Le terrorisme comme outil de l’Etat profond – la politique intérieure (8)

par Franck Pengam

Lisez la septième partie de cet article

Les faux arguments

Toutes les mesures adoptées en réponse au terrorisme ne diminueront pas le phénomène : leurs inefficacités ont globalement été démontrées. Les chiffres de février 2016 sur l’état d’urgence en France ont été donnés en introduction d’un nouveau texte sécuritaire : 3289 perquisitions administratives, 571 procédures judiciaires, 650 armes saisies, assignation de 407 personnes, etc. Ces perquisitions ont permis d’établir 5 procédures de terrorisme et 23 procédures d’apologie ou provocation au terrorisme. Si on a compté 3006 perquisitions administratives entre le 14 novembre 2015 et la fin de l’année 2015 (soit un mois et demi), elles n’ont plus été que 538 depuis le 1er janvier 2016, jusqu’en mi-mars 2016 (en deux mois et demi). 7 d’entre elles ont permis de découvrir des infractions à caractère terroriste depuis le début de l’année.

 

Le nombre d’assignations à résidence est également en grosse diminution : même si 68 personnes sont encore concernées par cette mesure qui oblige à pointer quotidiennement au commissariat, on est loin des 400 assignés juste après les derniers attentats. Selon Bernard Cazeneuve, en 5 mois d’état d’urgence, 13 projets d’attentats ont été déjoués. Quant à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), elle a confirmé que le blocage des sites est inefficace pour lutter contre le terrorisme. Depuis mars 2015, 1439 demandes de retrait de contenus sont parvenues à la CNIL, dont 1286 pour des sites à caractère terroriste. Elle se positionne en faveur du chiffrement des données et contre le backdoor, mais son avis est purement consultatif et non contraignant. Après avoir vigoureusement défendu la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, Bernard Cazeneuve a finalement avoué l’inutilité de cette loi de collecte de masse des données dans la lutte contre le terrorisme.

Aux États-Unis, de 2006 à 2009, les mesures d’enquête furtive autorisées par le Patriot Act ont visé 1618 affaires de drogue, 122 affaires de fraude, et… 15 affaires liées au terrorisme. Le FBI a quant à lui annoncé en mai 2015 qu’aucune affaire sérieuse de terrorisme n’avait été résolue grâce à la section 215 du Patriot Act, une des plus controversées qui permet la collecte en masse des données privées. Même inefficacité pour le système PRISM qui permettait à la NSA de suivre et collecter les données en ligne des utilisateurs massivement : de 2011 à 2013, sur 227 condamnations pour terrorisme PRISM en a permis… une seule (0,4%). Une vraie boutade.

Un autre exemple de programme de collecte de données et de traitement par algorithme de la NSA utilisé pour identifier et traquer des terroristes supposés a potentiellement tué 15.000 par erreur au Pakistan. Et vu qu’ils ont de l’humour à l’agence, ils ont appelé leur algorithme Skynet. Si ces mesures sont si inefficaces pourquoi insister autant pour étendre ces phénomènes aujourd’hui ? Tout simplement parce que la légalisation et l’extension incontrôlée de la surveillance de masse extrajudiciaire sont avant tout favorables aux intérêts politico-économiques de l’État profond, tandis qu’elles sont totalement inefficaces pour empêcher des attentats, selon la NSA et le FBI eux-mêmes.

Le cryptage, le darknet et finalement Internet sont érigés en grands méchants loups par les gouvernements, alors que leurs arguments qui ne tiennent pas la route. Par exemple, dans les derniers attentats à Paris et à Bruxelles, c’est exactement le contraire qu’il s’est passé : nous avons assisté à des opérations low-tech avec des cartes SIM prépayées, des téléphones jetables, des rencontres en face à face, etc. Même chose pour les explosifs : ils ont utilisé du TATP (peroxyde d’acétone) et autres produits artisanaux parce que l’ensemble des ingrédients est en vente libre et que n’importe qui peut les fabriquer.

Les terroristes de Paris ont planifié leurs attaques avec des moyens de communication censés être déjà surveillés et n’ont pris aucune précaution particulière. Point de chiffrage, d’email crypté et compagnie ici : ces problématiques sont donc un enfumage total qu’il s’agit de désamorcer. La NSA a tout de même eu le culot d’estimer que sans le cryptage, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris « n’auraient pas eu lieu ».

Durant les dernières années de réformes du milieu du renseignement en France, le domaine qui a été le plus affaibli est celui du renseignement économique et financier, notamment durant la présidence de Nicolas Sarkozy. En effet, ce secteur clé ne touche pas uniquement le financement du terrorisme, mais également l’évasion fiscale, le financement politique illégal, la corruption, etc. Autant dire qu’il peut poser de sérieux problèmes à certaines élites politico-économiques comme, au hasard, Nicolas Sarkozy et ses financements frauduleux.

