Anneke Lucas, survivante du réseau belge : les élites pédophiles sont une réalité (3)
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La reconstruction
Anneke Lucas raconte qu’elle a démarré une psychothérapie en 1989, à l’âge de 26 ans. Elle dit que c’est seulement là qu’elle a compris qu’elle avait été agressée toute son enfance, et qu’elle a pleuré sans arrêt pendant trois semaines. Puis elle a changé. Mais aujourd’hui encore, elle explique qu’elle doit continuer à se battre par moments.
« Une fille qui est violée par un homme à un jeune âge subit un lavage de cerveau qui lui fait croire que son corps existe seulement pour le plaisir des hommes – qu’elle est un objet à cette fin. Si elle est utilisée dans un but sexuel au lieu d’être aimée correctement, elle est susceptible de confondre le sjustifyexe avec l’amour, ou va grandir en croyant que la seule façon dont elle peut être aimée est d’attirer les hommes sexuellement », m’a expliqué Anneke Lucas lors de notre entretien.
C’est justement là l’objectif « éducatif » de ces milieux capables de vendre leurs enfants, surtout les filles, comme de véritables prostitués, et cela dès le plus jeune âge, y compris dans les « hautes sphères ».
Tout ce qu’elle décrit n’est que violence, il n’y a jamais de respect, jamais de vérités claires et simples. Tout est dans le faux-semblants et le mensonge.
« Je me souviens d’innombrables visages, d’innombrables regards méprisants. Je revois le regard glacé d’un de ces hommes, les débutants maladroits agissant comme si j’étais tellement habituée et eux tellement adolescents, les charmeurs qui cherchaient un contact du regard… », écrit Anneke Lucas « Je me souviens de ces centaines d’hommes qui sont entrés dans une chambre dans cette villa, et aucun d’entre eux n’a dit : ” non, c’est un enfant. Je ne peux pas faire ça. Je suis venu à cette fête mais maintenant je suis seul dans une chambre avec un enfant et je ne peux pas faire cela ” ».
C’est à l’âge de 15 ans qu’Anneke Lucas a pu enfin quitter le domicile familial, après une fin de scolarité erratique à trainer dans les cafés plutôt qu’aller en cours. Elle s’est mise en couple avec un type plus âgé, puis l’a quitté un an plus tard. Elle explique que même si elle sortait pas mal, dans les concerts, les soirées entre jeunes, elle a toujours suivi les recommandations de Patrick. A 16 ans elle est partie dans le sud de la France, puis a rencontré son père biologique, un compositeur belge. Mais, explique-t-elle, « je sentais qu’aucune relation n’était possible sans sexe, et nous avons entamé une relation ».
En 1982, à 18 ans, elle s’est installée à Londres avec son copain de l’époque, puis à Paris, et en 1986 elle est arrivée à New York comme jeune fille au pair. Elle a démarré une psychothérapie à 26 ans, ce qui l’a amenée à ouvrir les yeux sur son passé, à se rappeler toutes ces choses qui finalement, n’étaient pas normales. Elle s’est aussi raccrochée à la foi, puis a commencé à étudier et à travailler dans le cinéma à Los Angeles.
Elle a coupé le contact avec cette mère qui a toujours cruellement manqué d’empathie et s’est empressée de tenter de tout mettre sous le tapis. Anneke a donc fini par couper les ponts avec elle.
Elle s’est mariée en 1995, a divorcé un peu moins de dix ans plus tard, et entre temps elle a découvert le yoga et a mené une thérapie psycho-analytique assez intensive, qui lui a permis d’aller au fond de son histoire.
Nous sommes alors en 1997. A peine un an plus tôt, l’affaire Dutroux a animé les chroniques à travers le monde et a même fait vasciller l’Etat quand le peuple s’est mobilisé dans des marches blanches et des « comités blancs », fermement résolus à ce que ces atrocités n’arrivent plus jamais.
Quand l’une des survivantes du réseau Dutroux a écrit son livre au moment de ce scandale, Anneke Lucas a contacté des journalistes belges à qui elle a raconté une partie de son histoire. « J’ai aussi rencontré cette survivante, qui a aussi écrit un livre sur son expérience dans le réseau, ” Silence ! On tue des enfants „, et dont la très bonne mémoire m’a aidée à remettre en place certaines pièces du puzzle sur mon propre passé », dit Anneke Lucas dans une vidéo. Mais, très vite et grâce notamment à une campagne médiatique contre les témoins et les enquêteurs qui étayaient leurs dires, le pays a été très divisé sur l’existence ou non du réseau. Anneke Lucas a alors choisi de s’écarter de cette histoire pour sa propre santé, et on ne peut que la comprendre.
Elle a continué sa vie, avec le yoga, a eu sa fille, a poursuivi son analyse. Elle a enseigné le yoga, notamment dans des prisons à travers le Liberation Prison Yoga Project.
Si elle a mis si longtemps à parler, c’est parce qu’elle était encore trop traumatisée et effrayée par toutes les menaces et toute la violence qu’elle avait vécus, raconte-t-elle dans une interview de janvier 2017.
