La finance et les affaires, ennemies du développement durable?

 

L’industrie de la guerre et de la sécurité, constitue en soi un facteur de dissuasion majeur du développement durable. L’économie est considérée par les théoriciens du développement durable comme un outil, un moyen de parvenir à la durabilité. Bien que tous les États membres des Nations unies aient adopté en 2015 dix-sept objectifs globaux de développement durable à l’horizon 2030 « pour assurer la paix et la prospérité pour les peuples et la planète », le financement des actions nécessaires à l’atteinte de ces objectifs tarde à se concrétiser. Pourtant les ressources financières n’ont jamais été aussi abondantes dans le système économique mondial.

Les priorités de l’économie néo-libérale centrées sur l’enrichissement de quelques privilégiés sont en fait contraires au bien-être collectif. Les principaux acteurs économiques ferment les yeux devant les effets socio-environnementaux tragiques de leurs pratiques et se conduisent en ennemis du développement durable. Les banques et les systèmes financiers, les régulateurs du commerce, les sociétés privées et les autorités politiques ont pourtant un rôle incontournable à jouer et une responsabilité à assumer si nous voulons réussir sur cette voie. Comme le souligne l’ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne), l’un des principaux défis est donc d’utiliser les leviers politiques, économiques et financiers, qu’ils soient déjà disponibles ou qu’il faille les inventer, pour accélérer sans attendre une transition vers des investissements plus responsables.

Endettement et faillites

En Europe et en Amérique, les politiques des banques centrales sont dictées par les lobbies des banques privées. Les cadres économiques actuels favorisent un accès facile au crédit, entraînant une surconsommation et des niveaux d’endettement scandaleux.

Selon l’Institut de la finance internationale, l’endettement public et privé des 44 pays les plus riches a atteint 235% du PIB en 2017 alors qu’il était de 190% en 2007. Les gouvernements et les populations deviennent les otages des banques et de leur système monétaire frauduleux. En inondant le marché de billets (procédé appelé assouplissement quantitatif) dont la valeur est fondée sur la dette des États et en offrant des taux d’emprunt très faibles, voire négatifs, la Banque centrale européenne, suivant en cela l’exemple de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale du Japon, risque d’entrainer l’économie européenne dans un marasme « nucléaire ».

L’effondrement du secteur bancaire en 2008, principalement causé par la politique de taux d’intérêt bas, d’argent facile, de prêts hypothécaires à risque et de la réglementation bancaire inadéquate de la Réserve fédérale américaine, a entraîné la faillite de milliers de ménages. Ces dernières années, le taux de faillite des banques privées à travers le monde a atteint un sommet inégalé au détriment de nombreux petits épargnants.

Même si le monde de la finance prône depuis quelque temps l’investissement responsable et l’économie verte, sa contribution au développement durable est plutôt désastreuse. Cela a conduit l’ONU et la Banque mondiale à publier en novembre 2017 une feuille de route qui propose « une approche intégrée pouvant être utilisée par tous les acteurs du secteur financier – publics et privés – pour accélérer la transformation vers un système financier durable. » Le Programme des Nations unies pour un investissement responsable a aussi mis en évidence le peu d’empressement des conseillers financiers à promouvoir l’investissement responsable et l’absence de prise en compte des questions environnementales et sociales dans les décisions d’investissement.

En 2017, le marché des obligations vertes a représenté à peine 0,1% du volume du marché obligataire international évalué à près de 100.000 milliards de dollars. Le milieu financier a pris prendra-t-il de lui-même des mesures efficaces contre la déréglementation, l’évasion fiscale, la manipulation des marchés à grande échelle, les fonds vautours, la corruption et le blanchiment d’argent ? S’astreindra-t-il à intégrer les impacts environnementaux et sociaux dans ses choix d’investissement ? À moins qu’on ne l’y oblige, il est permis d’en douter.

Surconsommation et surexploitation

Motivé par le gain à court terme et l’argent facile, le secteur des affaires inonde les consommateurs de publicité tapageuse faisant la promotion de styles de vie discutables et de produits bon marché et encourage la surconsommation et le gaspillage. Le recours à la corruption pour accéder aux marchés et aux ressources, l’évasion fiscale, la cartellisation, la délocalisation des emplois industriels et l’exploitation sociale des travailleurs ne sont que quelques-unes des pratiques insoutenables et inacceptables qui sévissent dans ce secteur. Malgré son engagement envers les objectifs de développement durable de l’ONU et l’adoption de normes de gestion sociale et environnementale, le monde des affaires n’a pas encore développé et mis en œuvre un modèle de croissance vraiment responsable.