Malgré les dires de l’ancien Ministre des Finances Michel Sapin sur le fait que « le renseignement financier a déjà contribué à déjouer plusieurs attentats », les commanditaires des sommes colossales finançant le terrorisme sont tout de même assez peu mis en avant. L’agence de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, rattachée au Ministère des Finances, a néanmoins fortement accentué ses activités après les attentats de Charlie Hebdo et a réalisé 10.556 enquêtes en 2015. Quant aux résultats concrets sur les financements du terrorisme, il faudra repasser.

 

Une résolution (n° 2799, déposée le 22 mai 2015) du député Jean-Frédéric Poisson (Parti Chrétien-Démocrate) et plusieurs de ses collègues proposait de créer une commission d’enquête relative à la participation de fonds français au financement de l’État Islamique. Elle a été rejetée par l’Assemblée nationale le 3 décembre 2015, dans un quasi-silence médiatique et moins d’un mois après les attentats.

C’est également en plafonnant à 1.000 euros le montant des achats en liquide et in fine en supprimant le cash que l’État et le secteur privé pourront avoir pleinement le contrôle des données bancaires des gens. Le processus a commencé avec la décision de supprimer le billet de 500€. Selon Michel Sapin, il « faut limiter la part des transactions anonymes dans l’économie, qui peuvent correspondre à des actions de fraude, de blanchiment voire de financement du terrorisme ».

En fait, l’argent liquide est un problème, car il permet l’économie informelle non taxable, estimée à 20% du PIB dans certains pays européens. Mais les honnêtes gens tirent également des avantages de l’argent liquide : par l’épargne matérielle et par des transactions peu traçables, rapides et surtout gratuites (pas de commission à l’achat). Ce problème conséquent, tant pour le secteur privé que public, peut être également résolu au nom de la lutte contre le terrorisme et d’un soi-disant bienfait économique avec une politique monétaire de taux d’intérêt négatifs.

Dans tous les cas, il s’agit de contrôler nos portefeuilles en nous enlevant la propriété de l’argent que nous recevons en échange de notre travail. Cette disparition programmée du cash est déjà accompagnée par l’apparition de cartes munies de puces RFID permettant une géolocalisation permanente de l’individu. L’affaire Panama Papers peut également se comprendre dans ce cadre d’analyse. De nombreux analystes ont clairement soupçonné une volonté sous-jacente d’abolir l’argent liquide pour un contrôle centralisé anglo-saxon des flux financiers mondiaux.

En effet, les attaques contre les paradis fiscaux (sauf le Delaware ou la City) auraient pour objectif le déplacement des capitaux vers des paradis fiscaux sous contrôle anglo-saxon. Les États-Unis, qui font semblant de s’agiter pour régler la question de la transparence des institutions financières, sont aujourd’hui la « meilleure » destination du monde pour échapper à la fiscalité, selon Bloomberg (2016).

Le terrorisme étatique spectaculaire islamiste, entretenu par les milieux impérialistes anglo-saxons, amène à la concentration des pouvoirs, dans une période de saturation globale des marchés et de crises socio-économiques. Nous pouvons maintenant légitimement penser que les récentes mesures contre-terroristes que nous avons décrites ont une finalité tout autre.

Les conséquences idéologiques du terrorisme

En plus des conséquences matérielles délétères, les séries d’évènements profonds créent un climat anxiogène inévitablement perceptible dans la société. Le terrorisme spectaculaire est notamment utilisé par le biais des médias comme un outil de sidération psychologique instrumentalisant la perception infraliminaire.

Ce phénomène, bien étudié par les sociologues étasuniens dans les années 1940, entraîne un court-circuit du cognitif par l’émotion. En d’autres termes, une perception visuelle (un acte terroriste ou ses résultats par exemple) peut au niveau préconscient avoir une influence sur nos opinions, décisions et conduites ultérieures, sans que nous le percevions. L’impact médiatique d’un attentat dramatique, suivi d’images traumatisantes en continu nous perturbe profondément et modifie en conséquence nos perceptions, jugements et estimations.

Ces conséquences sont également appelées le « phénomène de la mort en direct ». En analysant la presse, nous pouvons identifier plusieurs phases de réaction de la population face à des attentats. Dans l’ordre temporel : il y a d’abord une phase initiale de choc, puis une réaction positive d’empathie, de solidarité, de mobilisation et pour finir une phase négative d’incertitude, d’inquiétude, d’insécurité, de manque de consensus et de critiques.

Les théoriciens de l’ingénierie sociale et de la fabrique du consentement (Edward Bernays, Walter Lippmann) ont stipulé dès le XXe siècle qu’il fallait établir une médiation entre le public et l’évènement, pour orienter et contrôler l’opinion publique. Comme son nom l’indique, le média accomplira ce rôle ; c’est pour cela que même déficitaire sur le plan comptable, il est contrôlé par des millionnaires (actionnaires), par de grands groupes de communication (publicitaires) et par l’État (subventions). Pourquoi le secteur privé notamment, motivé par le profit, investit-il à perte dans ce secteur ? Tout simplement pour faire sa propre médiation, qui devient de plus en plus inefficace avec Internet et c’est tant mieux.