Le 20 décembre 2018, la première partie d’une interview vidéo d’Anneke Lucas a été diffusée sur le net. Elle y revenait sur le fait que depuis la première fois où elle s’était exprimée publiquement sur son histoire dans le réseau belge en 2016, elle a reçu des milliers de messages, et a été approchée par des gens qui l’ont aidée à identifier certains de ses abuseurs, dont certains n’étaient pas belges : « Je ne pensais pas que j’avais à faire à des gens étaient si importants, je n’imaginais pas qu’ils étaient sur la scène mondiale ».
Elle explique aussi que le fait pour une de leurs victimes de voir ces tarés à la télé, ou même en photo, rend le souvenir des violences « si vivant et réel », qu’elle s’est rappelée de viols commis par ces types quand elle avait 10 ans. Elle explique aussi qu’à chaque instant lors des soirées, des partouzes ou quand elle était simplement en présence de ces dingues, elle avait parfaitement conscience que l’un d’entre eux pouvait décider de la tuer. Et qu’elle devait donc faire attention à tout, être en éveil, surveiller chaque comportement.
Dans cette vidéo du 21 décembre 2018, Anneke explique que « Il est facile de dire oui, les politiciens sont corrompus. Mais c’est un peu plus dur de dire de concevoir qu’un politicien qui est corrompu viole et tue aussi des enfants (…) On dit : ‘non, ça je ne peux pas le croire’ ». Elle explique que les gens le ressentiraient une telle chose comme une trahison personnelle.
Mais « c’est une addiction », dit-elle, comme les junkies prêts à n’importe quoi pour recommencer, pour avoir de nouveau un trip. « Ces gens ont un cerveau et une intelligence, et cela les rend les plus dangereux du monde. C’est une addiction au pouvoir. C’est une addiction dont je sais tout, parce que j’été gravement abusée. Je sais ce que c’est que les gens autour rient alors qu’on est au plus mal ».
Elle explique son cas de conscience sur le fait de nommer les noms des tarés qui l’ont agressée, qui étaient dans ce réseau. Il y a les risques de poursuites, l’exposition, la sécurité, mais la possibilité, peut-être, de sauver des enfants, de se confronter au besoin de revanche, de révéler l’horreur.
Mais dans le contexte actuel, avec les lois actuelles, il est très risqué de dénoncer personnellement les pervers. « Il y a encore beaucoup de travail à faire, nous n’en sommes qu’au tout début du changement, le tout début où les gens sont vraiment en train de comprendre que… ces ténèbres sont vraiment là. Il y a tellement d’hypocrisie, tellement de mensonges, et toute cette hypocrisie et ces mensonges, nous sommes seulement en train de commencer à les regarder. Ce sont les gens à qui nous avons donné notre pouvoir ».
Anneke Lucas intervient beaucoup sur les méthodes qui peuvent aider les victimes, à travers des articles, des conférences, un documentaire… On en retrouve une partie ici (en anglais).
Sur son blog, elle raconte les faits, analyse aussi beaucoup le fonctionnement du système, de la propagande, et met en perspective certains « faits de société ».
Par exemple, elle explique qu’à 9 ans, elle a entendu une discussion entre un agresseurs et l’un de ses amis, sur l’objectif « sociétal » de sexualiser les enfants. C’était à l’été 1972 sur une île de la côte est. « J’étais désignée comme l’exemple que sexualiser les enfants est bon sur tous les plans, et j’étais décrite comme heureuse (d’être sexuelle) et bien adaptée », écrit-elle dans un article de son blog.
Elle s’interroge aussi sur la pertinence de la prison dans un système aussi inégalitaire que les Etats-Unis : « l’incarcération de masse est un masque couvrant le véritable problème, vendu par le biais des lois sur les drogues, et même si nous nous réveillons lentement et réalisons de quoi il s’agit, le problème n’a pas encore eu la révolution qu’il mérite ».
Anneke Lucas a également lancé un mouvement pour lutter contre le proxénétisme de mineures à New-York, en agissant par exemple sur les hôtels, où on laisse trop souvent entrer des mineures seules avec des types en pleine nuit.
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Il est crucial que la parole des victimes, qu’il s’agisse de victime d’inceste, de viols, ou même d’abus commis par des réseaux, y compris si ceux-ci impliquent des « élites », puisse se libérer.
Pour ne parler que des réseaux pédocriminels d’élite, comme celui dont parle Anneke Lucas, les victimes sont nombreuses. Et beaucoup ont besoin, envie de parler, mais elles ne le peuvent pas car comme le dit Anneke, les risques sont grands. Certains témoins sont assassinés, d’autres réduits à l’état de loques, traqués, attaqués médiatiquement ou en justice, s’ils montrent la moindre velléité de dénoncer quoi que ce soit.
Ceux qui parlent font preuve d’un grand courage et, il faut le dire, d’une certaine abnégation. Ces témoignages doivent être diffusés afin de permettre aux citoyens de comprendre ce qu’il se passe réellement dans les coulisses, et qui occupe les plus hautes fonctions de nos pays soi-disant « civilisés ».
Beaucoup de victimes ont par ailleurs beaucoup de mal à gérer avec l’impunité des pervers- quoi de plus normal… Et les enfants d’hier grandissent. Le besoin de vérité fait monter la pression, et la chape de plomb va certainement finir par sauter. Mais d’ici là les gens doivent comprendre qu’à l’heure où on écrit et lit ces lignes, des enfants sont victimes de ces réseaux, en France comme ailleurs.
yogaesoteric
21 mai 2020