Commerce inéquitable

De même, le commerce et les échanges internationaux sont contrôlés par des multinationales avides d’accords de libre-échange qui étendent leur hégémonie aux dépens des petits producteurs locaux. Il est bien connu que les petits États insulaires producteurs de canne à sucre auraient tout simplement besoin d’un prix équitable pour que leur production devienne économiquement viable. Quand l’Organisation mondiale du commerce intègrera-t-elle véritablement l’équité dans son processus décisionnel ? Quand agira-t-elle efficacement contre les cartels illégaux et le dumping commercial ?

Sécurité à tout prix

Le complexe militaro-industriel, l’industrie de la guerre et de la sécurité, constitue en soi un facteur de dissuasion majeur du développement durable. Ce secteur industriel a de solides antécédents d’inflation des menaces à la sécurité.

Dans son ouvrage, Indefensible – Seven Myths That Sustain the Global Arms Trade, Paul Holden décrit comment l’industrie de la défense, les militaires, les dirigeants politiques et une presse accommodante peuvent s’entendre pour amplifier indûment les menaces à la sécurité, justifier les interventions militaires, poursuivre des politiques étrangères spécifiques et détourner massivement les ressources financières vers les industries et les individus qui seront payés pour désamorcer la menace.

L’augmentation mondiale des budgets militaires observée ces dernières années s’est faite au détriment d’investissements sociaux et environnementaux tellement plus nécessaires (une hausse de 43,6% depuis 2000 aux États-Unis seulement pour atteindre 611 milliards US$ en 2016; selon une étude de l’Université Brown du Rhode Island publiée en 2017, 5.600 milliards US$ ont été dépensés pour les guerres américaines en Irak, en Syrie, en Afghanistan et au Pakistan, les anciens combattants et la sécurité intérieure depuis 2001). Plusieurs sont d’avis que l’activité militaire des États-Unis et des autres membres de l’OTAN menée sous de faux motifs humanitaires aurait pour principaux objectifs de protéger leur hégémonie économique, d’éliminer la concurrence et d’asservir les peuples en déstabilisant et détruisant les pays émergents.

Le FMI et la Banque mondiale, des freins au développement durable ?

En 1971, peu après la décision des USA de mettre fin au Système monétaire international en dissociant le dollar de l’étalon-or (du coup le dollar US n’était plus convertible en or), le FMI et la Banque mondiale se voient investis d’une nouvelle mission : imposer aux pays en développement la libéralisation de leur économie en fixant comme conditionnalité à l’octroi de tout prêt l’adoption d’une série de mesures d’ajustement structurel néo-libérales. Réduction des dépenses de l’État, privatisation des entreprises nationales, dévaluation de la monnaie locale (laisser flotter la devise), réorientation de l’économie nationale vers les exportations, vérité des prix (éliminer les subventions), baisse des salaires, adoption d’un cadre légal favorisant le respect les droits de propriété privés…

Bien qu’en apparence fort louables, ces mesures s’avèrent inefficaces puisqu’elles entrainent nécessairement une perte d’autonomie financière des pays concernés, une réduction des services publics et un appauvrissement de la population en général au bénéfice d’une élite; tout le contraire d’un développement durable.

Pour une éthique du développement

L’endettement chronique des États, les pratiques financières douteuses ou carrément illicites, le commerce inéquitable et le détournement massif des fonds publics au profit de l’industrie militaire expliquent en bonne partie pourquoi il est si difficile de financer les actions favorisant un développement durable.

Comme le souligne l’économiste Rodrigue Tremblay dans son livre Le Code pour une éthique globale, l’humanité a besoin d’un sérieux coup de morale pour continuer sa marche vers un progrès continu et une liberté accrue. Le monde de la finance, des affaires et de la politique souffre d’un manque de moralité. Son engagement envers le développement durable doit s’appuyer sur une éthique universelle visant une amélioration véritable de la qualité de vie des gens et du bien-être collectif. Une éthique que nos dirigeants politiques ont la responsabilité de traduire en prescriptions concrètes.

 

yogaesoteric
13 février 2018

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