Tout totalitarisme se caractérise par un dévoiement du langage (Georges Orwell, 1949). Le terrorisme spectaculaire étatique, relayé par les médias, a sa novlangue et sa matrice communicationnelle déformant le réel. Le nihilisme qui découle de ses actions justifie toutes les atteintes aux libertés, sacrifiées à un nouvel idéal de sécurité.

En 2009, dans le cadre de l’affaire Tarnac, le compétent François Hollande disait à l’époque que le gouvernement invente carrément des terroristes pour justifier la surveillance généralisée (surtout des dissidents politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche) et diluer l’échec socio-économique.

 

A présent, dans cette même conception, toute opposition idéologique et politique à la doxa étatico-privée est qualifiée ou assimilée à l’extrémisme puis finalement au terrorisme par abus de langage. Pour illustrer ce propos, nous avons vu et non sans amusement que l’écologie n’était finalement que l’arbre cachant la forêt du redoutable « intégrisme vert » (encore un fascisme vert !) qu’il s’agit de combattre, car il remettrait trop en question la place de l’économie dans nos sociétés.

Le concept de « guerre contre le terrorisme » a été promu lors de la Conférence de Jérusalem sur le Terrorisme International organisée par l’actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en 1979. Georges H. Bush s’y exprima pour soutenir la « guerre contre la terreur ». Cette pseudo-guerre menée sur le plan intérieur efface la distinction classique entre guerre et paix. L’ennemi furtif menace de manière continue l’ordre intérieur et la vie de la population. La peur constante suppose un conditionnement médiatique des populations afin de les sensibiliser à ces nouveaux risques.

Alors que les agents de police journalistiques du PAF matraquent à tue-tête le « pas d’amalgame » incantatoire, ils désignent implicitement et gonflent la menace, représentée par les populations extra-européennes. Et nous le voyons dans la réalité : le stresse ambiant que nous constatons dans l’espace public ou les transports et les témoignages révèlent que de nombreuses personnes ont peur des arabes, des barbus, etc.

Le phénomène terroriste n’a fait qu’accentuer drastiquement une fracture déjà existante. En effet, d’un point de vue ethnique, les sous-fifres opérationnels du terrorisme spectaculaire étatique sont quasiment tous arabes (quelques noirs et blancs à la marge) tous fraîchement convertis à l’islam wahhabo-takfiriste. Et qui sont les cibles ? De façon indiscriminée, c’est une population civile à majorité européenne blanche et chrétienne (d’origine, de culture, de religion) et de façon clairement discriminée des civils et des lieux assimilés au judaïsme et au sionisme : le Word Trade Center de Larry Silverstein, l’école juive de Toulouse (Merah), le Musée Juif de Bruxelles (Nemmouche), l’Hyper Casher de Vincennes (Coulibaly) ou encore la salle du Bataclan (avant le changement de propriétaire)… Tous les ingrédients pour générer la tension ethnico-religieuse et la fracture entre le monde dit judéo-chrétien et le monde musulman sont là.

Ces réactions de méfiance, de peur puis d’hostilité envers les arabo-musulmans sont des phénomènes à la fois logiques et instrumentalisés. Le concept d’ennemi intérieur fait de la population civile nationale le milieu de prolifération de la menace et l’enjeu même du contrôle. Pour le pouvoir cela à ces avantages d’avoir un ennemi intérieur permanent, qui peut frapper n’importe où, n’importe quand. En effet, les dernières mobilisations générales contre les attentats ont eu un franc succès, à l’instar de la menace rouge durant la guerre froide. La peur ou les colères instrumentalisées paralysent la réflexion et recourent à l’émotif pour nous précipiter dans l’union sacrée contre la menace anti-démocratique, en bafouant au passage toute présomption d’innocence.

Le philosophe et historien Michel Foucault avait déjà souligné que, lorsque le mot « sécurité » apparaît pour la première fois en France dans le discours politique des gouvernements physiocrates avant la Révolution française, «il ne s’agissait pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser advenir pour pouvoir ensuite les gouverner et les orienter dans une direction qu’on estimait profitable ». Dans la nouvelle perspective sécuritaire, l’ennemi doit être également suffisamment vague, pour que quasiment n’importe qui, à l’intérieur et à l’extérieur, puisse être identifié en tant que tel. Une définition parfaitement flexible que l’on peut utiliser à toutes les sauces dans divers objectifs : maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit, légitimation de l’intervention armée à l’étranger (jamais dans les pays à la source du terrorisme wahhabo-takfiriste), etc.

Lisez la neuvième partie de cet article
 
 



yogaesoteric

7 décembre 2019

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