouvé un degré surprenant de parallélisme psychophysiologique pendant le rêve lucide paradoxal. Par exemple, une étude du “temps onirique” a montré que les périodes de temps estimées dans le rêve lucide sont très proches du temps réel.
Dans une autre étude, les sujets devaient respirer rapidement ou retenir le souffle (pendant les rêves lucides), et signaler par des mouvements oculaires les périodes de temps correspondant aux modifications de la respiration. Les enregistrements polygraphiques ont montré une correspondance exacte avec les schémas indiqués par les rêveurs. D’autres études ont permis d’observer que les mouvements rêvés se traduisent par des contractions musculaires correspondantes et que l’activité sexuelle dans le rêve implique des réactions physiologiques très proches à celles des l’activité sexuelle de l’état de veille.
Les résultats de ces recherches et des autres études similaires peuvent être résumés ainsi : au cours du sommeil paradoxal, les événements que nous expérimentons dans le rêve proviennent des schémas de l’activité cérébrale qui produisent des effets sur notre corps et sur le système nerveux périphérique.
Ces effets modifiés dans une certaine mesure par les conditions spécifiques du sommeil paradoxal restent pourtant proches de celles qui se produiraient si nous vivions les événements correspondants pendant l’état de veille. Faute de la paralysie musculaire qui apparaît durant le sommeil paradoxal, nous réalisons en réalité ce que nous rêvons de faire. Probablement c’est la raison pour laquelle nous confondons souvent les rêves avec la réalité : pour les processus cérébraux qui construisent notre modèle expérimental sur le monde, rêver de percevoir ou de faire une certaine chose équivaut à le percevoir ou vraiment le faire. L’expérience même du rêve lucide met en difficulté conceptuelle les croyances traditionnelles en ce qui concerne le sujet du “sommeil”, qui supposent l’existence de certaines limites de l’activité mentale onirique. Dans un certain sens, la nature inattendue du rêve lucide se retrouve dans l’état spécifique nommé “sommeil paradoxal”.
Si la découverte du sommeil paradoxal a conduit à l’élargissement de notre conception sur le sommeil, les preuves – passées en revue ci-dessus – sur les liaisons entre le sommeil paradoxal et les rêves lucides nécessite un élargissement similaire de notre conception sur le rêve ainsi qu’une clarification de la conception sur le sommeil. Le rêve lucide pourrait être le phénomène le plus paradoxal du sommeil paradoxal.
L’expérience de Hearne – Worsley
Cet intérêt pour les rêves lucides s’est manifesté d’abord par une série d’expériences réalisées par des chercheurs spécialistes dans l’étude des rêves et de l’état de sommeil. A l’époque, le projet a été regardé avec méfiance. En 1975, le chercheur britannique Keith Hearne, qui collaborait avec un patient nommé Worsley – qui soutenait d’avoir constamment des rêves lucides –, il a essayé de démontrer scientifiquement que les rêves lucides sont complètement différents des rêves communs. Dans ce sens il a utiliser la comparaison des signaux émis par les sujets durant le sommeil.
Son expérience est basée sur des faits scientifiquement démontrés : pendant le sommeil, un sujet rêve durant certains intervalles, les périodes de sommeil se prolongeant vers la fin d’un cycle de sommeil. Il devient possible de préciser avec exactitude en quel moment le sujet rêve, en observant si ses yeux réalisent des mouvements de rotation saccadés, visibles même sous les paupières closes. Ces mouvements des yeux, connus aussi sous le nom de REM (abréviation de l’expression anglaise “Rapid Eye Movement”, mouvements rapides des yeux), expriment les réactions du rêveur aux événements qui se déroulent dans le cadre de son rêve. A ces signaux s’ajoutent certaines modifications physiologiques, comme la paralysie partielle et momentanée, au cours de laquelle seulement les muscles respiratoires et oculaires fonctionnent normalement.
Dans le cadre de ces expériences, Hearne a réussi à déterminer sur Worsley à produire durant le rêve lucide une succession (séquence) de mouvements oculaires, préétablis. Ainsi, Worsley était connecté pendant l’état de rêve à un appareil électronique de contrôle. Il émettait les signaux oculaires établis, qui étaient en même temps captés et enregistrés par un détecteur de mensonges. Ils se traduisaient comme une succession de lignes cohérentes, nommées “traces”, que les expérimentateurs pouvaient décoder. D’autres mesures ont permis d’établir le fait que Worsley était endormit du point de vue physiologique, au moment où il émettait ces signaux. Cette expérience a constitué la preuve du fait qu’il est possible de communiquer avec l’extérieur pendant un rêve lucide.
L’expérience de LaBerge
Peu de temps après l’expérience de Hearne, Stephen LaBerge, directeur de l’Institut de la Lucidité de Californie, a réalisé le même genre de teste, basé sur les signaux oculaires. LaBerge n’a guère utilisé les résultats de ses prédécesseurs. Sa théorie se basait sur l’idée que le rêve lucide peut offrir une gamme variée d’expériences intenses, de la simple aventure sexuelle jusqu’aux hautes visions spirituelles.
Les rêves lucides avec connotation sexuelle sont spécialement réalistes, car il a été remarqué dans le cas des rêveurs, des signes physiologiques de réelle excitation sexuelle, comme l’accélération du rythme de la respiration ou une croissance du flux sanguin.
Dans un registre tout à fait différent, la description des états transcendants vécus durant les rêves est troublante. Par exemple, LaBerge raconte une de ses expériences oniriques : il se déplaçait sur une route avec sa voiture de sport, en traversant divers paysages. En étant conscient du fait qu’il se trouvait en plein rêve lucide, il a décidé de continuer l’expérience en cherchant aller “encore plus haut”. Instantanément sa voiture a décollé dans les nuages. Il a perçu alors une croix au sommet d’un clocher, une étoile de David et d’autres symboles religieux. En continuant l’ascension, il est pénétré dans un “vaste royaume mystique : un immense espace vide, mais plein d’amour”, selon son affirmation. Comblé par l’expérience, il a commencé à chanter, à s’animer par une sorte d’inspiration extatique.
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Article tiré de La Revue des Mystères
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